Robert Crumb : de l'underground à la genèse.
En ces temps de canicule, votre serviteur a le choix entre se liquéfier sur place à côté de son ordinateur qui fait du bruit et ventile comme pas possible, créant encore plus de chaleur (mais comment diable des blogueurs acharnés tels Filou, Dasola, NoA, Bob ou Johell arrivent-ils à pouvoir encore faire des mises à jour avec cette température ? Le mystère demeure); ou essayer de bouger, sortir, planquer sa tête dans un frigo, chercher le refuge des salles obscures, feuilleter des livres dévoilant de jeunes pin-ups légèrement dévêtues...
Etant trop lessivé pour parler cinéma (j'ai quand même vu deux-trois choses) ou évoquer mon court séjour en Suisse, j'ai essayé de me changer les idées en allant voir l'exposition dédiée à Robert Crumb au musée d'Art moderne de Paris, dont c'est les derniers jours (elle se termine demain dimanche !). Je ne connaissais pas l'endroit, j'ai pu donc découvrir un cadre charmant placé non loin de la tour Eiffel et juste à côté du palais de Tokyo.
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Le ton est donné avec ce genre de choses. Et puis en bas à droite...
Sacré Crumb, on voit déjà de quoi il put souffrir plus jeune...
Une chouette amie (proche) m'ayant envoyé un laisser-passer, j'ai tenté de voir l'exposition du mieux que j'ai pu, quand j'avais un moment de libre. Il faut dire que Crumb est un artiste qui compte pas mal pour moi. Je connais ses oeuvres depuis que je suis au collège, au hasard d'un vinyle célèbre (cf plus bas), plus de BDs et dessins un brin cochons et ironiques entraperçus chez l'un de mes tontons. Son style de dessin à la fois hachuré, presque gribouillis tout en faisant émerger un style bien particulier et reconnaissable entre mille dû là aussi certainement m'influencer.
Affiche non retenue du jeune Crumb pour un festival psychédélique non-existant.
Né en 1943 à Philadelphie, Crumb va vite s'imposer comme une figure de l'underground dans les années 60, à la fois en marge de son époque (le grand public ne le découvrira que près de 30 ans plus tard et encore...) tout en étant plus que critique sur l'actualité de cette dernière. En 1968, installé à San Francisco, il lance la revue ZAP comix qui lui permet de toucher tout le public de la frange contestataire, hippie, marginale ou autre. Le terme comix, à la différence du comics s'orthographie alors volontairement pour désigner des BDs aux préoccupations plus adultes, parlant volontairement névroses, politique, idéologies et surtout sexe.
"Crie "pitié", salope de hippie !" ...Comme je le disais, un regard sur l'époque.
gné ?
Attention parents, les hippies hypnotisent vos enfants.
Notez bien ce qui est ironiquement écrit en dessous de cette joyeuse copulation mécanique.
En parlant de sexe, il était inévitable que l'exposition aborde le versant charnel de l'artiste à travers son penchant immodéré pour les femmes, souvent fort plantureuses. Crumb les aime pleine de vigueur avec des jambes musclées (souvent des bottes... l'aspect fétichiste du bonhomme) et un corps plus qu'athlétique. Une manière de témoigner d'un corps désiré en substituant le corps maigrelet et décharné qu'il a toujours eu ? Peut-être...
Crumb dans les années 60,70 s'autorise d'ailleurs un peu tout. L'une des choses les plus positives de l'auto-édition est généralement que la censure y est inexistante. Du coup, il n'est pas étonnant que le bonhomme ait pu mettre en scène une bonne partie de ses fantasmes avec les femmes (jusqu'à même qu'on titre un recueil de ces histoires ici sous le titre : "Mes problèmes avec les femmes" !). D'ailleurs, il fut régulièrement taxé de misogynie par les féministes. Alors Crumb, vraiment un gros misogyne phallocrate ou au contraire un féministe caché au fond ? Difficile à dire étant donné que les dessins donnent autant de grain à moudre d'un côté comme de l'autre.
C'est moi ou l'une des mains de l'artiste... Ow.
Là encore, le texte est assez savoureux je trouve.
Et hop, vengeance envers ces connards de machos. Ecrase-les ! Pas de quartier !
Quand ces personnages féminins ne se font carrément pas humilier sexuellement par l'avatar de l'artiste, ce dernier en fait de super justicières qui écrasent les hommes ou dédouble les multiples personnages comme autant d'identités féminine. D'autant plus que Crumb n'est nullement pas un pervers ou obsédé de la chose (même si elle parcourt son oeuvre) puisqu'il ne se limite pas qu'à ça. Et souvent l'artiste délaisse ses comix pour souvent travailler pour la presse (cf, le dessin à propos de l'éducation et du rôle grandissant de l'informatique dans ce domaine ci-dessous), et travailler continuellement divers croquis, avec une soif du dessin inlassable.
Illustration (pour la revue The New Yorker je crois).
Portrait de Jack Kerouac.
Et encore en marge, Crumb nourrit une passion supposément plus enviable, la musique. En effet, le bonhomme est connu pour dénicher inlassablement des vinyles de blues des années 20 à 40. Et quand il ne farfouille pas ces précieux trésors, il illustre quelques pochettes et sème des dessins qui font pâlir d'envie beaucoup... On lui doit la très connue et cultissime pochette du "Cheap Thrills" du groupe de Janis Joplin (cf photo ci-dessous). Une Janis d'ailleurs avec qui il sympathisa à un moment donné avant sa disparition soudaine.
Janis et Crumb tels des Yoko and John.
Alors au final Robert Crumb ? Un obsédé ? Un passionné ? Un marginal sensible ? Un lucide sur le monde qui l'entoure ?
Sans doute un peu de tout ça mais peut-être plus que tout, quelqu'un qui a cherché à jouir sans entraves de la vie en plaçant son Art plus que tout au centre de sa vie, livrant sans fard tout au lecteur (même sa vie familiale, un livre constituant les comics co-réalisés sur leur vie de famille avec sa femme Aline est sorti dernièrement, "Parle-moi d'amour" !), le plaçant lentement comme un membre caché de la famille en somme.
Une exposition à voir d'emblée avant le dernier jour si ce n'est pas encore fait. Cela dit, il nous reste toutes l'oeuvre inépuisable de l'artiste encore bien vivant pour nous régaler au cas où.
(rien à voir mais tout celà me donne furieusement envie de me remettre à dessiner pour mon autre blog. Comme quoi)
Deux dessins de Kathy Goodell par Crumb en 1974, puis...
...en 1994. A moins que ce ne soit l'inverse ?