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Chroniques visuelles
4 mai 2014

Backtrack (1990)

Alias... Catchfire ou Une trop belle cible...

 

Backtrack

 

Anne Benton est une artiste conceptuel. Un soir elle assiste par hasard à un meurtre de la Mafia. Elle se rend à la Police mais elle s'aperçoit que les criminels sont aussi là. Elle décide de prendre la fuite. Pendant ce temps, le parrain commanditaire du meurtre demande à son homme de main, Milo, de retrouver le témoin génant afin de l'éliminer. Mais Milo est peu à peu fascinée par sa cible et tombe amoureux d'elle. Il va retrouver sa trace au Nouveau Mexique.

Sur une intrigue classique mais efficace l'acteur/réalisateur Dennis Hopper (Easy Rider) greffe ses obessions : passion pour l'Art contemporain, amour du Nouveau Mexique où Hopper vécut et fut enterré, éloge de l'amitié à travers une pléïade d'amis vedettes venant parfois pour une simple apparition (Bob Dylan).

 

Avec le recul que nous avons dorénavant sur l'acteur-réalisateur-artiste, Backtrack apparaît comme un film éminemment personnel. Mais en prenant comme sujet central le délicat sujet de l'Art Contemporain, Hopper ne se doutait-il pas qu'il jouait sur un terrain plus que casse-gueule ? Même s'il dispose aujourd'hui d'une plus grande audience, le public peut encore légitimement douter de la finalité de l'Art Contemporain. Ingénieux et riche pour les uns, inutile et frimeur pour les autres, je ne prendrais pas parti moi-même en raison du fait que par moments j'ai pu être touché par certaines oeuvres, comme d'autres me sont complètement passées au dessus (le mot est faible, on pardonne plus facilement à une oeuvre plus picturale du fait qu'elle fait apparaître le travail de l'artiste de manière physique là où bon nombre d'oeuvres contemporaines se situent sur un plan plus mental et invisible). En revanche, Backtrack m'est apparu comme un film plaisant et intéressant dans sa volonté de confronter un discours Art contemporain face aux autres Arts, en cela porté par la sincérité évidente de Dennis Hopper. Décryptage.

 

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Pendant le visionnage, comment ne pas être interloqué en effet par toutes les références à la peinture mais aussi au cinéma que le père Hopper s'amuse à placer dans son film, quitte à parasiter la fiction en elle-même (à une scène qui annonce un meurtre, le réalisateur ellipse la fameuse scène pour montrer un carnaval se déroulant au Nouveau Mexique d'une manière totalement documentaire et déconnectée du reste). Mais généralement le tout fonctionne d'une assez belle manière et l'on passe sans encombre d'un clin d'oeil à Marylin Monroe (Jodie Foster avec une robe blanche similaire à ce que portait cette chère Norma Jean Baker dans Sept ans de réflexion de Billy Wilder avec comme par hasard la robe qui se soulève quand une voiture passe, plan pas si anodin que ça, capture 2) à Botticelli (dont La naissance de Venus se retrouve complètement recadrée qu'à la tête, capture 3 ci-dessous), Bosch (le jardin des délices... illustrant le paravant de l'appartement de Milo --capture 4), Georgia O'Keeffe (capture 5, un peu plus bas) sans oublier Antonioni (un avion passant juste au dessus d'une voiture façon Zabriskie Point... clin d'oeil qui était d'ailleurs chez Antonioni une référence directe à Hitchcock) voire David Lynch où Hopper reprend un rôle de malfrat auquel, lequel comme dans Blue Velvet, se prénomme justement Frank.

 

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Backtrack n'est donc pas tant un film policier qu'un hybride dérivant de ci, de là suivant une ligne et des points rouges qui n'appartiennent qu'à leur auteur. La grande référence du film associée au personnage joué par Jodie Foster, c'est bien sûr l'artiste Jenny Holzer. Cette dernière a la particularité dans son travail artistique, de délivrer des messages de textes dans l'espace au moyen soit de projections sur des devantures bien précises (un musée, une bibliothèque publique), soit de néons ou tapis de diodes qui vont faire défiler une ligne du dit-message, lequel peut prendre aussi bien la forme d'un proverbe que d'une ligne de poésie, que d'une phrase ironique conçue aussi bien comme une réplique de film qu'une réclame publicitaire. Et de fait que la lumière des néons/diodes est aussi bien utilisée dans l'espace publique que publicitaire, la frontière entre Art contemporain et travail à destination commerciale s'avère mince. Tout est dans le concept et la fameuse formule d'un Marshall McLuhan "Le médium est le message" prend tout son sens au vu de ce qui en résulte. Mais on pourrait aussi dire qu'ici, "le message est le médium" tellement un écran lumineux de néon ne projetant qu'une ligne de texte dit à la fois tout et rien. Sont considérés ici à la fois le message textuel et son support à part qui permet de délivrer une pure information qui se dégage de l'utilisation qu'on fait habituellement de ce genre de support visuel. Et méticuleusement, Hopper respecte la démarche de l'artiste Holzer via le travail de "l'artiste" Benton (capture 6).

 

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Georgia O'Keeffe, croquis en main au premier plan, structure réelle en fond.

