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Chroniques visuelles
3 avril 2011

Je vous salue, Marie.

 

je_vous_salue_marie  L'histoire de la vierge Marie, élevée ensuite au rang de sainte après avoir mis au monde l'enfant Jesus, ici revisitée à la sauce Godardienne.

 

Avant d'aborder ce film, il me semble judicieux d'évoquer le court-métrage d'Anne-Marie Miéville, "le livre de Marie", placé alors juste avant le film (sur la VHS), ou en bonus de l'édition récente trouvable dans l'énorme coffret Godard (car le film de Godard eu, on s'en doute, son lot de problème avec les autorités catholiques essentiellement et pendant longtemps, il fut difficilement visionnable, chose qui commence à se réparer lentement). Court intéressant et touchant avec Aurore Clément et le regretté Bruno Cremer ou les deux forment un couple en instance de divorce, se disputant la garde de la petite Marie. Au délà du pur bonus, ce petit film (qu'on aurait pu étaler sur tout un long tant il rivalise de justesse avec des grands drames et enterre d'un coup toute une production française parfois très sclérosée) se révèle un brillant instantané du couple Godard-Miéville d'alors, un peu pris dans la tourmente (j'en avais parlé ici un peu). Le premier s'étant entiché de Myriem Roussel, jeune inconnue avec qui il se rêve déjà d'être à nouveau le pygmalion, comme à l'époque d'Anna Karina, la seconde ne supportant pas cette femme qui accapare alors son compagnon suisse. Entre les deux Myriem Roussel donc, comme une enfant à garder, ou jeter, qui décidera un an après le film de rompre le contact avec le cinéaste Suisse, se trouvant un mari, ayant un enfant, choisissant une production un peu plus classique.

 

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Cremer sur le court, arbore des lunettes noire dont il n'est dès lors pas difficile de deviner l'origine, Aurore Clément à la blondeur de la compagne Godardienne, quand à la petite Marie, elle regarde même Le Mépris à la télévision. Difficile de ne pas pouvoir faire plus explicite. Pourtant, au creux du drame qui se joue, de la fêlure qui marque une jeune fille, une douceur cruelle bouleversante car échappant à tout jugement, tout cliché. La petite Marie, à l'instar du Di Caprio d'Arrête-moi si tu peux, choisit alors comme rébellion de prendre la tangeante, ici non pas en se créant un destin (devenir pilote de ligne, médecin, avocat...) mais en accaparant l'attention, de parler en poèmes et citations, créature typiquement Godardienne tentant alors d'échapper au destin qu'on lui a programmé en se fermant dans sa propre bulle.

 

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Quel que soit l'issue, tout le court appelle à une impossible réconciliation aussi bien provenant de la fillette que de ses parents où Anne-Marie Miéville fait dire au personnage de la mère : "Dans Marie, il y a aimer". L'amour du prochain, l'amour d'une relation avec l'autre, ce qui n'est pas toujours facile. Au même moment, la relation Godard-Roussel implose en plein vol à travers ce film taillé au forceps dont l'unique but ne semble que de démystifier la vierge en lui donnant une existence contemporaine, tout en essayant secrètement de dévoiler un corps qui l'obsède (plus Roussel que la vierge cette fois-ci). Dans Prénom Carmen, la jeune fille était reléguée à un plan secondaire, le cinéaste ayant pourtant tenu à ce qu'elle soit dans le film, la forçant même à prendre des cours de violon à son grand dam. Pour ce qui était du corps, il s'était rabattu alors sur la beauté sulfureuse de la hollandaise Maruschka Detmers, attendant patiemment de pouvoir faire passer sa seconde actrice à la casserole dans un second film. Mais ici il n'y a plus Detmers, Juliette Binoche joue un second rôle épisodique à peine traité (Marie-Madeleine dans le film. Il faut le savoir, ce n'est jamais clairement énoncé !), ne servant qu'a mettre en valeur le personnage de Marie, jeune basketteuse qui, un beau jour, se retrouve enceinte comme ça et c'est tout.

