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Chroniques visuelles
29 janvier 2012

L'état des choses.

 

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Un petit groupe de gens perdus au milieu de nul part ouvre le film. Qui sont-ils ? D'où viennent-ils ? Profitant d'une pause, leur leader escalade une dune de sable puis sort sa mini-caméra à la recherche d'éventuels survivants... tout comme eux. Devant lui un monde en ruine, fait de rues désertes et de carcasses de voitures qui jonchent le bitume et la poussière. Derrière lui, des gens épuisés, recherchant un moyen de prolonger un peu plus leur vie dans ce monde devenu apocalyptique où les notes d'une musique synthétique évoquant John Carpenter résonne bien lugubrement.


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Le groupe reprend sa route, il faut trouver un moyen de gagner la mer. Sans doute que d'autres survivants ont pu élire un camp ? Après tout il y a des traces de pas, signe que des humains sont passés par là et qu'un espoir subsiste encore. Pourtant les vivres manquent. Une petite fille et à l'agonie et Mark, leader pragmatique décide de la supprimer froidement en l'étouffant pour éviter toute contamination possible. Car, cela n'est pas indiqué mais sans doute que la nature s'est modifiée suite à des radiations nucléaires ? Que le monde est envahi de nouvelles forêts aux spores mortelles comme dans Nausicäa de la vallée du vent d'Hayao Miyazaki ? Une jeune fille ayant touché quelque chose sera d'ailleurs sommée impérativement de retirer son gant : l'instant d'après, on le voit commencer effectivement à fondre...


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Poussant un portail, nos héros arrivent enfin à la mer. La seconde jeune fille retire alors son masque et ses lunettes de protection solaire et déclare l'endroit propre à être habitable. On aperçoit même de la vie, deux mouettes que la jeune fille regarde avec étonnement...


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Alors qu'après un plan subjectif, la couleur se modifie (façon de parler), passant d'un sépia somptueux et Tarkovskien (auquel Wenders rendra hommage par un incipit à la fin des Ailes du désir quelques années plus tard) à un noir et blanc profond et un homme, le réalisateur, Friedriech Munro (joué par l'excellent Patrick Bauchau) vient embrasser la gamine qui jouait, qui n'est autre que sa fille. Le plan est fini, on passe au réel mais le véritable film commence et notre chronique avec elle.

 

En 1982, dans un état apparemment sensiblement déprimé, Wim Wenders tourne L'état des choses (aka The state of things ou en allemand, Der stand der dinge) qui se veut une réflexion à la fois sur le cinéma comme un nouveau tableau des errances Wendersiennes, cette fois sous l'égide de multiples références cinématographiques qui laissent à penser que ce film serait probablement l'une des nombreuses clé de voûte de sa filmographie déjà assez riche. Le pitch, est des plus simples : une équipe de cinéma tourne the survivors, le remake d'un petit film de science-fiction fauché des années 50 --en fait un film qui existe bien puisqu'il s'agirait de The day the world ended de Roger Corman (1955) ! -- afin d'en faire une vraie petite série B, musique Carpenterienne et minimaliste (sublime comme souvent quand Jürgen Knieper travaille avec Wenders. Il me faut ses B.Os raaah !) à l'appui. Sauf que l'argent puis le producteur viennent à manquer soudainement. Le film doit s'arrêter. S'installe alors une étrange période d'attente, puis d'ennui pour l'équipe de tournage sans nouvelles de son producteur. Certains sembleraient même perdre les pédales. D'autres s'occupent comme ils peuvent, dessinnent, se baladent dans ce décor assez surréaliste (Tout un hotel abandonné du Portugal pas loin de Sintra apparemment. Le genre de lieu où j'aimerais fortement aller !), font l'amour, se racontent des blagues, font de la musique... 

 

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Sur cette base, Wenders va construire un film structuré en 3 parties bien distinctes étant à la fois un hommage au cinéma qu'il admire  comme une réflexion sur celui-ci. La première partie est le film dans le film, soit l'histoire de SF dont on va s'apercevoir très vite que ce n'est pas le véritable sujet. Puis la seconde partie, la plus longue (et de mon point de vue, la plus passionnante même si j'adore le film dans son ensemble), basée sur l'attente puis le surplace, fortement reliée à Antonioni.

