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Chroniques visuelles
9 mai 2013

Powaqqatsi (1988)

 

"Koyaanisqatsi et Powaqqatsi n'ont pas le même langage visuel. La musique aussi doit être différente"

(Godfrey Reggio à Philip Glass (*))

 

 

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Second volet de la trilogie des "Qatsi" de Godfrey Reggio après Koyaanisqatsi (1982) et avant Naqoyqatsi (2002). Composé comme les autres titres de mots de la langue indienne Hopi, ici "Powa" et "qatsi" qui signifient pour l'un "usurpateur" dans le sens de magicien qui vit au dépens des autres --comprendre donc quelque chose qui tient du parasite ?-- et "qatsi" qui signifie la vie, un mode de vie.

 

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Si Koyaanisqatsi était une expérience fascinante qui l'élève (perso) au rang de chef d'oeuvre, il est encore plus difficile de parler de Powaqqatsi, complètement différent tant dans son propos que sa mise en scène. Déjà là où Koyaanisqatsi faisait montre d'une certaine linéarité ou dirons-nous plus, d'un "programme" en cela constitué des plages de Philip Glass comme autant de chapitres passionnants tous tendus vers l'hallucinant final de près de 30 minutes où un morceau tel que The grid malmenait tout autant les images que son spectateur et auditeur tétanisé par un rythme devenu implacable; Powa est autre, à la "narration" éclatée comme autant de points perdus sur une même constellation d'actes et de faits humains. Pas de hauts faits dans Powa, pas de séquences à tomber à la renverse, pas de défis techniques à l'image de son aîné qui élevaient ce dernier dans une certaine abstraction, ici tout est à hauteur d'hommes et de femmes et ne se permettra le plus souvent que des ralentis somme toutes très modestes quand on voit comment cette figure de style a de nos jours était esthétisée le plus souvent en surenchère.

 

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D'où sans doute une impression de surplace accentuée au fait que le film ici, laisse la part belle aux petits détails, souvent pris sur le vif à "99%" (dixit Reggio qui explique l'un des rares moments mis en scène : le passage d'un gamin en egypte près d'immenses camions. Le mioche étant trop proche de la caméra, le réalisateur lui a juste demandé de revenir sur ses pas pour marcher vers l'objectif et donc le spectateur. Simple et modeste, à l'image de tout le film). Très souvent le cinéaste et son chef opérateur "posent" la caméra et "laissent faire" en quelque sorte. Et la magie opère. Après la "grandiloquence" (nullement péjorative car comme souvent chez le cinéaste, la mise en scène sert entièrement le propos) du film précédent, le contraste est brutal et le spectateur pourrait s'ennuyer et pousser un petit baillement. Sauf qu'au bout de 20 minutes le film décole lentement et majestueusement jusqu'à la fin. Reggio est modeste en disant que le hasard intervient et le spectateur comprend au visionnage qu'il y a un travail titanesque de montage (qui vire presque Godardien quand il s'agit de laisser des voitures passer et tout de suite basculer sur un autre plan de circulation mais dans un autre pays, un autre temps comme si les véhicules qui coupaient l'images faisaient "respirer" le film) qui s'avère presque miraculeux.

 

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Un montage pensé et librement réfléchi comme tout le reste par les compères Reggio et Glass, articulant les séquences, leur donnant en fait un début et une fin, jouant sur l'aternance (un soleil en reflet, un autre plus crépusculaire et cyclopéen plus loin ou bien des rizières où des arbres et fleurs ont poussées qui laissent la place à des parcelles de terrains jardinés sur plusieurs hauteurs en Europe), créant non pas du sens (ce dernier est livré à la fois par la citation Hopi finale et les actes humains vus durant tout le film) mais un rythme. Du coup comment ne pas évoquer le compositeur, ici encore plus impliqué encore que précédemment, accompagnant son ami cinéaste sur place d'un pays à un autre quand il ne fait pas le voyage seul. Glass raconte dans le documentaire du blu-ray zone 2 de Koba films comment en afrique, il fait un bout de chemin avec un musicien qui va ensuite lui proposer d'aller dans plusieurs états, lui montrer des instruments... Il y a un rare bonheur a voir les deux amis parler ainsi de leur travail et du fait qu'ici Glass a eu une totale carte blanche pour s'imprégner des ambiances et faire une musique qui n'hésite pas avec surprise à virer dans une certaine fascination pour la world-music quand ce n'est pas clairement électronique.

