Sa dernière petite amie l'ayant plaqué bien avant lui, Antoine, jeune écrivain narcissique, décide de se venger des femmes. Son éditeur lui soumet alors l'idée de séduire la première fille venue, relater le tout dans un journal intime, puis abandonner la jeune femme au moment de la publication de l'ouvrage. Antoine tombe d'accord sur Catherine, une étudiante à qui il charge de faire les correction d'un ouvrage érotique méconnu et se met en charge de lentement la draguer. Seulement voilà, les choses ne se passent pas comme il pouvait s'y attendre...
Quand il sort en 1990, La discrète est le premier film du méconnu et discret Christian Vincent qui, axé essentiellement autour du duo Fabrice Luchini et Judith Henry (malgré la participation du regretté et excellent Maurice Garrel), va paradoxalement rencontrer un immense succès (prix de la critique au festival de Venise et 3 césars dont meilleur premier film et surtout, meilleur espoir féminin pour Judith Henry et la récompense n'est certainement pas volée tant la jeune femme sidère lentement tel un doux poison qui s'infuse au visionnage), à la grande surprise de leurs auteurs.
Ce qui fait tout le charme du film réside donc non pas dans sa mise en scène (somme toute assez banale même si l'idée de séparer chaque jour qui passe --signifié par une date en bas à gauche de l'écran-- par un fondu au noir est assez bien vue), mais la qualité d'écriture qui déploie des personnages fouillés au sein d'une analyse du processus de séduction minutieusement décortiqué. Les jours passent, les lieux se répètent agréablement (notamment des quartiers de Paris des plus connus (*)) mais la relation évolue, tout comme les enjeux se déploient admirablement sur un sérieux qui s'infuse lentement. Pendant le film, Antoine et Catherine se dévoilent et "la discrète" échappe alors lentement aux cases où le séducteur un brin prétentieux essayait de la placer, renversant ses préjugés, le faisant douter au final.
Il est d'ailleurs bien vu que le final du film, même un brin expéditif (C'est quoi cet espèce de moralisme qui pointe dans les dernières minutes ? Et cette voix-off surgie de nulle part là où les dates, donc la typo, pouvaient apporter une élégance qu'on aurait pu faire durer jusqu'au générique ?) change profondément les personnages, les faisant entrer dans un âge adulte qui leur était inconnu. Ceux qui se seront finalement aimés apprendront que la vie est bien plus dure et sérieuse qu'elle peut l'être. Si par exemple Antoine nous apparaissait passablement ennuyeux (malgré les anecdotes historiques passionnantes qu'il déverse tel un moulin à paroles et font paradoxalement tout le sel du personnage), il se révèle transfiguré à la fin, comprenant qu'il n'y a pas que les hommes qui peuvent avoir des besoins amoureux et/ou sexuels.
Le jeu des apparences est donc subtilement interverti (il faut voir en outre le personnage de Maurice Garrel qui se révèle des plus odieux vers la fin alors qu'on pouvait y voir une figure paternaliste et protectrice vis à vis d'Antoine, ce que pouvait confirmer le personnage de Manu, aide-libraire de la petite maison d'édition), montrant toute la complexité d'une réalité qui peut à tout instant se dérober lentement sous nos pas. D'ailleurs, Antoine n'est d'ailleurs pas à l'abri des imprévus qui peuvent lui tomber sur la tronche à tout moment (une femme qui le revoit dans un restaurant et manquant de plomber l'ambiance, une ex dans le même café où le séducteur donne rendez-vous à la jeune fille). Je remercie d'ailleurs le film de prendre ce genre de petit détail dans sa peinture d'un réel quotidien auquel nous n'échappons pas non plus nous mêmes.
Les deux comédiens principaux m'ont plus que séduits. Judith Henry incarne merveilleusement un personnage des plus basique, une girl-next-door mais qui se révèle grandement attachante et finalement plus ambigüe que ce qu'Antoine pouvait y percevoir au premier abord. Quand à Luchini, notre Antoine, que l'on suit pendant quasiment tout le film, il finit par lentement devenir intéressant quand ses propres idées préconçues de la vie et des femmes s'effondrent lentement. De l'imbuvable personnage (parfois tête à claque) qu'incarne Luchini, on finit par être de plus en plus préoccupé par son sort. Là aussi la performance de l'acteur m'a suffisamment plu pour que je commence à me pencher progressivement sur sa carrière, lui qui pourtant ne m'intéressait pas des masses, de par sa capacité à "déborder" dans et hors de l'écran. Comme l'indique l'acteur dans les bonus du DVD, il avait accepté le rôle parce qu'il en avait marre d'être catalogué comme un personnage Rohmerien et voulait prouver qu'il pouvait surprendre si on lui en donnait l'occasion.
Chose faite avec ce très sympathique premier film.
(*) Quartiers où j'ai passé une partie de mes années lycée ce qui n'a fait qu'amplifier le charme discret du film à mes yeux.