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Chroniques visuelles
11 novembre 2013

Tommy

 

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Jaquette de cette récente édition M6-SND.

Distribué en DVD et Blu-ray depuis le 7 octobre.

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En encore plus grand. Cliquez pour en avoir une super taille...

 

A la suite d'un choc psychologique brutal, Tommy est devenu sourd, muet et aveugle. Sa mère et son beau-père font tout pour le guérir. Mais en dehors d'une fascination pour les miroirs et les billards électriques, Tommy ne veut rien entendre. Jusqu'au jour ou sa mère le projette à travers un miroir. C'est le miracle, Tommy entend, voit, parle. C'est le nouveau Messie...

 

Alors que je lui voue un culte assez important au même titre que Nicolas Roeg (autre géant britannique apparaissant dans le même temps que Russell et partageant avec lui un goût assez prononcé pour le grotesque par moments même si leurs styles diffèrent largement), Ken Russell est le grand absent de ce blog (il n'est pas le seul mais aurais-je besoin d'une seule vie pour parler de tout ce qui me tient à coeur ? J'en doute) et pourtant il mérite amplement sa place ici, surtout si vous êtes amateur d'images visuellement marquantes (le bonhomme est doué pour ça). Et quand on voit cette superbe édition 2 DVD concoctée par M6-SND, on se dit que Tommy aurait pu aisément être dans les films sortis au cinéma en 2013 dans une belle copie éclatante qui aurait fait éclater les tons, couleurs, et scènes hallucinogènes du classique des Who et Ken Russell.

 

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De quoi parle Tommy ? D'un trip halluciné à travers une histoire où le bon goût se partage avec le kitsch souvent désuet comme seules les années 70's pouvaient nous en donner. Mais les questions de bon et mauvais goût sont au coeur même du cinéma de Russell (ce que rappelle le regretté Gilles Verlant dans sa présentation du film sur le DVD 1) et il faut accepter le mélange des genres qui fournit là la substantifique moëlle du cinéma du cinéaste pour aller au coeur des choses et accepter le cadeau qui nous est fait. Russell n'a d'ailleurs pas attendu d'être classifié sous une quelconque catégorie puisque dès le début il se jette à corps perdu dans une oeuvre cinématographique où tout est question de désorientation des sens, de la vision, de ce qui est acquis entre préjugés et bases communes à la société. Et pour cela le cinéaste va jouer non pas sur le son et l'image comme le ferait un Lynch ou un Tarkovski, mais sur une construction picturale de l'image (souvent composée comme un tableau) associée à un montage parfois quasi-haché qui, quand il ne déstructure pas le récit à la manière de Roeg, alterne entre plans ralentis et d'autres plus rapides. On peut même dire que Russell est, d'une certaine manière l'un des créateurs et artisans du vidéo-clip tel qu'on le connaît aujourd'hui où 3 à 4 mn de chanson correspondent à un mini-film jouant des conventions temporelles en accélérant ou déstabilisant les conventions temporelles, parfois jusqu'à la caricature. Il est donc bon de revenir à Russell qui continue par son style, la base de quelque chose qui s'est répendu ensuite sous plusieurs formes et médias.

 

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De vidéo-clip étendu sur une durée de film il pourrait être question ici même si l'on prend le temps de déplier une histoire (abracadabresque mais c'est ce qui fait son charme) démesurée qui arrive d'ailleurs à trouvers une étrange résonnance sur plusieurs points pas si idiots que ça dans la création originelle de la bande à Daltrey et Townshend. Citons donc une critique cynique de la célébrité et du rock (l'histoire annexe de la jeune Sally Simpson qui est amoureuse de Tommy et n'en récolte qu'une balafre pour finir par se marier avec un guitariste, sorte de compensation de groupie n'ayant que partiellement renoncé à son rêve) ainsi que des effets de la religion surtout quand le nouveau messie n'a rien d'autre à proposer que son passé de joueur de flipper qui finit par embrigader les  gens dans une secte bardée d'habits militaires... et que cela finit méchamment par se retourner contre lui. Un parcours initiatique donc où le fruit de la libération finit par ramener à un point de départ annonçant un possible nouveau cycle (l'ouverture et la fermeture du film sont des plans en miroir montrant pour l'un Tommy face à un soleil couchant --capture 1--, pour l'autre, Tommy face à l'astre qui se lève. Au spectateur de se faire une idée au final après tout ce qu'il aura vu).

