2 x Michael Anderson
Sous ce curieux titre de post, je me suis dit que je pourrais chroniquer deux film d'un même réalisateur, vu à quelques jours de distance et qui sont dans la réalité séparés d'un an. Soit L'âge de cristal (1976) ainsi qu'Orca (1977). Deux films qui n'ont rien de commun sinon le fait d'être bourrés de défauts et de choix artistiques malvenus qui, paradoxalement leur confèrent un certain charme. Cela augmenté au fait qu'en parfait artisan du cinéma comptant une quarantaine de réalisation depuis 1949 à 1999 (50 ans dans le métier donc), le bonhomme sait parfaitement manier une caméra et visiblement choisir des sujets intéressants.
Le sujet de L'âge de cristal n'est pas nouveau en soit pour les amateurs de Science-fiction (dictature ou société qui vise à l'eugénisme, cela a donné d'excellentes choses dont Le passeur de Lois Lowry) mais le film passionne par la trajectoire du fameux Logan. Adapté du livre de William F.Nolan et George C.Johnson (publié chez nous chez J'ai LU, coll.SF avec le sous-titre "Quand ton cristal mourra" ainsi que Denoël en collection Présence du futur), l'histoire nous narre un lointain futur où une société évidemment parfaite contrôle ses sujets et où l'âge s'arrête à 30 ans. Passé cette limite, vous êtes exécuté... retiré. De vaillants Blade Runner... limiers de noir avec un trait blanc sur la poitrine veillent au grain que tout se passe bien. Les individus venant d'avoir 30 ans passent donc la cérémonie du carroussel où, sous couvert d'une possible résurrection prochaine (un leurre évidemment), ils disparaissent devant un public déchaîné et exultant, sous de multiples explosions. Si vous êtes un marginal ou que vous tentez d'échapper au carroussel, les limiers ont ordre de vous traquer puis de vous abattre à vue.
Logan est un de ceux-là. Un jour il se voit confier la mission de retrouver des résistants et s'infiltrer parmi eux pour détruire tout le réseau. Pour cela, l'ordinateur central lui réduit la durée de vie restante de son cristal dans la main (qui s'obscurcit alors). Logan va donc devoir agir seul car il sera aussi poursuivi par les autres limiers...
"Déjà qu'au vingtième siècle, ils s'habillaient comme des loques, alors au 23ème, on se demande si y'a un réel progrès.
_ Arrête, nos uniformes sont classes.
_ C'est bien la seule chose justement."
Toute ressemblance avec d'autres sociétés dictatoriales ne sauraient qu'être fortuites. M'enfin bon, il est fascinant de voir qu'en 1976, L'âge de cristal faisait déjà.... dépassé. Dans son sujet, THX-1138 qui traitait déjà d'un futur cauchemardesque et bien plus froid avait déjà presque tout dit quelques années plus tôt. Visuellement, là aussi on ne peut pas nier l'importance d'autres films qui lui sont passé avant et qui ont bien plus imprégné la rétine par leur traitement esthétique. Parce qu'ici, les maquettes se voient d'un coup, les vêtements façon toges ou pyjama font encore pire que chez Star Trek, les rayons lasers ou autres effets optiques semblent sortir de la série Les envahisseurs (qui date quand même de 1967, année où le livre est sorti d'ailleurs). Pour un peu on nagerait presqu'en territoire nanar. Pour un peu parce que de l'autre côté, certains effets s'avèrent heureusement impressionner : ces matte-paintings de corps dans la glace ultra-réalistes ou bien ces plans d'une Amérique en ruine une fois que Logan arrive à sortir hors de la ville futuriste.
"Regardez, je suis le robot le plus perfectionné, je suis..."
"Tu es kitsch, mec".
Sans compter qu'Anderson soigne bien son cadre et délivre des plans bien ffaits. L'histoire en elle-même accroche par tous les petits détails et les questions que peuvent soulever l'histoire. Comment cette société en arrive là ? Est-il nécessaire que pour atteindre un degré de perfection, l'on doive abandonner plusieurs choses derrière nous (ici, l'Art mais surtout comme dans THX-1138, la mémoire, celle du passé, de l'Histoire) ? A quel degré les individus sont-ils endoctrinés pour que justement cette société leur paraisse légitime au point qu'ils ne la remettent même plus en question ? Ni même qu'ils ne remettent en question la nature de leurs actes (Logan et son meilleur ami tuent des fugitifs en rigolant, cela leur est naturel, il ne leur vient pas à l'esprit que ce faisant, ils commettent un meurtre rendu légal, ni qu'ils ont perdu une bonne part d'humanité) ? Quand Logan va s'enfuir avec une jeune femme (qui fait autant "paillasson" que la condition féminine observée dans Soleil vert au passage), il va commencer intérieurement à réfléchir à ce qu'il faisait et ce qu'il était et c'est dans cette étude du personnage que le film, à moitié raté finit par captiver et être à moitié réussi.
