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Chroniques visuelles
23 janvier 2011

Les mondes de Fellini (5).

 

Alors que je suis en pleine rétrospective personnelle Chabrolienne et Resnayienne (Alain Resnais), j'eus soudainement une grosse envie de Fellini. Les envies, c'est difficile d'y résister, mieux vaut s'y laisser choir. Je suis sûr que pour le coup, Oscar Wilde serait d'accord avec moi, tiens. gneeuh

 

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Encolpio se trouve dépité après que son amant Gitone est parti avec son ami Ascilto. La recherche de l'amant, sa perte puis la rencontre avec le rival sont les étapes d'un parcours au travers d'une Rome décadente...

 

 

satyricon

Je met la jaquette du DVD mais je précise l'avoir vu en VHS (du coup, je met des scans du livre "Federico Fellini" de Chris Wiegand aux éditions Taschen pour illustrer).

 

 

Le scénario tient limite sur un ticket de métro comme vous le voyez donc je savais à quoi m'attendre, à savoir, comme souvent chez Fellini, la création d'un film-monde (le mot n'est pas usurpé je pense) dont les visions dépasseraient de loin les simples évocations et réductions qu'on pourrait y mettre et je n'ai pas été déçu loin de là, même si au départ j'ai cru être victime d'une sorte de bad trip.

 

"Tandis qu'il se remettait de sa pleurésie à Manzania, Fellini relut Le Satyricon, recueil de contes dûs à Pétrone (Ier siècle après J.C), l'un des conseillers de l'empereur Néron. Il songeait à ce projet depuis l'époque de Marc'Aurélio, et avait même pensé à l'acteur Aldo Fabrizi pour le rôle principal. Son Satyricon est aussi personnel que son adaptation de Toby Dammit : il s'agit bien du Satyricon revu et corrigé par Fellini, et non celui de Pétrone. Le film porte la marque de deux grandes préoccupations de Fellini à l'époque : la drogue et la science-fiction. Il a d'ailleurs déclaré à ce sujet qu'il avait filmé la Rome antique comme il aurait réalisé un documentaire sur les Martiens. C'est précisément dans cet esprit qu'il s'est efforcé de restituer une ambiance à la Flash Gordon, en utilisant différents filtres colorés et autres types d'émulsions.

Le tournage de Satyricon s'étendit de novembre 1968 à mai 1969, en pleine époque de libération sexuelle, d'expérimentation de nouvelles drogues et d'introspection psychédélique. Le film est imprégné de cet esprit de libération, hérité du mouvement underground. Comme les hippies des années soixantes, les anciens Romains de Fellini, égocentriques et béats, vivent dans l'instant présent. Dans Satyricon, tout est permis, ou presque."

(Federico Fellini par Chris Wiegand, éditions Taschen)

 

saty1

 

Il faut dire que le film, double antique de la Dolce Vita, ne s'embarrasse aucunement pour montrer une vision décadente de la Rome antique, témoignant d'un intérêt sentimental et sexuel des plus importants dans l'oeuvre de Fellini, se plaçant non loin de Casanova (qui témoignait d'une contre-performance à travers un personnage qu'on ne voyait que comme un Don Juan malgré ses prétentions artistiques et scientifiques et qui était obligé de montrer ses compétences au pieu afin d'être accepté et compris par les autres, cruel témoignage fascinant d'un mythe rabaissé à une posture chez le cinéaste. Ce dernier ne vivait que par le sexe et ses frasques témoignaient d'une errance vouée à un long effilochage douloureux) comme de La cité des femmes (représentations des deux sexes non couvertes d'humour toutefois à travers une imagerie et des situations qui mettaient autant les hommes que les femmes sur un même pied d'égalité, avec toutefois un hommage chaleureux et décalé du Maestro à la gente féminine).