 

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Pour la petite histoire --d'ailleurs résumée et énoncée dans les bonus du DVD 2--, c'est après avoir entendu une version orchestrale que Ken Russell, intrigué, a décidé de se pencher sur l'oeuvre des Who, lui qui n'était alors pas spécialement rock, mais plus classique. L'oeuvre est alors le fruit de multiple changements et mutations dans le temps qui heureusement, n'altèrent en rien son essence. Sorti en mai 1969 et composé d'une vingtaine de pistes (24 pour être précis), l'oeuvre divise rapidement de part et d'autre (d'un côté on crie au chef d'oeuvre, de l'autre l'album est jugé trop sombre et "malade") même si le succès public se confirme assez rapidement. Il faut dire que Tommy inaugurait l'ère des albums-concept qui allaient fleurir dans les 70's avec leur lot d'oeuvres parfois inouïes (personnellement je considère The lamb lies down on Broadway de Genesis comme un chef d'oeuvre oui) et parfois aussi assez banales. En tout cas sur le plan de l'orchestration et des arrangement, tout le monde est mis d'accord. Puis en 72, une version orchestrale est crée avec la participation de nombreuses stars. Il n'en fallait sans doute pas plus pour mettre la puce à l'oreille du méticuleux Russell. Et l'on peut dire que ce dernier va se faire plus que plaisir tant dans l'imagerie visuelle que les stars associées (Tina Turner, Elton John, Clapton, Nicholson...) au projet et les Who qui, de mauvais garçons, décident d'être un peu plus gentils en studios, tenant à ce que leur oeuvre se réalise pleinement de bout en bout. Comparé aux pistes de base, l'oeuvre à son passage grand écran subit de légère modifications qui, comme je l'ai écrit plus tôt, n'altèrent en rien sa substance mais proposent une écriture encore plus cohérente grâce aux soins de Townshend afin de coller à l'époque actuelle (70's). Ainsi par exemple la chanson 1921 devient 1951 (What about the boy ?) et le père supposément disparu à la première guerre mondiale l'est en fait à la seconde. Et quand il revient, ce n'est pas lui qui tue l'amant qu'a pris sa femme mais l'amant qui le tue. Sous les yeux de l'enfant comme initialement.

 

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Pour Russell, la mise en scène est plus qu'un simple support visuel pour la musique et cela se vérifie ici où l'on retrouve régulièrement une idée de composition, de tournage, de réalisation qui fait sens quand elle n'en apporte pas un nouveau (tiens, Ann-Margret qui se tremousse dans les haricots --au sens propre !-- c'est un clin d'oeil à la pochette de "Sell out" qui fustige en se moquant la société de consommation avec des fausses pubs). Ainsi par exemple cette belle idée de filmer la victoire de l'angleterre à la fin de la guerre avec cette vue d'un immeuble décoré de partout et où la joie communicative est plus que palpable. Un autre cinéaste aurait filmé les scènes de liesses en descendant la caméra dans la cour, pas Russell qui opère un travelling bref de côté pour revenir dans un endroit clos. On comprend dès lors qu'on est dans une chambre d'hôpital (une chambre tout court ?) et l'on découvre la mère de Tommy qui vient d'accoucher. A la victoire joyeuse se superpose alors sur l'instant l'idée d'une victoire amère. Une courte surimpression du visage du père dans l'avion sur le visage de la mère qui grimace encore de la douleur de l'accouchement associe l'idée furtive que Tommy est là comme pour remplacer la disparition de son père. Une idée qui amènera plus tard l'amant à entrer dans la danse (lequel se débarassera lui définitivement du père de Tommy). Et même ici, Russell s'amuse, jouant de l'idée de symétrie : les infirmières sont jumelles (capture ci-après), un détail presqu'uniquement pour donner l'illusion d'un choeur féminin sur le refrain "It's a boy !" Sacré Ken, l'était fort.

 

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Tommy ne figure pas au classement Cinetrafic des meilleurs films et c'est dommage car il reste encore aujourd'hui un must pour les fans de rock, pour les mordus d'expériences visuelles et sonores différentes et pour tous les curieux et cinéphiles ouverts à un cinéma "autre" qui défouraille sévère. Bref, un film recommendable et recommendé par ce bon vieux tonton déviant Nio.

 

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Un petit mot sur les bonus ? Le second DVD fait la part belle aux interviews et l'on apprend des choses plus qu'intéressantes. On a donc 4 entretiens de durées variables avec tout un chacun qui a son lot d'anecdotes parfois croustillantes. Pete Townsend a le droit à plus d'une heure d'interview mais vu que le bonhomme parle très lentement, c'est parfois un peu pénible. En contrepartie, les interviews plus courtes de Daltrey, Ann-Margret et Russell, plus courtes, se révèlent plus fascinantes. Touchante est l'actrice qui se remémore cette partie de sa vie comme un grand moment de bonheur et dément que le cinéaste soit un monstre avec ses comédiens (au contraire visiblement Ken Russell c'est un gros nounours !), drôle et passionnant est le regretté Russell qui semble s'amuser alors du film, qu'il revit peu avant l'interview, confirmant qu'il résiste très bien aux ravages du temps. Bref si le maestro le dit... :)

 

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Jaquettes et affiches en bonus.

 

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Commentaires
J
Je ne l'ai jamais vu même si j'aime beaucoup ce que fait Ken Russell. <br /> <br /> Le casting, l'histoire, l'inventivité visuelle qui semblent au rdv, ça m'intrigue et m'interpelle. Merci de l'avoir chroniqué et d'avoir parlé de sa sortie en Blu-ray (ça me donne une idée d'achat).
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