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Chroniques visuelles
9 juillet 2007

Blow-up

blowedpus

" Mes films sont toujours des travaux de recherche. Je ne me considère pas comme un metteur en scène qui maîtrise déjà sa profession, mais comme quelqu'un qui poursuit sa recherche et étudie ses contemporains. Je cherche (peut-être dans chacun de mes films) des traces de sentiments chez les hommes, et chez les femmes également, bien sûr, dans un monde où ces traces ont été enterrées pour faire place a des sentiments de convenance et d'apparence : un monde où les sentiments sont affaires de "relations publiques". Mon travail consiste à creuser, ce sont des fouilles archéologiques dans le matériau aride de notre époque. C'est ainsi que j'ai commencé mon premier film et c'est ce que je continue à faire..."

Michelangelo Antonioni
(extrait d'un livre sur le réalisateur aux editions Taschen)


Blow-up (1966) comme donc tous les autres films du réalisateur italien (passé maître dans l'art de "filmer l'ennui moderne" au cinéma, vaste programme qui pour ma part est égalé par certains Godards mais passons...) n'échappe pas a cette étude des sentiments, des êtres et d'une époque bien précise, le London swinging des 60's, musiques, drogues et une perte totale des réalités chez les deux sexes, sous couvert d'une savoureuse intrigue policière qui lui vaudra de nombreux prix (palme d'or en 66 à Cannes d'ailleurs je crois) et qui participe pleinement à la question métaphysique de la vue, la vision dans la réalité.

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Vanessa Redgrave, LA femme mystère de l'histoire...

Dans ce film, Antonioni questionne pleinement la réalité donc, sous l'angle de notre champ de vision par le biais de Thomas, jeune photographe blasé, égoïste et misogyne (tous les hommes chez Antonioni ne ressentent que peu d'émotions et quand ça leur arrive, qu'ils veulent changer, ça les mène à leur perte car ils sont incapables de s'adapter a un monde qui est allé trop vite, un monde qui ne les comprend plus et qu'ils ne comprennent plus. cf "Profession Reporter") qui est un photographe de mode en vogue, amplement désiré. Thomas, un jour en flanant, photographie un couple dans un parc, une femme mystérieuse qui attire un homme loin des regards. Scène apparement banale dans un lieu des plus banals : le vent souffle, un silence pesant se fait, Thomas mitraille à demi caché, pour son bon plaisir. En partant il se fait répérer par la femme qui, chose curieuse fait tout pour avoir les négatifs et viendra même le retrouver chez lui pour les avoir, a sa grande surprise, quitte a coucher avec lui.

Devant cette demande des plus pressantes, notre homme sent monter la curiosité en lui et il lui remet une pellicule, pas la bonne évidemment, désireux de développer ces photos pour son propre compte et en les agrandissant, il sent que quelque chose ne va pas. Ce n'est pas le lieu en lui-même mais le couple, leur regard, leur attitude. La femme sait quelque chose que l'autre, enlacé dans ses bras ne sait pas, ne remarque pas. Elle semble guetter un point dans le feuillage...

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Une des étranges photos parmi la dizaine prise par Thomas. Quelle est l'énigme ?


Puis en agrandissant encore et encore, il remarque un troisième personnage dans le feuillage, revolver au poing ! Qui est il ? Que cherche t'il ? Est il là pour les amants ? Plus Thomas semble se rapprocher de la vérité, plus il commence à se perdre car plus il agrandit ("a blow-up" = un agrandissement) l'image, plus la définition et la netteté baisse pour montrer des grains de plus en plus gros, comparable à la pointure pointilliste et abstraite de son ami et voisin peintre, lequel déclarait d'ailleurs que ce n'est qu'en s'éloignant de la toile qu'on comprenait personnellement l'oeuvre, aussi abstraite soit-elle. Une sorte de vérité personnelle que quiconque peut obtenir dans l'Art. Mais Thomas ne comprends pas, au lieu de s'éloigner, il agrandit, se rapproche de la vérité et paradoxalement s'en éloigne, de plus en plus troublé et décontenancé par ce qu'il voit : Il vient de photographier un meutre en direct : l'avant et l'après, mais non le pendant, empêché par la femme courant vers lui.