 

Dans des décors proches de l'abstraction (ou d'une situation d'Art contemporain) et à travers un périple qui part d'une vision décalée de l'Italie au temps des romains (plus une vision spirituelle et mentale je dirais, ce qui n'a rien d'étonnant quand on connait le cinéaste de 8 et demi et sa propension à amasser les couches dimensionnelles et oniriques, voire inconscientes pour en tailler son matériau filmique) pour aller jusqu'aux frontières de l'Afrique et au delà, les personnages font des rencontres, souvent charnelles, se construisent autant leur vie (on peut voir le périple d'Encolpio comme une sorte de long rite initiatique, en cela confirmé par son impuissance à forniquer après "l'épreuve du labyrinthe et du minotaure", son périple vers Oenothée, sa supplique envers elle ("retrouver l'opprobre de mon glaive perdu" ou quelque chose du genre. Pendant un instant, je me suis demandé si Fellini ne reprenait pas Pétrone à la lettre dans le dialogue, un peu comme Baz Luhrmann reprend avec beaucoup de fidélité le texte Shakespearien pour son Romeo + Juliette) afin de retrouver ensuite sa virilité perdue) que leur identité sexuelle.

 

saty2

 

En en montrant juste ce qu'il faut, Fellini évite tout aspect vulgaire, laissant le spectateur se faire son idée, préférant suggérer et montrer les corps, postures et êtres que les actes proprement dit. Et sans doute que Satyricon c'est ça : un vibrant témoignage à peine décalé des années 68/69, transposé dans le texte fragmentaire de Pétrone, laissant à Fellini toute liberté d'organiser un voyage morcelé, déstructuré, axé autour des rapports humains et de la psychée par des biais charnels tant baroques que grotesques. Dans les moeurs libérées de nos romains, l'échangisme, le triolisme, l'homosexualité, voire la transsexualité (le personnage de "l'hermaphrodite" dont le haut du corps révèle des seins mais le bas, un pénis masculin), sans oublier les rapports de domination et de soumission (la lutte entre le pro-consul joué par Alain Cuny et Encolpio où ce dernier, vaincu, se retrouve ensuite obligé, suite à des noces sur un navire, d'être l'épouse du consul !) que ce soit la classe ou le sexe règnent abondamment. Le tout dans une odyssée toujours plus loin et reculée des limites de l'empire connu comme si le film avançait devant nous, s'obligeant à aller de l'avant, ne pouvant plus reculer.

 

Mais Satyricon, ce n'est pas que le rapport aux corps et au sexe, loin de là. Le film, quand il ne bascule pas aux frontières colorées et flashy du trip offre des fulgurances incroyables et bienvenues d'une beauté parfois cruelle. En témoigne cette séquence où une famille Romaine libère tous ses esclaves, fait partir ses enfants avec ceux-ci, puis, craignant la venue du nouvel empereur qui sonne comme un coup d'état funeste, décide de se suicider. La scène, lentement tragique ne se déroule aucunement hors-champ et devant nous, le mari s'ouvre lentement les veines tandis que sa femme boit lentement un vin qu'on devine empoisonné. La scène est d'autant plus frappante que pendant ce temps le couple continue de parler comme si de rien n'était et Fellini d'enregistrer l'un des requiems les plus crépusculaires le temps d'un film. Lequel offre tout le long des fulgurances tout aussi frappées et fabuleuses (la violence d'une décapitation brusque, un doux moment de tendresse avec une esclave nubienne dans un lit, les décors carrés sortis de chez le peintre Chirico, les couleurs à la limite pop, la femme qui crache du feu par l'entrejambe quand elle les écarte --ça c'est typique de Fellini il faut dire--, la scène finale...).

 

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Baignade, baignades... gneeuh

 