 

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Tout de suite on remarque que Godard se contrefout de toute théologisation concrète, évacuant chronologie et détails bibliques (Une certaine Eva mange une pomme et couche avec un philosophe après. Une manière un brin misogyne de dire que le savoir ne passe pas forcément par les bons orifices mon cher Jean-Luc ? Ou tiens, Marie-Madeleine-Binoche qui tente d'approcher Joseph pour coucher avec, juste comme ça pour le plaisir alors que la dite-pécheresse pour reprendre la bible (parce que moi j'y voyais plus une femme en avance sur son temps et son plaisir face à un dogme moral et une religion finissant de se créer) a plus vécu du temps de Jesus), se foutant même de son film, multipliant des plans parfois fumeux (le philosophe qui explique plus ou moins que la vie n'a pas été crée sur Terre, mais vient d'ailleurs, de loin, trèèès loin. Jean-Luc je ne sais pas ce que tu mets dans tes cigares pour le coup mais je veux bien tenter gneeuh ) ou à l'esthétique inutile. Ainsi, dans Prénom Carmen, on avait à quelques reprises des plans sur les vagues et les marées avec parfois des plans nocturnes de métro, ici on a quasiment un plan sur trois qui se propose de montrer le soleil ou la lune. Jour, nuit, jour, nuit, jour, nuit, jour... A un moment, le spectateur basique peut effectivement craquer.

 

D'autant plus que l'on sent que Godard se marre à ces dépens, de lui, voire du cinéphile, n'hésitant pas à remettre dans la bouche du pauvre Joseph cette réplique issue du Pickpocket de Bresson (*) : "Ô Marie, quel drôle de chemin j'ai dû faire pour arriver jusqu'à toi". A la base, le jeune pickpocket, à travers ses barreaux s'adressait à la jeune Jeanne (la sublime Marika Green) et constatait que seul l'amour pur qu'elle pouvait lui apporter l'aiderait à tenir le coup. Ici à cette réplique, la Marie de Godard énonce juste, vaguement énervé un "Qu'est-ce qu'il y a encore ?" en guise de réponse. Autres temps, autre cinéaste, autre genre de femme.

 

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Ici, comme poussé à l'extrême, ce qui intéresse Godard, c'est le corps de Myriem Roussel, qui en arrive à fasciner finalement. Le spectateur n'a plus sa place, pas même la foi ou ce qui s'en rapproche fortement chez d'autres cinéastes. La foi ici, elle est charnelle, et tournée dans ce corps de femme que Godard filme avec une étrange complaisance qui pourrait presque tourner au malaise (mais c'est justement dans son extrême de représentation du corps féminin que j'ai trouvé le film intéressant là où je sais qu'il pourrait énerver ou profondément ennuyer d'autres personnes). Comme souvent chez Godard, on filme le corps féminin en "blasons" mais la poésie est reléguée à une dimension du passé, ici au profit d'un autre mystère qui en devient presque abstrait : la courbe (ce ventre et ce début de pubis dont l'affiche reprend une scène), la torsion (des spasmes dans la nuit, voir photo), voire la béance (le pubis de l'actrice, encore plus frontalement que celui de Detmers dans le précédent film, la bouche ouverte finale pleine de rouge à lèvre, comme un clin d'oeil au film pornographique Deep Throat).

 

C'est finalement ça qui fait in-extremis que je garde un bon moment de ce film pourtant mineur et vaguement ennuyeux. Je ne sais pas par contre si je le reverrais de sitôt...

 

 

 

 

 

(*) Un autre clin d'oeil goguenard est adressé à Bresson avec, peu après la naissance de Jesus, cet âne noir qu'on caresse, réminiscence de la douce créature d'Au hasard Balthazar qui ici, prend un contexte peu biblique encore ! Quel rigolo ce Jean-Luc.

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