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Chroniques visuelles
18 novembre 2012

La course au mouton sauvage / Danse, danse, danse.

 

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La vie du narateur, jeune cadre publicitaire à Tokyo, n'a rien d'exceptionnel. Jusqu'au jour où, pour avoir utilisé une photographie où figure un mouton d'une espèce rare, il est approché par une puissante organisation d'extrême-droite. Le voici contraint de retrouver l'animal --doué, il est vrai, de pouvoirs extraordinaires. Comme toujours chez Murakami, le réel repose sur des fondations délicieusement instables...

 

murakami_haruki_danse_danse_danse_image

 

Persuadé qu'une ancienne rencontre l'y appelle en rêve, le narrateur, un publicitaire branché filles, bouffe et scotch, retourne séjourner dans un hôtel. Sur place, il constate que le modeste établissement s'est transformé en un palace d'une vingtaine d'étages. Ce qu'il va découvrir défie les règles de l'imagination. Une chose est sûre, sa vie a changé -- et c'est le plus important. Un roman qui nous emmène danser sur le fil toujours ténu de la réalité.

 

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Je ne voulais pas chroniquer La course au mouton sauvage sans parler de "sa suite" (qui n'en est pas vraiment une à proprement parler puisque même si l'on retrouve des personnages, l'intrigue n'est plus la même) et vice-versa. Car à la lecture et au recul sur ces deux livres de Murakami, on peut dire que l'ensemble forme un tout. Et râler un peu plus en bon français de ne pas voir les précédents volets traduits chez nous. Car en fait, c'est toute une saga que Murakami semble avoir construite autour d'un même personnage plongé à chaque fois dans un univers assez décalé. La course au mouton sauvage (1982) et Danse, danse, danse (1988) "suivent" Ecoute le chant du vent (1979, son premier roman) et Le flipper de 1973 (1980).

 

 

Mais plus que de simples suites, ce sont des livres qui reprennent un même narrateur (parfois assez imbu de lui-même et critiquant tout ce qui offre un changement assez inattendu entre le personnage de danse danse danse et d'autres caractères masculins Murakamiens), des personnages qui reviennent ou se font écho d'un livre à un autre (on retrouve dans danse danse danse l'étrange "homme-mouton' (*) ou "Kiki" qui étaient dans La course au mouton sauvage) quand ce ne sont pas des endroits (Sapporo, l'hôtel du dauphin) ou des situations similaires (une scène de rencontre à la bougie au chapitre 10 de danse renvoie à une discussion nocturne de la course) qui se répondent d'un livre à un autre.

 

Pour autant les deux livres sont différents dans l'histoire proposée et l'état d'esprit que renvoie Murakami une fois la lecture finie. Si La course au mouton sauvage semble se finir sur un sentiment étrange et crépusculaire proche de l'amertume, Danse marque une sorte d'éveil et d'ouverture à d'autre choses comme un énième nouveau départ vers de belles promesses. La course est marqué par un sentiment de perte sans doute assez proche de ce que doivent ressentir ceux qui sont en manque du mouton magique --une fois qu'il vous a "investi", le dit-mouton vous guérit, vous ouvre les portes de plein de choses, prolonge votre vie... Mais quand il part, celui qui le portait en lui régresse, se flétrit, se meurt--, là où danse inaugure un processus où il s'agit de combler le coeur d'un narrateur devenu bien solitaire et renfermé (ce qui n'empêche pas des passages aussi sombres). En somme, d'essayer de s'ouvrir à la vie pour "continuer à danser, sans jamais s'arrêter". Le seul point commun des deux ouvrages, un sens de l'humour peu commun chez Murakami ou pas aussi poussé dans ces autres oeuvres, dira-t-on. L'écrivain avouait d'ailleurs dans une de ses rares interviews avoir écrit Danse danse danse comme contrepoint au passionnant La ballade de l'impossible où il s'était sans doute senti trop investi.

