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Chroniques visuelles
2 mars 2014

Resnais a franchi la frontière.

 

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J'étais en oraison lorsque j'appris la funèbre nouvelle.

Je sortais ces derniers temps d'une période pas formidable qui m'avais obligé à faire une pause. Et tout lentement j'avais recouvré des forces et commencé à faire des chroniques, d'abord musicales puis pour le cinéma que je préparais à ma guise et à mon rythme dans mon coin. La disparition de Resnais m'a pris par surprise et enlevé l'un des derniers cinéastes-mentor que j'admirais plus que tout dans le cinéma français. La dernière fois que je me fendais d'une note comme celle-ci, c'était pour la disparition de Chris Marker, d'ailleurs son ami, un frère. C'était avec Marker que Resnais avait livré certaines de ses meilleures passes d'armes au début de sa carrière. Souvenez-vous des Statues meurent aussi où les deux compères livrent un cinglant témoignage-réquisitoire sur les colonies française et le racisme ambiant sous couvert de parler de ce qu'on a appelé "L'art nègre" dans les musées. Avec Nuit et brouillard, on passe encore un cran au dessus. Texte lu de Jean Cayrol où le fidèle Marker aurait apposé une petite relecture finale, le film marqua et marque encore les esprit pour ses dures images des camps de concentration entre passé meurtri encore à chaud (on est 10 ans après la fin de la seconde guerre mondiale) et présent où les blessures douloureuses ne se refermeront jamais (visite des camps filmés en couleurs ou plutôt ce qu'il en reste). Entre souvenir de ce qui a été et présent de ce qui est, instant d'ici et images d'archives, le film de Resnais trace une cartographie de la mémoire dont l'impact s'avère encore des plus brutal aujourd'hui.

 

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Difficile de parler de Resnais face à une oeuvre immense et aussi riche dont la subtilité et l'intelligence du propos défie sans mal une bonne partie des filmographies de ces confrères cinéastes. Comme le faisait remarquer un ami blogueur sur Facebook, si on commence à écrire sur Resnais il y a de fortes chances effectivement de tomber dans le "mauvais, petit, réducteur", aussi en toute humilité ne m'en tiendrais-je qu'à des considérations personnelles et des avis sur ce que j'ai vu de ce grand monsieur tout en tirant toutefois une ligne directrice, un thème principal qui n'aura échappé à personne (entre nous je m'étonne qu'on ne parle pas assez des quelques publications sur Alain Resnais si ce n'est un récent gros livre exhaustif avec une très belle couverture de Floch. Quid des autres livres ? Un avis est le bienvenu) : le rapport de l'humain à la mort tout comme à sa mémoire. L'évidence est telle qu'on pourrait l'écrire en gros sans risquer de proférer une bêtise.

Mon premier choc avec le cinéma de Resnais fut au collège lors de la vision de ce film fondateur qu'est Nuit et brouillard. On objecte souvent dans divers milieux que ce film traumatisant ne devrait pas être montrés à la jeunesse, c'est débile. D'abord parce que face à la nivellisation de l'intelligence ramenée par le bas qui s'opère de plus en plus dans la culture, le film fait non seulement office de phare dans la nuit comme de devoir de mémoire indispensable. Il n'y a pas d'âge pour constater la bêtise et la cruauté des hommes (bon, je ne montrerais pas ça a des enfants non plus hein). Montré trop tard le film n'aurait sûrement aucun effet, ne témoignerait d'aucune vérité à une personne qui aurait facilement accepté durant sa vie les divers théories du complot dont certaines remettant en cause la barbarie nazie, mais passons. Au lycée, je découvris Hiroshima mon amour puis à la fac, l'année dernière à Marienbad, nouveaux choc.

