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Chroniques visuelles
17 décembre 2011

A dangerous method.

 

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Zurich, 1903. Carl Jung, jeune psychiatre, entame le début de sa carrière tout en partageant la vie de sa jeune épouse fortunée Emma. S'inspirant des travaux de Sigmund Freud, Jung tente un traitement expérimental connu sous le nom de psychanalyse sur Sabina Spielrein, âgée de 18 ans et diagnostiquée "hystérique" à son arrivée à la clinique. Le traitement et la relation entre Sabina et Jung comme celle de Jung avec Freud va alors prendre un tournant inattendu au fil du temps...

 

Je suis arrivé au ciné-club des Cahiers du cinéma pour l'avant-première sous une pluie glaçante hier soir. Dès l'ouverture un peu en retard, c'est un Stéphane Delorme fatigué (ils sont en pleine période de bouclage apparemment) qui évoque le film et explique pourquoi ils ont choisis de le défendre aux Cahiers (ça tombe rien, j'ai quasiment rien lu encore du dernier numéro des cahiers, ni de celui d'avant. C'est dire comment je suis à la ramasse en ce moment. Même mes chroniques ont dû vous manquer. Ou pas). Embrouillé, il peine à trouver ses mots et c'est le public qui l'aide à finir ses phrases à deux reprises. A juste titre, il révèle que le soit-disant académisme qu'on reproche à Cronenberg est assez trompeur du fait d'une vraie maîtrise --souvent resserrée-- de l'espace dans le film (exemples à l'appui).

 

            Cette présentation était intéressante puisqu'elle m'a permis de suivre le film "les yeux grand ouverts" (et non refermés comme ceux d'un certain Bill Harford). L'un appréciant le récit et les circonvolutions émotionnelles perçues, l'autre la mise en scène qui est tout sauf reposée. Je le dis tout net, pour moi, A dangerous method n'est pas un film facile comme on pourrait le penser. Si on remarque bien, de nombreux travellings discrets, sobres et élégants (d'une grande beauté encore peu observée chez le Canadien) ponctuent régulièrement le film. Certains se repèrent plus aisément que d'autres. 3 sont par exemple donnés lors du passage d'un ferry, d'un voilier ou d'un glissement à même l'eau, plan à la limite du flottement presque onirique qui surgissait l'espace d'un instant dans un Profession Reporter. Quand Nicholson écarte les bras en "survolant" la mer (comme s'il volait), c'est moi qui m'envolait. Quand Maria Schneider se retourne dos au soleil dans la voiture pour contempler un passé inédit, je crois voir le monde avec elle, celui instable et mouvant que mes sens limités perçoivent. Quand la barque de Jung glisse, je flotte avec lui pour, presqu'au ralenti apercevoir la silhouette de Sabina penchant lentement la tête.

 

            Et d'autres plans sont plus discrets, jouant de la durée tel cette caméra qui suit presqu'en steadycam Jung quand il revient de son séjour militaire "pour examiner des queues toute la journée". Furtif. Brillant. Où bien celui où une confession de Sabina se transforme en long plan-séquence se rapprochant lentement et de plus en plus de son visage, éjectant Jung hors du cadre, transportant à la fois la performance hallucinée de Keira Knightley en dévoilement intime de sa psychée. Presque du Tarkovski ce plan, ce qui est étonnant de la part d'un Cronenberg.

 

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            C'est que cette sobriété est faussement apaisée chez le canadien. D'une forme au repos, il parvint toujours à faire jaillir (éjaculer serait plus approprié au vu du cinéaste) des éclats. C'est parfois ce qui peut littéralement sauver un film de l'oubli qui le guette. Ce sont ces gorges tranchées et cette scène de la douche dans Les Promesses de l'ombre, la révélation brutale dans le van des policiers dans M.Butterfly (je dis ça mais j'aime beaucoup ce film. Il faudrait juste que je le revois car ça fait une éternité que ma VHS prend la poussière), dans Spider... Euh non. En fait on évitera de parler de Spider. Et pourtant, comment ne pas rattacher A dangerous method de Spider, M.Butterfly et Faux-semblants ? Spider était maniéré à l'extrême, M.Butterfly trouble, Faux-semblants glacial, A dangerous method apaisé, flottant, lumineux tout en restant paradoxalement tendu, propulsé par le jeu à la limite de la folie rampante des géniaux Knightley et Fassbender. Mortensen reste brillant attention, mais parfois éclipsé par ces deux là.

 

            Je le reconnais ouvertement, je n'ai jamais vraiment apprécié Keira Knightley (je vois déjà des gens prêts à se lever pour me balancer des tomates, attendez quoi). Pour moi c'était une actrice qui restait à fournir ses preuves. Ce n'est pas parce qu'on a un physique agréable qu'on peut se targuer d'être une actrice, c'est à dire l'incarnation d'une personnalité endossée, quitte à entre dévorée par le rôle comme Nina/Portman dans Black Swan. Avec Never let me go, le cas Knightley commençait à m'apparaître intéressant. Grimé en fille banale au milieu d'Andrew Garfield et Carey Mulligan, elle donnait dès lors plus à voir ses talents d'actrices dans un rôle pas si facile que ça. Avec A dangerous method, enlaidie (au début du moins), elle franchit enfin ce palier où l'on se donne entièrement corps et âme au personnage.