Peu après le film, le roman connut plusieurs suites, des comics et la télévision américaine produisit même une série. Je me demande pour ma part au vu du potentiel du film, pourquoi l'on a toujours pas eu un remake car au fond, voilà un candidat idéal. Aux dernières nouvelles, Nicolas Winding Refn dans une entrevue en bonus du DVD de Drive annonçait travailler à ce remake justement mais pas de confirmation encore de date sur imdb. L'année d'après, Anderson livrait Orca, à nouveau semi-réussite partant au départ du fait que Dino de Laurentiis voulait un film pouvant battre Les dents de la mer (sorti en 1975, deux ans avant) sur son terrain ou du moins surfer sur son succès. Détail ironique et amusant, un grand requin blanc qui menaçait un plongeur se fait charcuter à vitesse grand V par un Orque qui file sous l'eau comme s'il avait des fusées à la nageoire dès le début. Une volonté donc clairement affichée de faire la nique à Spielberg d'une certaine manière. Sauf qu'à ce petit jeu, là, c'est tonton Steven qui s'en sort haut la main parce qu'à nouveau, et sans doute indépendemment de sa volonté (on sait comment De Laurentiis a pourri la vie d'un cinéaste comme Lynch sur Dune par exemple et ce n'était pas un cas isolé), pas mal de choses pillonnent Orca au risque de le couler. Et là aussi pourtant, quelques qualités le laissent pourtant de justesse à la ligne de flottaison.
Dans les choses qui fâchent donc, une voix-off de Charlotte Rampling qui n'apporte rien si ce n'est de servir d'ellipses pour que le scénario aille plus vite et accessoirement expliquer un peu les tenants et aboutissements du film au spectateur, des fois qu'il serait trop con on sait jamais. Et puis des personnages un peu parfois écrits sous la jambes : Richard Harris-joue-une-grosse-brute-un-peu-bêta-qui-tue-des-requins-mais-décide-comme-ça-sur-un-coup-de-tête-de-pêcher-un-orque-vivant-pour-un-parc-d'attraction-alors-qu'il-avoue-lui-même-son-peu-d'expérience-à-la-pêche-mais-en-même-temps-il-est-pas-un-mauvais-bougre-il-a-un-coeur-gros-comme-ça-et-même-qu'il-aime-bien-un-peu-le-personnage-de-Rampling-laquelle-elle-même-décide-de-l'aider-plus-ou-moins-on-sait-pas trop-pourquoi-parce-que-le-mec-la-répugne-mais-en-même-temps-la-fascine-parce-qu'il-est-bête-et-pis-sinon-y'a-des-gens-qui-servent-uniquement-pour-servir-de-becquetée-à-papa-Orque. Ouf, j'ai mis un point après cette phrase vous avez vu, vous pouvez respirer. Bref les personnages ne savent pas ce qu'ils veulent et les scénaristes non plus : un coup on est du côté de l'orque, un coup du côté de l'humain, style "moi aussi j'ai perdu ma femme, je sais ce que c'est ami aquatique, je te comprends, allez va c'est pas grave si j'ai zigouillé ta compagne épaulard, on fait la paix et on s'en jette un petit ? Y font un whisky maison un peu plus loin, viens".
Mouais.
Et sinon y'a plein de plans qui reviennent, qu'on devine tout de suite être des stock shots d'Orques filmés dans un marineland (bingo, imdb confirme) car la lumière n'est jamais la bonne d'un plan à un autre. On notera aussi que l'orque est sensiblement plus intelligent qu'un humain dans le film (il arrive même à s'infiltrer dans la baie, grignoter des tuyaux d'essence et faire exploser la moitié du village. Qu'est-ce qu'il est fort cet orque), et que quand on peut se faire plaisir dans les scènes sanglantes, oh ben allons y, ça mange pas de pain. Du coup le film propose plein de passages un peu too much, à la limite entre le traumatisant (la mère Orque qui se fait tuer alors qu'elle portait encore son bébé et finit par accoucher en live sur le pont du navire) et le... euh.... nanar (à chaque fois que quelqu'un se penche, hop, l'orque surgit et le boulotte comme ça quoi. Casse-croûte direct t'as vu, ça devient presque un running-gag) ?
Enfin la musique d'Ennio Morricone est par moment mixée d'une manière misérable comme si on voulait la massacrer, ou alors ça vient du DVD qui ne propose que du mono pour la VO ou VF, n'empêche qu'il n'est pas vraiment gâté le Ennio dans le film.
En l'état un dernier point qui joue un peu en la défaveur d'Orca, c'est qu'il calque son histoire plus ou moins sur celle des Dents de la mer, climax final d'attente isolé loin de tout avec pour finir un face à face avec le requin, pardon l'orque. C'est très proche dans l'idée. Et en même temps, ça varie un peu, c'est là qu'on rentre dans les qualités du film qui en font là aussi une demi-réussite. Car cette dernière demi-heure, bien que très proche de son modèle se pare d'une très belle idée : placer le tout dans les glaces. Contrairement au requin, l'orque a presque tout prévu et propose comme lieu de duel, les glaces plus au nord (on est quelque part au Canada). Sur ce dernier point, la reconstitution est sublime. Ce sont les blocs de glace d'Eisenstein version 70's : comprendre que le travail du final, sa mise en place est extrêmement bien faite. D'ailleurs, malgré ses erreurs nombreuses (à cause de ?), Orca se regarde assez bien tout le long. La photographie du film est assez belle et quand elle n'est pas massacrée trop, la musique d'Ennio Morricone révèle une belle mélancolie. Et puis y'a Charlotte Rampling. Mais elle n'est pas nue, flûte. M'enfin bon ça se regarde quand même bien ce Orca.