 

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Comment parler de ces films là-aussi sans tomber dans le vain paragraphe réducteur ? Restons-en à ce que j'en ai dit, cette thématique de mémoire et de mort sans spoiler. Hiroshima mon amour superpose ainsi le temps d'un amour l'histoire de deux oubliés de la vie qui ont chacun vécu des expériences traumatisantes durant la guerre. Tu n'as pas connu Hiroshima... Oui mais toi mon aimé, tu n'as pas connu Nevers. Il y aura toujours une part d'ombre chez l'autre, souvent liée à sa mémoire. Etait-on réellement à Marienbad comme Delphine Seyrig ou tout celà n'est-il que le fruit d'une gigantesque machination ? Comment alors démêler une mémoire qui s'enfuit dans le labyrinthe de montage du film ? L'année dernière à Marienbad n'a pas pris une ride. Hors-temps il le défie de par ses partis-pris radicaux qui en font encore aujourd'hui une expérience des plus déstabilisantes. Je ne sais plus le nombre de fois que j'ai vu ce film sans jamais arriver à dire si j'avais adoré ou si je m'étais profondément ennuyé, c'est très bizarre et je suppose que je suis loin d'être le seul avec ce film.

 

Avec Je t'aime, je t'aime on bascule dans la science-fiction à la Marker. Cousin lointain et pourtant si proche de La Jetée, Je t'aime, je t'aime travaille la mémoire par le montage comme autant de couches superposées qui s'entrechoquent, se frictionnent, se répondent, voire fusionnent, le temps d'une souris aperçue sur une plage et pourtant ne figurant par dans les rares souvenirs de bonheur de ce pauvre et fabuleux Claude Rich. Mon oncle d'Amérique (superbe affiche signée Enki Bilal, comme pour plus tard Mélo du même cinéaste) est là aussi un travail sur la mémoire humaine avec en toile de fond des considérations scientifiques du professeur Laborit sur les rats et souris. D'une souris sous cloche envoyée dans le passé on est passé à des hommes-souris aperçus et examinés par le cinéaste dans un film puissant, subtil et terriblement bouleversant. Humain, tellement humain sous la couche de pensées cérébrales dont dote Resnais dans son cinéma, ce qui lui fut parfois reproché par les cinéphiles ou le public. Et pourtant.

 

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Et pourtant à l'instar de Bergman qui nourissait un profond respect pour le public tout en étant exigeant tant envers celui-ci que son propre cinéma, on ne peut douter que si Resnais faisait des films personnels, il les faisait aussi pour son public. Sous son dehors de comédie musicale aux nombreux tubes de la musique française (irrésistibles bien souvent), On connait la chanson analyse finement plusieurs personnages englués dans des relations qui semblent venir d'une partie d'échec (ah ces moments dérangeants à base d'inserts de méduses --et des spécimens dont la piqûre est mortelle je précise). Avec ce film ou le ludique frivole d'un Pas sur la bouche (qui m'a toujours admirablement étonné pour son travail de mise en scène au millimètre dans des décors de théâtre), le cinéaste rappelait qu'il savait aussi bien manier divertissement à la profondeur du cinéma.

 

Et puis à 91 ans, Alain Resnais nous a quittés, décidant d'analyser une bonne fois pour toute ce qu'il y avait de l'autre côté du miroir. Encore la mémoire et la mort. Il nous a pris la mort, il nous a laissé la mémoire. L'homme parti, il nous reste l'oeuvre, fabuleuse et incroyable. Adieu Mr Resnais et encore merci.

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Commentaires
D
Bonsoir Nio, merci pour ce bel hommage sur un réalisateur que je n'ai pas apprécié à sa juste valeur mais avec l'âge, mon opinion va peut-être changer. En tout cas, j'irai voir son dernier qui va sortir la semaine prochaine, Aimer, boire et chanter. Bonne soirée.
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B
non non ne fais pas le modeste cher Nio, voila un bien beau hommage...je ne savais pas que le cinéaste te touchait autant mais ce n'est finalement pas si étonnant vu effectivement son accointance avec le cinéma de Marker... personnellement mes préférés de Resnais étaient "Smoking No Smoking "et "on connait la chanson" j'avais été bluffé quand j'avais vu ca à 20 ans devant tant de virtuosité et d'ingéniosité... Certes ces derniers films ( Coeurs- les herbes folles notamment) m'avait un peu perdu mais il faut absolument que je revoie "mon oncle d'amérique" un des films préférés de mon père que j'étais trop petit pour apprécier quand je l'ai vu...peut etre lors d'une prochaine réédition en Blu Ray grace à cinétrafic, va savoir :o)
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P
C'est beau ce que tu as écrit, j'ai rien d'intelligent à ajouter alors je me tais.
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