Curtis La Forche mène une vie paisible avec sa femme et sa fille quand il devient sujet à de violents cauchemars. La menace d’une tornade l’obsède. Des visions apocalyptiques envahissent peu à peu son esprit. Son comportement inexplicable fragilise son couple et provoque l’incompréhension de ses proches. Rien ne peut en effet vaincre la terreur qui l’habite…
Take Shelter de l'américain Jeff Nichols nous est arrivé bardé de prix et d'une grande réputation... Amplement mérité à mon sens. Rarement auparavant le terme "chef d'oeuvre" ne m'a traversé autant l'esprit qu'à la sortie de la salle, vacillant sur mes jambes. Si Hugo offrait un coeur à la cinéphilie à même de pulser sans retenue, Take Shelter devient le souffle et la respiration d'un même corps. Une analogie organique qui n'est pas sans rappeler les mots de Björk à propos de son album Homogenic en 1997 où elle définissait d'un côté les machines, de l'autre les violons, soit la rythmique et la pulsation du coeur face au travail complexe des nerfs. Il en résultait qu'Homogenic sous ses dehors parfois austères prenait bien souvent aux tripes à chaque compositions car celles-ci étaient pensées presque quasiment à l'instar de mondes spécifiques n'existant que par et pour la volonté de l'auditeur. Qu'on se rappelle par ailleurs la fin du clip Joga issu du même album où l'Islandaise, en s'ouvrant le coeur nous donnait à contempler son coeur... qui n'était autre que sa propre patrie Islandaise en train de tournoyer majestueusement sur elle-même.
Take Shelter est d'emblée un corps avec un coeur qui bat qui n'est autre que le personnage de Curtis (Michael Shannon qui me fait une bien meilleure impression que dans le Bug de Friedkin curieusement. Je le trouve plus mesuré, plus sobre, moins expensif. En même temps il était très bon aussi chez Friedkin, c'était plus la mise en scène trop proche du théâtre et de la pièce d'origine qui m'embêtait) que Nichols va s'attacher à suivre consciencieusement sans jamais le lâcher d'une semelle, construisant le récit avec lui et amenant du même coup la question principale : Curtis est-il fou ?
La réponse subjective que tout le monde pourrait formuler, moi le premier, serait de dire "oui", évidemment, en témoigne ce climax majestueux et presque final dans l'abri souterrain qui voit, par un subtile échange de regards, de sensations, de promesses deux êtres qui s'aiment décider de prendre la décision finale qui s'impose sans jamais trop en faire. Shannon et Chastain (Tree of life) sont parfaits de bout en bout et l'écriture est un constant régal, n'en faisant jamais trop, traitant les différents personnages avec la densité qui leur est dûe. Un autre exemple de cette rare qualité d'écriture faisant le bonheur d'un film d'auteur indépendant à petit budget soigné (mais utilisant avec régal les mécanismes de terreur que peuvent utiliser d'autres grands films, bénéficiant de plus de moyens), toutes les scènes avec la mère de Curtis en plein milieu du film, dévoilant un rapport basé sur la crainte et le respect. Curtis ne veut pas devenir comme sa mère et veut tout faire pour protéger ses proches de ce qu'il voit dans les visions qui l'assaillent. Dans le même temps, ses actions se soldent par l'effet inverse. Mis à part son épouse qui, tel un roc, restera à ses côtés, Curtis sera exclu de cette communauté de l'Ohio du fait que ses actions restent inexpliqué. Et ce qui est inexpliqué et différent fait toujours peur, on ne le sait que trop bien, les plus grands films ont souvent joué là-dessus (sinon il y aurait longtemps qu'on aurait pardonné à l'Alien d'avoir boulotté tout l'équipage du Nostromo d'un : "mais il avait juste un petit creux, il est pas bien méchant").
Le contrechamp sur les autres personnages ne nous permettra pas d'en savoir plus, tout au mieux sait-on que Curtis leur est différent et que son changement d'attitude n'est pas accepté. Notre héros lui-même ayant des difficultés à se confier à sa chère épouse, doutant lui-même de ce qui est perçu, puis encore ressenti dans la réalité (alors que dans son rêve un chien l'a mordu, le lendemain au travail, la sensation d'avoir eu véritablement le bras déchiqueté se poursuivra pendant longtemps).
Réalité que l'on va du même coup questionner nous-même en temps que spectateur quand on s'apercevra que la fille de Curtis peut elle-même voir les mêmes choses que son père... Comme si elle avait été contaminé et que la contamination devait s'étendre ensuite sur le reste de sa famille puis du monde... Evidemment, Nichols ne surligne jamais les visions terrifiantes, n'en rajoute jamais une couche, ce qui permet, jusqu'au bout d'être aussi hallucinés que le personnage principal, K.O. Le travail du montage comme du son, primordial dans ce genre d'exercice, semblent parfaits de bout en bout. Jusqu'à une fin étrange et double dans le même temps qui permet deux ouvertures laissées à l'interprétation du spectateur, libre à lui d'adhérer pleinement ou non. Mais jamais le réalisateur n'aura forcé la main, délivrant un récit toujours fluide et simple qui fait la marque des plus grands.
Film riche, film puissant, film important. Chef d'oeuvre pour ma part, et ils sont de moins en moins nombreux les films qu'on peut nommer comme ça. Je sais que mon avis divisera aussi sûrement que l'interprétation et l'appréciation que le film délivre en chacun de nous mais reconnaissons tous que le film ne peut que marquer en un sens.
J'y reviendrais probablement, beaucoup trop à dire et décanter alors que le temps m'est tellement compté.
Ta lecture de la fin est intéressante (la maladie serait comme un poison). Moi je la vois de manière très poétique. Je trouve que le film, assez joliment, joue tout le long avec les images, les symboles, et au final en raconte beaucoup plus que son sujet de départ (la question de la famille, le handicap, le regard sociétal sur une classe moyenne délaissée...). Dans tous les cas un très beau film je trouve.