 

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            Fassbender n'est pas en reste. Une nouvelle fois il donne toute la mesure de son talent en jouant un personnage tout en retenue à la frontière de la folie (ce qui lui permet de se rapprocher avec Sabina/Knightley), ne laissant échapper que des bribes de colère et de hargne qui ne font qu'assoir plus la tension déjà donnée par l'interprétation de Knightley. Il y a une scène où pendant un bref instant j'ai retenu mon souffle. Allait-il frapper sa "patiente" dans ce geste extrême de colère ? C'est dire comment j'y étais. Au passage je réponds à un cinéphile qui se reconnaîtra plus haut, la balafre ne disparaît pas comme ça très rapidement, ce sont les années qui ont passé et qui montrent juste une petite blessure qui s'est résorbé.

 

            Mortensen campe la sagesse mesurée et là encore ce n'est qu'apparence tant on s'aperçoit le personnage être au fond profondément paranoïaque. Avec le recul, je me demande si ce n'est pas lui qui écope du rôle le plus dur du film, car le moins évident, celui de porter en lui l'incarnation supposée (par le jeu actorial), du père de la psychanalyse. Ou du moins sa possible représentation. Vous l'aurez compris, chez Cronenberg on est pas dans le biopic pur jus, mais la représentation de figures, d'archétypes qu'on s'approprie et fait vivre. Mortensen est sur ce point, une fois de plus, brillant.

 

Cassel fait du Cassel mais il le fait bien. Disons que depuis Les promesses de l'ombre et Black swan, je commence à bien cerner l'acteur, son jeu et l'apprécier de plus en plus. Sa gouardise, son charisme animal et l'image presque libertine qu'il véhicule (quitte à reprendre un rôle similaire à celui du film d'Aronofsky pour une pub de parfum !) semblent avoir dépassé l'acteur même (on se rappelle -ou pas, plutôt-- son rôle de Pan pervers dans Sa majesté Minor) s'inscrivant parfaitement ici dans le personnage d'Otto Gross en contrepoint du monogamisme de Jung.

 

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            C'est donc un film d'idées, un film cérébral (et pourtant très drôle très souvent) mais qui, comme souvent chez Cronenberg, aborde le sexe, tout autant théorisé ici (et les dialogues sont tout à fait intelligents sans jamais tomber dans la vulgarisation de la psychanalyse. Quand je relis des passages de "Introduction à la psychanalyse" de Freud (petite bibliothèque Payot) et que je repense au film, j'y retrouve le même ton, la même parole presque retranscrite à la virgule près) que pratiqué aussi bien pour le plaisir que l'enfantement. Ce n'est pas pour rien que la situation conjugale de Jung est souvent replacée dans le contexte et avec elle, la notion de fidélité quasi-indéfectible que sa femme Emma lui donne (Sarah Gadon est magnifique et touchante au passage) à ne pas confondre avec la pure vanité de l'épouse bien pensante et soumise (ce serait un peu trop simple).

 

            J'avais évoqué le rapprochement avec Faux-semblants et deux-trois autres Cronenberg plus cérébraux que charnels plus tôt, j'y reviens ici et A dangerous method n'échappe pas à une petite classification cinéphile, Cronenberg restant un auteur dont les thématiques se retrouvent ici aussi. Dans Faux-semblants comme ici, il y avait un trio amoureux. C'était la gémellité qui séparait pourtant deux individus différents dans leurs idées et sentiments vis à vis d'une même femme. A la fin l'union parfaite ne pouvait que se retrouver par une pièta dans la mort (on retrouve l'idée d'union parfaite dans La Mouche à la fin quand Brundle-fly suggère que "nous pourrions former la famille parfaite, toi, moi et le bébé"). Dans M.Butterfly, le trio était camouflé par le jeu des apparences et du travestissement. 3 personnages dont une femme qui cache un homme (et vice-versa plutôt), donc deux hommes et "une femme". Dans Crash, on retrouve une femme au centre de deux hommes qui se retrouvent en opposition et pourtant comme attirés l'un par l'autre. C'est largement moins visible dans Les promesses de l'ombre mais palpable aussi (si Naomi Watts n'était pas là, je me demande si Cassel n'aurait pas roulé une pelle en fin de film à Mortensen !). Ici, lutte des idées, des relations et influences des corps sur les autres. Là aussi, une femme, deux hommes, trois têtes pensantes qui vont chacune finir par s'élever chacune de leur côté (l'épilogue bien que concis est assez précis sur ce point). Si Sabina-Knightley avait été évacuée au milieu du film et que Cassel-Gross n'avait pas instillé suffisamment son poison, qui ne dit pas que Jung-Fassbender ne serait pas finalement retourné lentement auprès de Freud/Mortensen ?

 

Et puis le rapport au père qui ressurgit ici. Et tout aussi palpable que précédemment. Le père qui n'était qui n'en était pas vraiment un dans Spider. Le père qui se révèle différent dans A history of violence. Le père dangereux et rusé que représente Armin Mueller-Stahl dans Les promesses de l'ombre (là aussi les apparences sont mouvantes mais ce n'est plus le passé mais le présent qui rattrape ce père là). Le père symbolique ici à la fois d'un courant et d'une méthode comme celui, spirituel dont se réclame Jung. A chaque fois une nouvelle méthode pour "tuer le père", par la révélation, la violence, la dissimulation ou les relations de pouvoir.

 

Après tout ça, que dire de plus que ce qui est déjà visible dans le film, à savoir que la photographie et les cadrages sont sublimes et que la musique d'Howard Shore est très belle. Tout ici vise l'épure et réussit à finalement se tenir. Cronenberg n'en finit pas de m'étonner. Le film me trotte en tête depuis hier et si je ne vois ni Shame ni Mission : Impossible, protocole fantôme, ni le cheval de Turin d'ici là, il pourrait bien devenir mon film du mois, qui sait...

 

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