De plus en plus troublé, il essaiera de parler de ce qu'il a vu mais tout le monde s'en fout, trop absorbé par la drogue (les joints incessants que fument les mannequins et son ami editeur), le sexe et les relations personnelles (Thomas surprend ses voisins en train de faire l'amour mais la femme lui demande de rester, excité par ce "voyeur" pourtant ami. Plus tard, quand ils se parleront, ce sera pratiquement pour donner une discussion sans queue ni tête : Thomas parle de ce qu'il a vu --sans pouvoir le montrer : a ce moment là, ses photos lui sont volées-- dans le vide et son amie lui parle de sa relation avec son mari, le peintre, les deux n'arrivant à rien) et les distractions d'ordre divers (Thomas achète une hélice...alors que ça ne lui sert a rien...Plus tard à un concert des Yardbirds, il arrivera a se saisir d'un manche de guitare electrique en se bataillant avec des gens pour pouvoir le jeter par terre plus tard !). Et quand Thomas cherchera a prouver tant pour les autres que lui-même, ce qu'il a vu, ce sera en vain : les photos sont volées et le corps disparaîtra au petit matin.

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Perturbé, il errera dans le parc jusqu'a l'arrivée de mimes venant jouer une partie de tennis imaginaire, et tellement choqué, devenu l'ombre de lui-même, finira par entrer dans le jeu en renvoyant une balle imaginaire mais aussi progressivement en entendant son son sur les raquettes....Alors que la balle n'existe pas !

Voilà là tout le questionnement essentiel auquel renvoie Antonioni : "Qu'est ce que la réalité ? et Comment la percevons nous ?" Car Thomas a bien vu quelque chose mais paradoxalement, et c'est là le comble du photographe --un homme chargé de coucher la réalité de ce qu'il voit sur pellicule--, il a vu et au final, il n'a rien vu du tout. Victime de l'illusion artistique mais aussi de son propre égo, Thomas est cloué par une vérité inhérente a sa profession et ne peut se relever d'avoir été aussi facilement berné, tout comme le spectateur, médusé à la fin.

Blow-up même si il a, hélas, un peu vieilli (je rêve d'un remake intelligent, respectueux et soigné mais j'en doute fort, sauf si quelqu'un de la trempe de Christopher Nolan s'en charge), reste encore fascinant et comme tous les Antonioni (rythme lent, travail souvent expérimental), un film à voir au moins une fois.


 


