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Chroniques visuelles
7 août 2006

Les dents de la mer

dendents

JAWS (1975)

A quelques jours du début de la saison estivale, les habitants de la petite station balnéaire d'Amity sont mis en émoi par la découverte par le shérif Brody (Roy Scheider) sur le littoral du corps atrocement mutilé d'une jeune vacancière. Désireux de faire de juteux chiffres d'affaires et d'éviter la panique, le maire décide de fermer l'affaire : cadavre mutilé par une hélice au lieu de révéler la vérité : un grand requin blanc a élu domicile dans le port d'Amity. Très vite les cadavres s'amoncellent..

Brody : Roy Scheider
Hooper : Richard Dreyfuss
Quint : Robert Shaw

3e film après le monstrueux Duel (prix mérité a Avoriaz) et l'émouvant Sugarland express où Spielberg démontrait sa capacité pour l'un dans l'action et le suspence, pour l'autre dans l' émotion.
2 matrices que Steven mélange timidement ici en faisant plus ressortir le suspence et l'angoisse que l'émotion, mais émotion il y a. Ainsi, une scène sublime, improvisée en plus, entre le chef Brody (Roy Scheider) et son fils, mais aussi la lente terreur sourde qui monte du récit de Quint (Robert Shaw) dans le navire...

Avec ce film pourtant un peu détesté par le maître (Spielberg trouvait qu'il était stupide de faire une histoire de requin (pourtant l'animal terrifiant qu'est le Grand Requin Blanc était alors parfaitement méconnu du public américain à cette époque donc susceptible d'être une créature au fort potentiel) et les conditions de tournages furent catastrophiques --le requin mécanisé ne fonctionnait qu'une fois sur trois !-- pour le jeune réalisateur à la limite du découragement), il s'agissait de faire très fort : retrancher l'horreur gore très loin dans ses derniers retranchements.
Retranchements qui seront poussés d'ailleurs par Alien puis surtout le monstrueux Cannibal Holocaust mais passons...

Surtout, ce film donne l'occasion une fois de plus au cinéaste de lancer dans ses grandes marotes : la famille (recomposée ou non, éclatée ou pas) et la seconde guerre mondiale. Le requin est cette créature noire qui, dans le récit de Quint le chasseur de prime vétéran du Pacifique, est la métaphore parfaite de la mort et dévore les pilotes perdus en pleine mer : "Ses yeux noirs sont sans expression, sans vie...."

Il y a dans les Dents de la mer comme Duel, toute la matrice du cinéma Spielbergien à venir. Même la part de magie existe à travers Jaws comme le témoigne les paysages du films et couchers de soleil en pleine mer (sur le bateau) mais aussi le passage rapide dans le film d'une étoile filante (vers 1h32 environ), semblant presque concrétiser le voeu d'abattre le requin, quitte à y laisser la vie.

Et comme dans Duel auquel on a souvent comparé ce film, la créature semble presque invincible, elle est une part de réel (un camion, un requin) qui surgissent et sortent brusquement de leurs cadres respectifs. Dans Duel, le camion pouvait aussi bien surgir d'un inquiétant monde parallèle (rappelons que l'on ne verra d'ailleurs du chauffeur que ses bottes, à croire qu'il n'a jamais vraiment existé et que David Mann le pauvre représentant commence à perdre les pédales et imaginer un conducteur qui n'existe que dans son imagination vu que le conducteur du camion n'est jamais allé au resto-route !...) que le requin de la noirceur des abysses. Une noirceur qui renvoie à nos propres ténèbres, ce que Spielberg magnifie dans une séquence en pleine nuit : Brody et Hooper, un peu saoul partent sur le territoire du grand blanc quand soudain en pleine mer surgit ce qui reste d'un bateau, pauvre Hollandais Volant presque surgit d'ailleurs dans la froide nuit noire.

Pour corser le tout, Spielberg (grand bien lui en prit) choisit de ne pas montrer la bête (officiellement hein, parce qu'officieusement, c'était parce que le requin merdouillait vachement  http://ecritvain.jexiste.fr/miragev2/html/emoticons/W-rire.gif ) en vrai. On ne la voit pas, tout au plus voyons nous ce qu'elle voit (une technique reprise avec brio par John Carpenter sur Halloween : les passages dans la voiture du tueur, sa vision quand il met le masque au début...). Puis a cette vision interne s'ajoutent les victimes, puis les rumeurs diverses (le livre de Brody sur les attaques de requin permettent au pauvre spectateur de se faire son idée hors cadre et de commencer à avoir la chair de poule). Enfin on voit le requin, mais partiellement : un aileron au loin dans la baie et...Des flots de sang, preuve indéniable de son passage. Autant les corps étaient la conséquence, autant le sang montre l'instant présent.
Enfin dans la dernière partie qui voit les 3 personnages principaux s'isoler du monde pour chasser la "bête" dans une sorte de huis-clos aquatique, plus besoin de cacher le requin.
Sa puissance n'en est que plus amplifiée. 3 mètres ? Non, bien plus grand...8 mètres.
Et quand même le vétéran de la chasse au requin commence a douter, on craque aussi, la peur est a son paroxysme. Avec ses fondations qui vacillent, Quint, le dernier rempart de notre peur la laisse s'échapper et galoper en nous.

Et la fin du film de tenir toutes ses promesses : apocalyptique.

