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Chroniques visuelles
30 janvier 2010

Kaïro

 

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Michi et ses amis travaillent dans une serre située sur un building à Tokyo. L'une de ses personnes ne donnant plus signe de vie depuis une semaine, Michi décide d'aller à son appartement. Elle trouvera, outre le corps pendu de Taguchi, une disquette qu'il devait lui passer, renvoyant à un site internet étrange qui permettrait de voir des fantômes. Bientôt d'étranges suicides et disparitions se multiplient dans la ville...

 

On ne parle jamais assez de Kiyoshi Kurosawa, cinéaste contemporain du fantastique et de l'horreur moderne, éclipsé qu'il est par l'autre Kurosawa. Pourtant, le petit Kiyoshi est devenu grand et en plus d'une vingtaine de films (dont juste une poignée distribuée chez nous !), il est "parvenu à se faire un prénom" (dixit Thierry Jousse, chroniqueur aux Cahiers du cinéma en 1999, lors de la sortie de "Charisma"). Oeuvrant avec intelligence dans le genre de la série B, qu'il parvient à chaque film à détourer, à faire sortir des carcans (sauf avec "Tokyo Sonata" sorti récemment, simple drame --encore que j'ai bien aimé-- qui ne donne nullement à voir l'ampleur du cinéaste dans le domaine du fantastique où il a prouvé maintes fois ses faits d'armes) pour les porter vers une touche plus personnelle, ses films sont emprunts d'une réflexion sur la déshumanisation de la société et d'une petite portée sociologique qui lui viendrait sans doute de ses années de fac (avant de faire du cinéma et de l'enseigner, Kurosawa était dans des études de sociologie !).

 

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A. En un instant, les êtres peuvent disparaître, "fantomisés" (*) dans le néant...

 

Tous ses films n'y échappent pas. Sans doute le propos est-il du coup trop voyant pour le récent Tokyo Sonata (la déliquescence d'une famille japonaise) qui n'a plus les enrobages du genre, permettant dès lors de mêler l'action à la réflexion et propose un drame à peu près basique (mais il s'agit bien d'un film de Kiyoshi puisqu'il reprend une fois de plus son comédien fétiche (Koji Yakusho en vagabond cambrioleur, un régal) et continue de mêler onirisme --le rêve du fils revenu d'Irak-- à un propos plus basique mais où restent sa maîtrise des cadrages et plans-séquences) mais ses autres films sont bien inscrits dans un genre initial que le cinéaste s'ingénie ensuite à contrecarrer ou faire exploser au fur et à mesure des films. Et c'est sans compter sur ses diverses créatures : des jeunes qui s'évaporent (Vaine Illusion) au sumo sérial killer (The serpent's path. Rien que de l'évoquer, on dirait du Takashi Miike !) en passant par une momie hargneuse (Loft), une petite fille fantôme (Séance), un arbre maléfique (Charisma), un hypnotiseur fou qui pousse à commettre des meurtres (le génial Cure. Il faudrait que j'en parle de celui-ci un jour), des méduses venimeuses dans les égouts de Tokyo (Jellyfish)... C'est vrai qu'à côté, Tokyo Sonata passerait presque pour un film banal, n'est-ce pas ?

 

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B et C. Dans Kaïro, la peur ne surgit pas brusquement à l'écran. Elle est toujours là, en avance, depuis le fond de l'écran. Quand on la remarque avec un temps de retard (comme la jeune fille), les cheveux se dressent lentement sur la tête.