 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
N
Non pas toi mais plus la chaleur de ce week-end (ainsi que celle de ma chambre, plus de 40°), donc j'essaye de répondre mais avec la tête froide au minimum si possible...<br /> <br /> David Hemmings, grand mais...Il n'a pas beaucoup joué non ? A part dans ces deux films là, il passe inaperçu a mes yeux et pour l'anecdote, je crois que c'est Argento qui s'est souvenu de lui, l'ayant bien apprécié dans le "Blow-up" Antonionien...<br /> <br /> Sinon, très intéressant ce que tu me dis là, et très vrai aussi. J'y ai pensé furtivement mais ça aurait peut-être fait trop partir ma chroniques dans des directions que je n'aurais su maîtriser (donc on se retient. Et puis après si je fabule un peu, on finit par me prendre pour un fou parfois. Une fois m'a suffi, merci bien, pas question de retomber sur des gens obtus pestant contre ce qu'ils appellent de la "branlette intellectuelle" sans même qu'ils n'aient à activer leurs cervelles eux-mêmes pour vraiment savoir ce qu'il en est !) donc bon... Mais intéressant en effet. <br /> <br /> Et pour la fin, je ne l'ai pas mentionné mais il disparaît bien effectivement, une seconde avant le "the end". Antonioni avait déclaré que sa disparition constituait son autographe personnel envers le film mais je n'ai pas jugé utile de le mentionner, le réalisateur lui-même ne s'y attarde guère (le film se termine d'un coup juste après sa disparition, c'est même étonnant de la part d'Antonioni de ne pas laisser plus sa caméra sur ce bout d'herbe désert !), par contre la partie de tennis des mimes, comment ne pas en parler ? ;)<br /> Géniale scène culte de fin !
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P
Le film-culte d'une génération: jamais le Swingin' London n'a été aussi vivant!<br /> <br /> Râââh! le concert des Yardbirds avec Jeff Beck qui destroy tout le matos, grand moment pour les fans de british beat!<br /> <br /> David Hemmings n'a jamais été aussi grand - bon, d'accord, y'a "Les Frissons de l'Angoisse", aussi!<br /> <br /> Quelques considérations toutes personnelles, à présent: dans la métaphysique mise en place par Antonioni, son personnage se résume presque à un "oeil sur pattes", soit un voyeur pervers! L'égocentrisme renvoie à la perversion (désir à sens unique, objectivation - à travers l'"objectif"! - de l'autre) et la photographie n'est jamais que l'actualisation de cette perversion dans le voyeurisme. L'oeil prédomine même sur le sexe: il ne couche pas sans avoir photographié au préalable. Si la réalité lui échappe, c'est d'abord parce qu'il est incapable de l'affronter sans le médiateur que constitue son appareil-photo, substitut sexuel phallique bien évidemment (voir les séances photos qui sont autant de simulacres de baise), mais de façon plus générale seul et unique organe d'appréhension du réel dont il dispose. On songe aux aphorismes de Jim Morrison bien évidemment (voir "Seigneurs et nouvelles Créatures", chez 10/18) qui déplore la prédominance impérialiste de l'oeil sur les autres sens par comparaison presque atrophiés (il était étudiant à l'UCLA!) et en fait découler une certaine forme de décadence humaine: "Nous avons été transformés d'un corps fou dansant sur la colline en une paire d'yeux fixant le noir". L'homme réduit à l'état de spectateur / voyeur (consommateur d'audio-visuel) était pour Morrison le stade ultime de sa déchéance, spectateur qu'il qualifie tour à tour d'"animal mourrant" et de "vampire tranquille", deux termes qui définissent parfaitement le personnage d'Hemmings dans "Blow Up": un être à la fois déclinant, mais également un prédateur pour les autres - soit: un pervers.<br /> On sait que les Amérindiens refusaient de se faire photographier, de peur d'y perdre leur âme. Ils n'avaient pas tort, si l'on en juge à la façon de Hemmings de "posséder" les femmes au travers de son objectif. L'acte sexuel proprement dit n'est jamais qu'une formalité sans importance, l'essentiel du voyeur se passe après, lorsqu'il se retrouve seul dans sa chambre noire et peut dès lors triturer les images capturées en privé - acte à la fois onaniste et pervers, puisqu'excluant le partenaire sexuel. <br /> Mais, revers de la médaille, le voyeur est forcément déçu, et ce qu'il voit ne sera jamais à la hauteur de ce qu'il fantasme lorsqu'il est sur le point de voir. J'avais un prof de philo qui développait la théorie suivante: en fait, ce que le voyeur cherche à surprendre, c'est le "manque à voir", soit tout ce qui s'inscrit pour ainsi dire "en creux" de la vision proprement dite. Nulle surprise dès lors à ce que le meurtre (réel ou fantasmé, peu importe) que cherche à appréhender Hemmings lui échappe puisqu'il s'inscrit dans une dialectique métaphysique être / néant, et qu'il se perde dans le vide qu'il actualise entre ces grains d'être que sont les pixels, cette fameuse réalité en creux qu'il ne cesse d'ailleurs de creuser à force d'agrandissements.<br /> Si je me souviens bien, on le voit disparaître à la fin de la fameuse partie de tennis, comme s'il avait fini par expérimenter le néant de sa propre existence...<br /> <br /> Bon, j'espère ne t'avoir pas collé mal à la tête!
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