Et là encore le parallèle à Duel se fait sentir presque plan par plan : Le camion qui tombe en poussant un "cri de dinosaure" (peut-être difficilement entendu sur la zone 2) et ici, le requin qui coule en un long râle, le même cri (Steven avoue dans les bonus avoir effectivement fait réentendre le même effet sonore qu'a la fin de Duel !), plus facile a entendre sur le zone 1 que le zone 2 (mais il suffit de monter le son)...

Enfin je terminerais sur un plan que je trouve sublime, annonciateur du final, c'est quand la seconde partie du film commence et que les 3 personnages principaux prennent la mer pour pourfendre du squale. Spielberg annonce alors un pessimisme sous-jacent en un plan très esthétique où le bateau passe par les mâchoires d'un requin accrochées dans la bâtisse de Quint.

Et voilà l'image (choppée sur dvdclassik j'avoue mais bon j'adore ce site...) :

http://www.dvdclassik.com/V2/Critiques/jaws3.jpg


Aspects techniques ?

Les filmographies, notes de prod, le making of (1h seulement alors que la version laser disc fait 1h30...Où sont passées les 30 minutes ? O_o) assez intéressant, les bandes annonces d'époque (kitsch mais fun)...

Venons en aux scènes coupées. Elles ne sont pas si significatives de l'oeuvre finale mais Steven aurait pu les rajouter. Si certaines ne sont pas des mieux, d'autres auraient pu renforcer la force du film. Alors oui, on passera sur Quint faisant exprès de chanter pour troubler un pauvre clarinettiste dans un magasin de musique mais on ne ferme pas les yeux sur la bataille des pêcheurs en mer utilisant toutes sortes de techniques (même de la dynamite !) pour chasser le requin.

Autre bonus de taille pour une fois, les story boards qui révèlent de nombreuses choses (par exemple Hooper devant être tué mais Spielberg lui laissera la vie sauve) et se révèlent assez beaux, dans un style assez proche par moment des comics américains underground.

V.O en 5.1
V.F en 1.0 (gné ?)
Autres pistes en stéréo 1.0 : Italien, Allemand, Espagnol.

Un indispensable des Spielberg (avec Duel par la même occasion tant leurs structures narratives sont proches).

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Commentaires
N
Hé, bien vu ! Très bien vu !<br /> <br /> Je ne l'avais pas perçu parce que mon ignorance dans le duo des deux John (non pas la bande a Carpenter, mais plus Wayne/Ford) est des plus abruptes (mais je me rattraperais avec le temps j'espère) et que j'accorde plus d'importance a mon ressenti qu'au recul analytique que nécessiterais une oeuvre (et puis mierde je veut être accessible, pas faire dans le psychanalitique couillu)....<br /> <br /> Et je pense bien d'ailleurs que c'était la dernière fois que Shaw s'amusait aussi bien, vu qu'il est mort en 1978, 3 ans après le film snif...
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P
Une fois de plus, tout est dit et bien dit sur ce classique des classiques!<br /> Une seule chose à ajouter: j'ai particulièrement apprécié l'humour de Spielberg dans ce film à l'égard du cinéma classique hollywoodien et de ses clichés, et notamment au travers du personnage de Robert Shaw. Dinosaure hollywoodien, Shaw s'auto-parodie en caricaturant le héros type fordien, initié par John Wayne mais devenu au fil du temps l'idéal masculin d'une époque où la virilité n'était pas un vain mot. De fait, Shaw en fait des tonnes et s'amuse visiblement beaucoup: paternaliste, moralisateur, péremptoire voire tyrannique, condescendant limite méprisant avec ses équipiers et particulièrement avec le personnage de Richard Dreyfuss dont il semble estimer les méthodes scientiques quelques peu "féminines", il est la parfaite réincarnation (ironique) du personnage de John T. Chance incarné par Wayne dans le chef d'oeuvre d'Howard Hawks "Rio Bravo" (même attitude paternaliste envers son équipe constituée d'un ivrogne repenti, d'un jeunot et d'un vieux radoteur respecté parce qu'il possède "l'expérience"). Particulièrement savoureuse est cette scène où Show et Dreyfuss comparent leurs cicatrices, ce dernier revendicant sa virilité face à ce père hyper-couillu: on s'attend presque à les voir faire un concours de bites double-décimètre en main! La mort de Shaw n'en sera que plus ironique: en effet, toute son expérience proclamée et toute la testostérone du monde ne l'empêcheront pas de se faire très connement bouffer, alors que ses deux équipiers traités avec condescendance non seulement survivront mais viendront à bout du requin. A travers cette dialectique, Spielberg semble nous dire que le cinéma de Papa est bien révolu, qu'on est à une période charnière où les monolithes commencent à se fissurer, et qu'il faut désormais s'attendre à voir une nouvelle race de héros. Bref il consacre la nouvelle vague américaine des "Wonder Boys" (Coppola, Scorsese, Lucas, etc...). A noter également que cette caricature du héros fordien est une ébauche du personnage d'Indiana Jones dans lequel la parodie culmine: chaque manifestation ostentatoire de virilité tourne immanquablement à la déconfiture et au ridicule chez Indy qui s'avère, à l'instar d'ailleurs d'un Han Solo, une sorte du Superman calamiteux. Sans doute un moyen pour Spielberg d'affirmer sa modernité tout en payant tribut au cinéma de son enfance.<br /> Voilà, c'est tout. Rendez-vous sur mon blog, où il est également question de requin - mais pas tout à fait dans le même style...
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