Un détail formidable digne d'un historien malgré les partis-pris artistiques volontairement décalé que livre Fellini à travers les décors (j'insiste sans doute lourdement une fois de trop sur les décors abstraits et totalement voulus du film quand on sait que dans Fellini-Roma, les décors et inserts qui ont trait à l'Antiquité Romaine sont véridique cette fois : en témoigne cette romaine qu'on entraperçoit se baignant, ces gladiateurs romains, ou plus sérieusement, ces fouilles romaines livrant des fresques dans le métro, moment de poésie rare. Cela montre que Fellini est particulièrement au fait de l'Histoire de son propre pays mais que l'espace d'un film, il l'écarte totalement pour ne livrer que sa vision personnelle. Le film s'intitule bien Fellini-Satyricon, pas Satyricon tout seul, de même qu'on a le Fellini-Roma) , c'est la parole chez les personnages. Quand ils ne parlent pas en Italien, les personnages parlent en Allemand (notamment la jeune esclave noire). C'est pourtant une production Franco-Italienne, alors, détail saugrenu ? En fait non car, et ça va vous surprendre, renseignement pris auprès d'un archéologue lors d'un séminaire, le plus gros de la population Romaine d'alors, provient de la Germanie. Eh oui. Que ce soit les soldats qui s'engagent dans l'armée, voire les esclaves ou les locaux. D'autant plus que quand un soldat est engagé (quelle que soit sa nationalité), souvent, sa famille le rejoint, dans des baraquements disposés à cet effet, non loin du camp. Arrêtons là la petite note d'Histoire et revenons au Film-trip.

 

saty4

 

A la fin, le voyage s'achève abruptement sur des peintures de ruines annonçant celles de Roma, figeant le récit dans un curieux abîme, témoignant de personnages perdus dans un lointain passé. Vanité des vanités, ont-ils seulement existés s'interrogeons-nous. Qu'importe semble répondre le cinéaste, car ils auront consumés et vécus leurs vies de bout en bout à une époque pas si éloignée où l'on respirait, mangeait, baisait comme on mourait, c'est à dire avec intensité, mais aussi parfois une soudaineté qui ne nous laisse jamais le temps de nous appesantir. Vision finale qui m'a ému et mis un peu K.O. Bien plus qu'un ballet de danseurs mécaniques figés dans le temps comme dans Casanova. Une réplique du film illustre sans doute le mieux celui-ci, la voici :

 

"Mieux vaut pendre un mari mort que perdre un amant vivant." Je crois que ça résume bien le film en gros.

 

"Satyricon fut le film le plus cher de l'histoire du cinéma au jour de sa sortie. Fellini avait tourné dans pas moins de 90 décors, tous droit sortis des studios de Cinecittà. La distribution comptait 250 acteurs avec l'habituelle kyrielle de physiques hors normes chers au cinéaste italien :  énormes femmes boursouflées et hommes malingres, presque squelettiques. Aux Etats-Unis, la première de cette chronique baroque et étrange de la Rome du Ier siècle après J.-C eut lieu à Madison Square Garden après un concert de rock. Selon Fellini, il fut projeté devant un public de 10 000 hippies, pour la plupart sous l'emprise de la drogue. Naturellement, rien n'empêche de lire ce commentaire comme une outrance habituelle au Maestro."

(Federico Fellini par Chris Wiegand, éditions Taschen)

 

Naturellement... Hmmm. gneeuh

En tout cas, le film ne part pas de mon esprit si facilement et y revient fréquemment. La marque d'un grand film pour moi, donc.

 

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Commentaires
P
J'écris un mémoire sur Baz Luhrmann est google m'a dirigé vers ton article. Je cherche a établir qu'il y a une relation entre Roméo + Juliette et Fellini-Satyricon dans le choix des décors et de la mise en scène du bal des Capulet. Grace a tes informations je pense avoir trouvé mon compte. Lire ton article m'a également donné très envie de revoir les films de Fellini. Bonne continuation pour ton blog. Je te garde dans mes favories :)
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N
Bonsoir Dasola !<br /> Oui le film est soft et, comme je l'ai dit plus haut, jamais vulgaire. Grivois et sensuel par contre je dirais plus. Et cette ambiance quasiment unique de fin des temps palpable... Le film me trotte dans la tête depuis quelques jours. Je vais essayer de le trouver en occasion mais je me fais peu d'illusions...
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D
Bonjour Nio, ton billet me donne envie de revoir ce film (vu une seule à la télé). J'avais beaucoup aimé l'atmosphère délicieusement décadente mais somme toute assez soft. Un bon souvenir. Les deux deux acteurs principaux: Hiram Keller et Martin Potter étaient très agréables à regarder. Bonne après-midi.
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