 

Kaïro est un film de fantômes japonais. Ou plutôt, il l'est au départ, Kurosawa dépeignant une société qui va droit dans le mur depuis le début jusqu'a la fin avec comme ancrage principal cette peur typiquement japonaise de spectres aux cheveux flottants (dont Ring et Dark Water, tous deux d'Hideo Nakata en sont les brillants représentants). Mais à côté des revenants du revival Kwaidan (ou Kaidan-ega. Tout ce qui touche aux fantômes, littérature comme cinéma) des années 2000 (Ring est de 1998), les personnages de Kurosawa sont déjà désincarnés. Jeunes comme adultes ne se parlent plus, ou plus tellement, n'ont plus de substances. Ils sont vampirisés par la technologie, retranchés sur celle-ci comme autant et ne se laissent jamais aller à un contact affectif aussi mesuré soit-il (il faudra attendre la fin du film pour voir des têtes sur des épaules ou une main réconfortante sur une épaule). Et paradoxalement, c'est la technologie qui va les effacer littéralement de l'image. Effacer, non tuer, ce qui est pire, à l'image de toutes les disparitions parsemant le film, qui font littéralement dissoudre les corps, afin de n'en laisser que des traces noires à même le sol ou les murs (cf, captures en A). Comme des brûlures. Des disparitions anodines, inodores.

Malaise.

 

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D et E. Mises en abîmes inquiétantes d'images d'appartements de disparus et souvent, la vision d'une présence à travers l'écran...

 

C'est la technologie qui les fait disparaître car les fantômes sont maintenant sur le net (**) et piègent leurs victimes trop curieuses. Il suffit d'un simple clic ou d'un visionnage d'un site inquiétant pour que progressivement le fantôme se matérialise lentement pas loin. Et dès lors que la future victime s'approche trop près : Contamination, absorbtion de ce qui fait l'essence même de l'être. Les humains déjà peu consistants chez Kurosawa perdent dès lors toutes envie de vivre. Certains conscients de leur devenir en future tâche hurlante trouvent encore la force minime de se suicider (scènes filmées en champs-contrechamp quand ce n'est pas en un abrupte plan-séquence qui n'épargne rien de la dureté de la situation --capture G), d'autres acceptent leur voie vers le néant. Tous finissent par se faire fatalement piéger plus ou moins et quand à prévenir un monde incrédule où l'on ne se parle plus et on préfère s'éviter de peur de se blesser, la seule parade consiste dès lors à isoler de scotch rouge les "zones" dites contaminées (ça fait très installation d'Art contemporain au passage) où les fantômes ont étés vus.

 

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F. Les futurs disparus sont toujours isolés dans l'espace : cachés derrière une toile, derrière des chaises et des caisses. Jamais dans le même cadre ne les verra t-on discuter avec les rares vivants....

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G. Mort en direct et en un seul plan-séquence où Michi, horrifiée, se retourne trop tard pour constater déjà un corps qui chute inexorablement jusqu'au bruit sourd du contact avec le bitume (***).

 

Evidemment avec une humanité qui ne peut plus avancer et une situation inexorable (les fantômes et leurs victimes) et au vu du réalisateur, on ne peut espérer un banal happy-end. C'est d'autant plus effrayant que cette peur impalpable est inidentifiée, Kurosawa préférant (à juste titre) taire son origine ou le moyen de vaincre ce qui s'amplifie (le remake de Kaïro, "Pulse" par le tâcheron Jim Sonzero explicite tout avec une lourdeur barbante par contre) et accentue la catastrophe, l'amplifie considérablement. Plus le film avance et plus l'inéluctable s'étend au reste du monde : l'apocalypse est en marche et... l'on ne peut rien y faire. Les lieux se vident, la télé égrène en mode automatique une suite sans fin de noms de disparus de tous âges, les voitures et les corps finissent par traîner dans les rues. Kurosawa ose aller jusqu'au bout de ses idées et pour cela on l'en remercie largement.

 

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H. Apocalypses now.

 

Kaïro est un film brillant où les scènes se répètent et varient à chaque fois, se construit et se développe de l'intérieur. Le travail même du son (faites bien attention à chacun des bruits de "fantômes", plaintes comme bruits électroniques, vous verrez), la réflexion donnée au récit (qui va vraiment très loin) et la peur suggestive et inexorable en font un immense film fantastique des années 2000. Voire même --j'ose-- un des meilleurs films de fantômes aux côtés de The haunting (Robert Wise) ou The innocents (Jack Clayton).

