Les dents de la mer
JAWS (1975)
A quelques jours du début de la saison estivale, les habitants de la
petite station balnéaire d'Amity sont mis en émoi par la découverte par
le shérif Brody (Roy Scheider) sur le littoral du corps atrocement
mutilé d'une jeune vacancière. Désireux de faire de juteux chiffres
d'affaires et d'éviter la panique, le maire décide de fermer l'affaire
: cadavre mutilé par une hélice au lieu de révéler la vérité : un grand
requin blanc a élu domicile dans le port d'Amity. Très vite les
cadavres s'amoncellent..
Brody : Roy Scheider
Hooper : Richard Dreyfuss
Quint : Robert Shaw
3e film après le monstrueux Duel (prix mérité a Avoriaz) et l'émouvant Sugarland express où Spielberg démontrait sa capacité pour l'un dans l'action et le suspence, pour l'autre dans l' émotion.
2 matrices que Steven mélange timidement ici en faisant plus ressortir
le suspence et l'angoisse que l'émotion, mais émotion il y a. Ainsi,
une scène sublime, improvisée en plus, entre le chef Brody (Roy
Scheider) et son fils, mais aussi la lente terreur sourde qui monte du
récit de Quint (Robert Shaw) dans le navire...
Avec ce film pourtant un peu détesté par le maître (Spielberg trouvait
qu'il était stupide de faire une histoire de requin (pourtant l'animal
terrifiant qu'est le Grand Requin Blanc était alors parfaitement
méconnu du public américain à cette époque donc susceptible d'être une
créature au fort potentiel) et les conditions de tournages furent
catastrophiques --le requin mécanisé ne fonctionnait qu'une fois sur
trois !-- pour le jeune réalisateur à la limite du découragement), il
s'agissait de faire très fort : retrancher l'horreur gore très loin
dans ses derniers retranchements.
Retranchements qui seront poussés d'ailleurs par Alien puis surtout le monstrueux Cannibal Holocaust mais passons...
Surtout, ce film donne l'occasion une fois de plus au cinéaste de
lancer dans ses grandes marotes : la famille (recomposée ou non,
éclatée ou pas) et la seconde guerre mondiale. Le requin est cette
créature noire qui, dans le récit de Quint le chasseur de prime vétéran
du Pacifique, est la métaphore parfaite de la mort et dévore les
pilotes perdus en pleine mer : "Ses yeux noirs sont sans expression,
sans vie...."
Il y a dans les Dents de la mer comme Duel, toute la matrice du cinéma
Spielbergien à venir. Même la part de magie existe à travers Jaws comme
le témoigne les paysages du films et couchers de soleil en pleine mer
(sur le bateau) mais aussi le passage rapide dans le film d'une étoile
filante (vers 1h32 environ), semblant presque concrétiser le voeu
d'abattre le requin, quitte à y laisser la vie.
Et comme dans Duel auquel on a souvent comparé ce film, la créature
semble presque invincible, elle est une part de réel (un camion, un
requin) qui surgissent et sortent brusquement de leurs cadres
respectifs. Dans Duel, le camion pouvait aussi bien surgir d'un
inquiétant monde parallèle (rappelons que l'on ne verra d'ailleurs du
chauffeur que ses bottes, à croire qu'il n'a jamais vraiment existé et
que David Mann le pauvre représentant commence à perdre les pédales et
imaginer un conducteur qui n'existe que dans son imagination vu que le
conducteur du camion n'est jamais allé au resto-route !...) que le
requin de la noirceur des abysses. Une noirceur qui renvoie à nos
propres ténèbres, ce que Spielberg magnifie dans une séquence en pleine
nuit : Brody et Hooper, un peu saoul partent sur le territoire du grand
blanc quand soudain en pleine mer surgit ce qui reste d'un bateau,
pauvre Hollandais Volant presque surgit d'ailleurs dans la froide nuit
noire.
Pour corser le tout, Spielberg (grand bien lui en prit) choisit de ne
pas montrer la bête (officiellement hein, parce qu'officieusement,
c'était parce que le requin merdouillait vachement
) en vrai. On ne la voit pas, tout au plus voyons nous ce qu'elle voit
(une technique reprise avec brio par John Carpenter sur Halloween : les
passages dans la voiture du tueur, sa vision quand il met le masque au
début...). Puis a cette vision interne s'ajoutent les victimes, puis
les rumeurs diverses (le livre de Brody sur les attaques de requin
permettent au pauvre spectateur de se faire son idée hors cadre et de
commencer à avoir la chair de poule). Enfin on voit le requin, mais
partiellement : un aileron au loin dans la baie et...Des flots de sang,
preuve indéniable de son passage. Autant les corps étaient la
conséquence, autant le sang montre l'instant présent.
Enfin dans la dernière partie qui voit les 3 personnages principaux
s'isoler du monde pour chasser la "bête" dans une sorte de huis-clos
aquatique, plus besoin de cacher le requin.
Sa puissance n'en est que plus amplifiée. 3 mètres ? Non, bien plus grand...8 mètres.
Et quand même le vétéran de la chasse au requin commence a douter, on
craque aussi, la peur est a son paroxysme. Avec ses fondations qui
vacillent, Quint, le dernier rempart de notre peur la laisse s'échapper
et galoper en nous.
Et la fin du film de tenir toutes ses promesses : apocalyptique.
Et là encore le parallèle à Duel se fait sentir presque plan par plan :
Le camion qui tombe en poussant un "cri de dinosaure" (peut-être
difficilement entendu sur la zone 2) et ici, le requin qui coule en un
long râle, le même cri (Steven avoue dans les bonus avoir effectivement
fait réentendre le même effet sonore qu'a la fin de Duel !), plus
facile a entendre sur le zone 1 que le zone 2 (mais il suffit de monter
le son)...
Enfin je terminerais sur un plan que je trouve sublime, annonciateur du
final, c'est quand la seconde partie du film commence et que les 3
personnages principaux prennent la mer pour pourfendre du squale.
Spielberg annonce alors un pessimisme sous-jacent en un plan très
esthétique où le bateau passe par les mâchoires d'un requin accrochées
dans la bâtisse de Quint.
Et voilà l'image (choppée sur dvdclassik j'avoue mais bon j'adore ce site...) :
Aspects techniques ?
Les filmographies, notes de prod, le making of (1h seulement alors que la version laser disc fait 1h30...Où sont passées les 30 minutes ? O_o) assez intéressant, les bandes annonces d'époque (kitsch mais fun)...
Venons en aux scènes coupées. Elles ne sont pas si significatives de l'oeuvre finale mais Steven aurait pu les rajouter. Si certaines ne sont pas des mieux, d'autres auraient pu renforcer la force du film. Alors oui, on passera sur Quint faisant exprès de chanter pour troubler un pauvre clarinettiste dans un magasin de musique mais on ne ferme pas les yeux sur la bataille des pêcheurs en mer utilisant toutes sortes de techniques (même de la dynamite !) pour chasser le requin.
Autre bonus de taille pour une fois, les story boards qui révèlent de nombreuses choses (par exemple Hooper devant être tué mais Spielberg lui laissera la vie sauve) et se révèlent assez beaux, dans un style assez proche par moment des comics américains underground.
V.O en 5.1
V.F en 1.0 (gné ?)
Autres pistes en stéréo 1.0 : Italien, Allemand, Espagnol.
Un indispensable des Spielberg (avec Duel par la même occasion tant leurs structures narratives sont proches).