 

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Il faut que l'avion passe à gauche pour qu'on capte que l'image est complètement renversée, ce qui donne un sens différent à ce qu'on percevait déjà.

 

Que raconte Powaqqatsi ? Le changement humain dans le monde, principalement le tiers (on passera juste en coup de vent quelques secondes à Berlin et en France à Chartres, et un peu plus longuement à Hong-Kong voilà pour le monde dit "civilisé") et ses conséquences, qu'elles soient négatives (pertes de cultures, de traditions, influence de la publicité qui normalise et vante un modèle occidental mais est suceptible aussi d'apporter ses défauts --à l'image saisissante dans le final d'une gamine d'un village qui conduit difficilement une charrette avec deux ânes sur la route parce que son père est complètement ivre mort à côté d'elle et ne peut donc pas diriger le véhicule ou bien ce SDF qui reste dans la même pose tendue --est-il encore vivant d'ailleurs ?-- tandis qu'à côté de lui les gens semblent presqu'invisibles, en superposition à l'image) ou positives (architectures pour loger les habitants scolarisation des enfants). Une nouvelle fois le cinéaste a quelque chose à dire mais évite tout jugement moralisateur qui serait développé par des images trop prononcées ou une voix-off trop présente. Au spectateur de se faire son avis sur ce qu'il voit, les images étant d'une beauté encore plus hallucinantes en blu-ray.

 

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On pourrait arguer bien sûr que l'aspect visuel ne sert qu'à séduire en partie le spectateur afin de leur faire adhérer à un propos qui ne serait pas le sien mais le réalisateur s'en défend :

 "Le film est une tentative de sortir de soi, comme sur son lit de mort et de se voir soi-même dans un autre contexte. Et ce contexte, c'est cet ordre technologique (...)  Attention, je ne glorifie pas la pauvreté. On m'a accusé avec ce film d'idéaliser la pauvreté, l'oppression et la souffrance. Non, j'essaie simplement de dire qu'il existe d'autres normes de niveaux de vie, différentes des notres. L'homogénéïsation essaie d'imposer un modèle standard. Ce mode de vie, qui pour moi, est l'avenir même du sud se retrouve fragilisé aujourd'hui. Il est fragile car absolument humain et il est absolument humain parce qu'il ne s'agit que d'individus et de petits groupements, qui, à travers leurs culture, mettent en avant leur différenciation et la beauté de la vie. C'est ça qu'on voit menacé dans Powaqqatsi (...). Il ne s'agit pas d'idéaliser le tipi ou de prôner le retour au passé, un passé utopique et idyllique à la Rousseau. Le passé est révolu, il faut s'occuper du présent. Et le présent nous place dans l'impossibilité d'échapper à ce nouvel univers que nous appelons l'ordre technologique mais dont nous ne savons rien. Rien du tout (...)." (*)

 

 

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Au bout de ce voyage, Powaqqatsi s'avère un film moins évident que son aîné. Ce n'est plus un direct à la mâchoire qui est assené ici mais une poignée de main pour nous aider à nous relever. Un film au rythme solaire, parfois lent et hypnotique mais qui, s'il s'avère moins fort que Koyaanisqatsi reste quand même passionnant et somme toute indispensable pour peu que vous aimez ce genre de film contemplatif où le résultat propose un voyage hors-norme.

 

 

 

(*) Propos extraits du documentaire-entretien passionnant disponible sur le blu-ray zone 2 édité chez Koba films.

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Commentaires
P
Comme quoi j'ai encore beaucoup de films et de cinéastes à découvrir parce que je ne connais pas du tout ce film...
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