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Milo et Benton deviennent alors deux représentants de l'Art où les divergences (moderne ou classique pour l'un, contemporain ou abstrait pour l'autre) finissent néanmoins par arriver à quelque chose, une sorte d'union, face à l'adversité. Une belle idée métaphorique sur le papier qui ne se concrétise pas tout à fait dans le film malgré quelques scènes représentatives de ces deux visions. Ainsi par exemple cette dispute entre Milo et Benton, le premier reprochant à la seconde l'inanité et le vide de ses messages électroniques, en mettant Bach et Bosch comme point de comparaison. Evidemment il y a aussi là un discours de subjectivité qui est somme toute le miroir d'une masse de gens clamant leur incompréhension (dont je fais partie parfois quand je vois certaines oeuvres) et si Hopper n'apprend rien, il a le mérite de l'évoquer. Pourtant comme je l'ai dit, le film ne fonctionne pas toujours et le rapprochement de la jeune femme envers son poursuivant puis protecteur forcé s'avère trop brusque pour être pleinement crédible et explicable par l'invocation d'un quelconque syndrome de Stockholm (ou pour Milo, syndrome de Lima).

 

Petite parenthèse pour revenir sur un point du film, la porosité de la frontière entre les arts, moderne et contemporain qui sonne là aussi comme une autre bonne idée de rapprochement des Arts.

 

En France, le travail de l'Art traité dans un message texte sur fond/espace vide/indéfini peut se retrouver aussi bien chez un Ben qu'un Claude Lévêque (d'une manière décalé et égocentrique qu'on pourra trouver amusante ou pas) ou un Philippe Cazal. Dans cette idée qu'une oeuvre d'art peut se substituer à la publicité, le fameux "De plus en plus de gens apprécient l'art moderne, nous aussi" de 1985 fait directement mouche (capture 7 ci dessous). Dans une photographie de la taille d'une affiche, l'artiste se représente directement sur fond noir avec un modèle dont la finalité n'est d'être que juste là, "comme ça", assurant une part de l'icônisation qu'apporte déjà la forme (un fond noir mystérieux). Cela compose évidemment avec un regard hors-champ mystérieux, ce regard de Cazal vers le spectateur et un espace noir inexistant dans une mise en scène aussi théâtrale que cinégénique. Le texte, ironique et décalé, fait presque office de réclame publicitaire.

 

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Or, dans le film, ce qui va permettre à Milo de se rapprocher de sa cible en lui fournissant un indice primordial, c'est quand le rapprochement Art et pub se fait par le biais de la photographie à l'instar du travail de Cazal évoqué. En essayant de se cacher et refaire momentanément sa vie, Anne trouve un boulot dans une agence de pub et quand il lui faut sortir un slogan, la jeune femme a la bonne idée de ressortir l'un de ceux qu'elle utilisait dans son travail artistique. Fausse bonne idée en fait pour Anne puisqu'elle va intriguer le tueur mélancolique (captures 8 et 9) qui va finir par faire le lien et remonter donc à la source. Ce recyclage d'un message issu d'une oeuvre contemporaine en une oeuvre publicitaire, via la photographie témoigne bien de la complexité de l'Art contemporain et du flou sur ses propres limites.

 

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Finalement, Backtrack est un petit film plaisant qui, s'il pêche sur le plan policier, se révèle souvent stimulant sur d'autres. La bande son "saxophonée" lui confère un aspect sympathique de petit film policier du samedi soir style années 80's et la présence d'un casting de gueules, souvent amis d'Hopper comme Dean Stockwell, Vincent Price ou Bob Dylan (capture 10) est des plus réjouissante. On appréciera aussi une Catherine Keener qui fait un caméo ultra rapide (Hopper pourtant admettra avoir reconnu en elle justement sur cet instant une actrice géniale) et un John Turturro en tueur naïf & timide et complètement à côté de ses pompes (oh les jolies baskets roses !) dont le bon goût déparre souvent au sein d'un film assez coloré. Une bonne petite découverte donc.

 

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Coucou les aminches.

 

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Backtrack n'est pas un thriller 2014 mais la réédition d'un film plus ou moins perdu.

 

 

En effet, le réalisateur-acteur avait subi nombre de démêlés avec les producteurs au point de renier le film à sa sortie. En Amérique c'est donc un énième "Alan Smithee movie" qui avait d'ailleurs disparu en même temps que la firme Vestron (coulée à cause des Ghoulies III ? Non, je plaisante). Cette dernière nous avait pourtant donné des choses intéressantes par moments, la ressortie donc de Waxwork et de ce Backtrack chez la Metropolitan Filmexport augure peut-être d'autres sorties qu'on aimerait retrouver en DVD. Par exemple, à titre personnel, Le repère du ver blanc de Ken Russell, cinéaste --que j'admire-- d'ailleurs encore trop peu reconnu en nos contrées (enfin, si un peu quand même mais la bonne moitié de sa filmo reste introuvable chez nous quand il ne faut pas passer par l'import). Je croise les doigts, sait-on jamais.

 

Du côté du son et de l'image rien à dire, la Metropolitan délivre une fois de plus un travail parfait. Surtout que le gros bonus du dvd est la version originale du film disponible ici, donc pas la director's cut d'Hopper mais la version voulue par les producteurs dans son transfert VHS. Une bonne manière de voir ce qui est ressorti mais aussi de remarquer le travail exemplaire de remastérisation à l'oeuvre. Suivent plusieurs bonus courts et assez bien vus qui résument à la fois le travail de Hopper, quelques artistes à l'oeuvre qui ont inspiré les oeuvres vues dans le film (dont évidemment Jenny Holzer), un entretien avec la monteuse du film... Bref des bonus vraiment utiles et essentiels pour le cinéphile. Du bon boulot donc pour un chouette petit film.

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