 

Quand on les lit, plus que tout, ces deux Murakami laissent un étrange sentiment à la fois de direct et de surplace que l'on ne ressent pas forcément ailleurs chez lui. Non seulement tout est parcouru de longs passages contemplatifs (l'arrivée au chalet ou le fait de marcher pour y parvenir, observer une fenêtre en face où des gens travaillent jusque tard dans la nuit dans La course, se promener dans l'Hotel du dauphin d'un étage à un autre, faire plusieurs fois le tour d'un pâté de maison dans Danse) mais surtout, il ne s'y passe parfois pas grand chose... Un peu comme dans la vraie vie justement. Or Murakami est un habitué de ces petits passages contemplatifs qu'ailleurs il arrive si bien à transformer en incroyables passages de ressentis (je pense à Kafka sur le rivage, Au sud de la frontière - à l'ouest du soleil ou au génial La fin des temps) mais ici, sans nous plonger dans une trame qu'il a déjà quasiment lancé depuis le début; l'impression donnée est que, littéralement, comme dans la vie, quelque chose semble s'écrire en même temps que nous lisons/vivons. D'où au final, un sentiment persistant d'être partagé, mi-amusé, mi-déçu. Là où l'on se serait habitué à ce que Murakami nous prenne par la main et nous guide dans son univers, on a quelque chose où il semble rester dans l'ombre, comme enjoignant au narrateur (et donc nous-même) "d'avancer", sans autres indications. Et pour cela, comme d'autres livres du bonhomme, ces deux livres sont donc des réussites. Car même un peu déçus, comment ne pas reconnaître une fois de plus le talent du bonhomme pour faire naître des moments rares, précieux et d'une grande poésie à plusieurs passages ?

 

shaunmouton

 

"Minou minou minou, dit le chauffeur au chat, en se gardant bien d'y porter la main. Comment s'appelle-t-il ?

_ Il n'a pas de nom.

_ Comment faites-vous alors pour l'appeler ?

_ On ne l'appelle pas, dis-je. Il est là, c'est tout.

_ Mais il ne reste pas tout le temps immobile. Il bouge, sous l'effet d'une volonté. Ça ne vous semble pas bizarre qu'un être qui agit de part sa volonté n'ait pas de nom ?

_ Les sardines aussi bougent selon leur volonté, et pourtant on ne leur donne pas de nom.

_ Oui, mais il n'y a aucun échange affectif entre une sardine et un être humain. D'ailleurs, une sardine ne comprendrait pas son nom. Cela dit, rien ne vous empêche de lui en donner un.

_ Si je vous comprends bien, pour qu'un animal puisse prétendre à un nom il faudrait qu'il se meuve de sa propre volonté, qu'il soit capable d'échanges affectifs avec les humains et, qui plus est, qu'il soit doté du sens de l'ouïe. N'est-ce pas ?

_ C'est cela, oui, dit le chauffeur qui opina à plusieurs reprises, l'air convaincu. Dites, ça vous dérangerait si je lui donnais un nom ?

_ Absolument pas. Comment l'appelleriez-vous ?

_ Que diriez-vous de "Sardine" ? Puisqu'au fond vous l'avez traité comme une sardine jusqu'à présent.

_ C'est pas mal, dis-je.

_ N'est-ce pas ? fit-il fièrement.

_ Qu'en dis-tu ? demandai-je à ma girlfriend (**).

_ Pas mal du tout, dit-elle. On croirait assister à la création du monde.

_ Et la Sardine fut ! dis-je.

_ Viens, Sardine", dit le chauffeur en prenant le chat dans ses bras. Pris de frayeur, le chat lui mordit le pouce, puis il péta."

(Extrait de La course au mouton sauvage, Editions du Seuil, collection Points, p.186)

 

 

 

 

 

 

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(*) En fait un homme recouvert d'une peau de mouton comme vêtement. C'est assez comique de se l'imaginer.

(**) En italique dans le texte.

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Commentaires
C
Une lecture très tentante et tu sais quoi je n'ai encore rien lu de Murakami ^^<br /> <br /> <br /> <br /> Honte à moi :D
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P
J'adore l'extrait que tu as choisi de partager :D ;) Quand ma PàL aura diminué, j'ai bien l'intention de m'attaquer sérieusement à son œuvre parce que j'ai aimé 1Q84 même si je suis restée sur ma faim :)
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