 

"Même s'il préfère parler d'Ozu (derrière lequel il aime à se cacher), l'auteur d'Au fil du temps, Wim Wenders, reconnaît sans ambages sa dette envers Antonioni : "c'est l'un des metteurs en scène qui m'a le plus touché après Ozu. J'aime sa façon de regarder, de filmer les choses et les paysages." (A ce propos, il est curieux que la critique n'ait jamais souligné les analogies qui existent entre Alice dans les villes et Le Cri, entre Paris-Texas et Zabriskie Point.)"

Antonioni par Aldo Tassone, éditions Flammarion, collection Champs, p.392.

 

Comme chez Antonioni, une ambiance indélébile s'installe. Le même surplace qui pourtant s'avance vers quelque chose, une résolution, déjà au coeur d'un film comme L'Avventura. Ce dernier n'avait-il pas été traité de "film policier à rebours" (Tassone citant le propos d'un critique à la page 211 de son ouvrage dédié au cinéaste italien) du fait que le mystère de la disparition d'Anna au début du film était évacué lentement au profit de la mise en place d'une étude des sentiments amoureux naissant que la durée du film permettait d'installer ? A sa sortie en 1960, le film était alors incroyablement moderne tout en divisant. Il continue d'ailleurs encore de diviser. L'état des choses lui, part d'un film de cinéma pour créer un autre film puis encore un autre film (c'est la 3e partie, on y vient).

 

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Le premier film, c'est donc ce petit film de SF qui est lui-même mis en abime par l'histoire de cette équipe de cinéma obligée de cohabiter au milieu de nulle part faute de mieux. Ce second film ou seconde partie va être l'occasion d'aborder le cinéma par les coulisses. Devant nous, c'est tout le processus de fabrication du film, symbolisé par ses différents composants (toute l'équipe et leur fonction est donnée au générique de fin) qui est mis en déroute et patine, faute de mieux. Pourtant, Wenders y applique un filmage presque documentaire et capte au mieux le désarroi ambiant. C'est pourtant là aussi une mise en abime, le générique d'ouverture, tapé à la machine (à l'image de ce script que Dennis n'arrive pas plus à finir dans la seconde partie, tellement dégoûté d'avoir fait confiance à ce réalisateur qui espérait pouvoir faire un film européen pour l'Amérique), comme tapé en direct par un quelconque démiurge semble coller trop au cadre pour qu'un travelling le vire lentement en hors-champ, ne se focalisant plus, deux plans après sur  une machine à écrire enfermée dans une boîte noire (belle analogie) et une chaise de membre vide et bougeant un peu dans le vent où le titre s'inscrit. Enfin la troisième partie permet un discours théorique confrontant le cinéma américain et européen, leurs essences en déplaçant le réalisateur directement à Miami à la recherche de son producteur disparu. Le réel n'en sera que plus brutal.

 

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Durant tout le film donc, Wenders joue avec le cinéma, le mettant aussi bien au premier plan qu'au second plan. Le film faisant constamment des références et des clins d'oeils sans jamais que celà n'entrave le récit mais qu'au contraire, ça le fasse pleinement vivre et partaicipe à l'étrange atmosphère. Antonioni oui, en majeure partie, mais pas que. Déjà dans le film, on mentionne à plusieurs reprises The searchers de John Ford, film qu'a la fin, Friedriech croisera à Miami puisqu'il passera devant un cinéma qui le rejoue. Ensuite, comme chez Godard, la présence de monstres sacrés du cinéma auquel Wenders (qui joue un passager du tramway non crédité d'ailleurs !) donne un rôle important dans son film. D'abord Samuel Fuller qui joue le caméraman (auparavant vu chez Godard dans Pierrot le fou en tant que... réalisateur), puis Roger Corman qui joue l'avocat du producteur disparu ! Friedriech Munro d'ailleurs est un jeu de mot qui évoque ni plus ni moins que Friedrich (Wihelm) Murnau, cinéaste légendaire lui-même adoré par Wenders le cinéphile. Samuel Fuller rentre dans un bar qui s'appelle... le Texas Bar (clin d'oeil à Paris Texas qu'il fait juste après ?). Sans oublier le fait que Wenders emprunte toute l'équipe de son film au film Le territoire de Raoul Ruiz (Bauchau en plus), film apparemment horrifique. L'ouverture c'est de la SF tiens. Et puis la fin dans la caravane et après...

 

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Mais en fait on pourrait encore disserter longtemps sur la richesse de l'objet et ses implications, Wenders ayant livré là un objet à la fois hermétique et ouvert à tout. Très grand film.

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Commentaires
P
Je ne l'ai jamais vu celui-là. Il a l'air étrange quand même, il vaut mieux être en forme pour le voir je pense :)
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