 

 


 

 


Quelques mots sur le remake ?

En 2005 et sur un scénario écrit à la base par l'ami Wes "Huggy-les-bons-tuyaux" Craven, un remake américain de Kaïro a vu le jour. En soi, je ne crache pas sur le remakage d'un film quel qu'il soit, pour peu que le remake offre quelque chose de différent de l'original, voire une nouvelle vision (qui n'empêche en rien le visionnage du film de base) qui va plus loin ou propose un autre angle de vue. J'adore par exemple The fly (David Cronenberg (****)) ou The Thing (John Carpenter (*****)) qui pour moi, sont des films formidables et n'empêchent nullement d'aimer les films matriciel qu'ils reprennent. Sans oublier L'invasion des profanateurs de sépultures et ses versions successives au fil des décennies. Je ne conteste nullement aussi l'idée qu'un remake est une adaptation pour un public différent de l'original, sans doute peu habitué aux subtilités ou au contexte proposé par le film de base, soit.

Qu'en est-il du remake de "Kaïro" donc ?

Pulse (version américaine par Jim Sonzero donc) s'avère un ratage de bout en bout comme une bonne partie des remakes livrés à des réalisateurs et producteurs peu scrupuleux. Wes Craven est remercié rapidement (même si il a le temps de placer sa petite touche à travers un personnage très Amerique profonde (******)), on engage un réalisateur venu du clip (en soi, ça peut parfois être une bonne chose. David Fincher vient du monde des clips et il a su se forger un cinéma des plus intéressants sans abuser des effets spéciaux à tout va --exception avec Panic Room où la surcharge abusive faisait mal--) qui va mettre 1215 effets de filtres bleutés pour faire "style" et un producteur peu scrupuleux qui se dit que ça appaterait bien le djeunz, d'où casting de jeunes acteurs aux rôles limités, pas terribles car pas aidés par un script massacré et finalement bien nul.

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Dans Pulse, vous allez en avoir pour votre dose de Bleu. Prévoir lunettes de soleil. Remarquez la mention à l'original. Encore heureux même si ça ne rend nullement service au film de Kurosawa.

 

Tout ici est du démarcage de l'oeuvre originale en coupant les situations, changeant l'angle de vue, laisse des incohérences flagrantes tout en laissant à l'avance deviner qui va s'en sortir et qui ne va pas s'en sortir. Les rares bonnes idées sont rapidement plombées par un trop plein qui évacue l'intimité malaisée qui se constituait entre le spectateur et les personnages dans Kaïro au profit ici d'un spectaculaire, d'un grand guignol complètement inutile. Mêmes les effets spéciaux reprennent à d'autres râteliers.

 

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A gauche, des fantômes qui peuvent se fragmenter (Pulse - 2005), à droite les victimes qui se désagrègent sous les tirs (Avalon - 2001). Dans les deux cas, les pixels volent en éclats mais l'un a clairement repris quelque chose à l'autre (*******)...

 

L'énorme erreur que fait Pulse en plus de reprendre à Kaïro toutes les scènes en les changeant à peine un chouïa (cf comparaison plus bas), c'est de vouloir expliquer l'origine des fantômes (un monde parallèle) en surjouant de celà (l'héroïne a des visions de cet autre monde en négatif avec les cheveux qui volent, digne d'un clip d'Evanescence ou autre groupe à la mode pour djeunz. ironique). Ce qui est déjà un exercice de style difficile (car je ne nie pas qu'un remake est difficile à faire si l'on veut se démarquer un tant soit peu du film de base, même dans le cadre d'une "réactualisation" de celui-ci) devient pour le coup complètement foireux. Et le film de perdre toute fascination envers un concept fumeux, des explications barbantes au milieu d'un script razoir et des acteurs nunuches. N'en jetez plus la coupe est pleine.

J'ai essayé de revendre le dvd la semaine dernière, les boutiques n'en ont pas voulu. Gasp. la 

 

 

 


 

 

Comparaisons à l'appui : Le début de Kaïro.

 

Pas besoin de raconter, les images parlent d'elle-mêmes je suppose. Cette scène intervient bien dans les 5 premières minutes du film. Pour preuve, les kanjis (avec le carré rouge, référence aux bandes de scotch rouge !) du film qu'on voit apparaître quand la jeune fille cherche une disquette sur le bureau.

 

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La grande force de Kiyoshi Kurosawa est sa maîtrise du cadre et du plan-séquence où il inscrit directement l'action. Il laisse la situation s'installer lentement, détaille le décor qu'on peut penser vide de toute présence avant de lentement jouer du premier plan comme l'arrière plan. Le tout en un rythme lent certes, mais assuré et fluide, laissant le spectateur comprendre le film sans le guider.

 

Une scène de Pulse (la même que Kaïro mais placée à 20,25 minutes du film !).

 

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Pulse est plongé pendant tout le film dans des tons bleus (pour traduire la déshumanisation en cours ? Mouais, il faudrait alors changer les tons du film au milieu pour marquer une idée de progression de la contamination fantômatique, pas dès le début). Si vous n'avez pas réglés votre téléviseur, vous n'y verrez rien d'une part. D'autre part, comme déjà dit, on change un chouïa les plans (la clé de l'appartement est en haut, comme c'est original), on rajoute du détail (photos où la jolie héroïne est avec la personne disparue. On y croit à peine), voire on en fait trop (oh, le joli cafard à côté des gobelets vides de café ou du cendrier plein de cadavres de clopinettes pour bien faire comprendre que le djeunz se lave peu, est négligeant, reste collé à un écran d'ordinateur 24h sur 24). Quand à l'apparition du mort-en-sursis, elle se démarque à peine de l'ombre. Même si l'idée est reprise (apparition derrière la teinture, idée de fossé entre les vivants et les morts chez Kurosawa qui ici ne sera jamais exploitée complètement), il n'y a pas de profondeur, d'espace.

En somme l'image ne fait que confirmer que la copie manque de profondeur en regard de l'original.

Bref, si vous n'étiez toujours pas convaincus, regardez Kaïro (mais fuyez le remake, à moins d'être sado-maso). dummy


 


 

 

 

 

 

 

(*) Terme contracté de "Fantôme" + "Atomisé", repris de Diane Arnaud. Cf : "Kiyoshi Kurosawa : mémoire de la disparition".

(**) Pour reprendre Roméro : "Quand il n'y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur Terre !".

(***) Ce genre de scènes en un seul plan-séquence sont typique de Kurosawa. On voit sensiblement les mêmes (un corps qui chute du second étage d'un immeuble dans Rétribution, un enfant qui tombe de l'escalier dans Tokyo Sonata) car le cinéaste aime bien ce procédé (assez efficace il est vrai). Heuresement, c'est du cinéma et il y a un trucage mais je ne vous le dirais pas. Sauf si on me le demande gentiment.

(****) Remake de "La mouche noire" avec Vincent Price.

(*****) Remake de "La chose d'un autre monde" de Howard Hawks et Christian Nyby.

(******) Je pense que la femme de ménage noire ici est sans doute typique de lui. Ce ne serait pas étonnant quand on voit les personnages décalés qu'il fourre toujours avec délice dans ses films, des shérifs crétins à la Laurel et Hardy de La dernière maison sur la gauche en passant au gentil flic benêt de Scream.

(*******) Sans oublier les "effets pixels" de Zelda Twilight Princess sur Game cube et Wii qui était en cours de finalisation quand Pulse sortit, mais dont les trailers et images écumaient les conventions, festivals et la toile depuis plus de deux ans !

 

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