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Chroniques visuelles
5 août 2014

Under the skin

 

under

 

 

Une extraterrestre arrive sur Terre pour séduire des hommes avant de les faire disparaître...

 

En général, il faut toujours se méfier des bandes annonces, il est devenu rare qu'elles n'en disent pas plus ou trop sur le film. Sauf qu'ici, la bande annonce prévenait exactement ce à quoi nous allions être confrontés, difficile de faire mieux au vu finalement d'une BA des plus sincères et à l'exacte couleur de l'OVNI visuel et sonore qu'est Under the skin. Car c'est bien à cette rare catégorie de film qui sort des sentiers battus que nous avons affaire et en toute subjectivité j'ai envie de dire, "merci". Parce que des films qui se permettent de mélanger Kubrick + Stan Brakhage + Oshii moins l'aspect métaphysique et politique qui émane du cinéaste japonais = le film de Jonathan Glazer. Enfin, pour caricaturer et schématiser vite fait, hein (pas taper hein).

S'ajoute aussi à ça la nature hautement divergente du film sur tous les plans qui ne peut qu'interagir en miroir avec le vécu et l'expérience personnelle de son interlocuteur, un peu comme ces films de cinéastes de l'Est comme Tarkovski ou Sokourov qui parfois vous obligent à avoir le cerveau qui tourne à 1255 km/s sous peine de n'y rien capter ou ne pas faire l'effort de vous poser de questions, ce genre de films ouvrant grand une porte mais ne délivrant généralement pas de réponse pré-fabriqué derrière.

 

Et puis merci car ce genre de film me redonne envie de croire en la puissance magique du cinéma qui n'est pas toujours qu'un divertissement ou une industrie (même si c'est un aspect qu'on ne peut passer sous silence on est d'accord les aminches : même moi quand vous regardez tout ce que je me mate, il y a de quoi avoir peur, huhu). Mais quand le regretté Stanley vous balançait la porte des étoiles après quelques minutes hautement abstraites où un allignement de planètes et un monolite à l'horizontale sur fond de voix irréelles préfigurait un trip de couleurs hallucinantes, on était sacrément secoués. D'autant plus quand, comme Dave Bowman, c'était pour débouler dans une chambre à la Louis XIV. Ouais ça fait toujours un choc la première fois, mais encore aujourd'hui oui.

Quand Elisabeth Vogler s'interrompt et se fige sur scène dans Persona, c'est après un générique de près de 6 minutes aussi abstrait et effrayant que fascinant et proprement inexplicable. Et ne comptez pas sur Bergman pour vous expliquer ce à quoi ça signifie par la suite dans le film, les personnages ont d'autres chats à fouetter, nous aussi pour peu qu'on soit complètement captivés par le film.

Quand les proies humaines de l'alien s'enfoncent dans la matière noire, on comprend qu'elle entrent alors de leur plein gré dans un piège qui est autant solide que mental. Sur ce dernier point, ce n'est qu'immergées dans le liquide, qu'elles remarquent que la Scarlett objet de leur désir s'est joués d'elles au dessus, l'espace mental qui a fonctionné comme une abstraction pour nous (tout simplement parce que nous n'avions pas accès à ce que pensaient les victimes. Si nous voyons un espace noir et indéfini, sans doute croyaient-elles voir un entrepot ou une simple chambre) le reste encore, sauf pour elles. Le drame, inhumain et brutal est déjà en marche mais cela nous ne le réalisons pas. Il faut qu'une victime, pétrifiée à l'extrême tente dans un geste presque émouvant, de toucher, prendre la main d'une autre pour presque la rassurer, lui dire qu'elle n'est pas seule dans ce cauchemar, avec de petits bruits étrange de cassure, de broyage, pour qu'on réalise que quelque chose ne va pas...

 

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...La victime en face ne bouge plus, que par intermittence. Est-elle encore vivante ? Probablement. Et on remarque que par petites touches, son corps semble s'affaisser par endroits. L'instant d'après, le bruit est plus fort et soudain tout le corps du pauvre homme disparaît de lui-même, dévoré de l'intérieur, sucé par quelque chose d'ineplicable, d'inimaginable. Très vite, ne reste plus que la peau qui flotte avec des traits qui figurent ce qui peut rester des ossements. Une toile dans le vide. La séquence est belle mais terrifiante, d'une cruauté qui m'a fait bondir violemment. A l'image des gens qui étaient désintégrés par les explosions atomiques au Japon pendant la seconde guerre mondiale, il ne reste plus de ce qui a pu être un être humain. Au japon, seuls prouvaient les passages d'une vie, les ombres figées sur le mur, comme une photocopieuse, via le souffle et la lumière de l'explosion (*). Ici, une peau qui flotte tel un fin morceau de calque... L'illustration parfaite de ce qui arrive en direct, ou plutôt en accéléré à un insecte qui tombe dans l'urne "stomacale" d'une plante carnivore comme la Nepenthe. Sauf qu'à la différence de l'insecte, les êtres humains possèdent une conscience, ce qui fait que la scène et sa violence même, choque pas mal le spectateur (moi en tout cas).

 

Il est donc difficile dans un premier temps d'éprouver une quelconque empathie pour notre alien égarée. Si elle n'éprouve aucun plaisir visiblement au fait de piéger par le désir quelques humains dans la nasse, elle ne ressent pas non plus de tristesse ou quelque chose pour "ses" victimes. Elle agit en temps qu'appât, voire d'éclaireuse pour de quelconques supérieurs, tel cet inquiétant motard qui rôde non loin d'elle et fait tout pour que sa mission se déroule sans problème. Ce dernier lui trouvera un corps de jeune fille noyée avec des vêtements à récupérer, plus tard, l'inspectera sous toutes les coutûres pour voir si sa fonction d'appât fonctionnera (et aussi, j'ai pensé, si "la peau" humaine de l'alien ne contient à ce moment aucun défaut, aucune déchirure. Il y a cette étrange et belle scène où après avoir capturé la personne au visage déformée --qui n'est aucunement maquillée et souffre dans la vie réelle de neurofibromatose--, notre alien se regarde longuement dans le miroir. Or ce n'est pas ce dernier qui se craquelle métaphoriquement, c'est elle) mais s'occupera aussi de la sale besogne de nettoyer les preuves que les victimes ont laissées (prendre les affaires de la tente, liquider l'humain au visage déformé, seul survivant du piège de la matière noire). Le vrai mystère le plus inquiétant du film pour moi reste donc ce motard, pardon, les motards, qui se lancent dans la seconde partie du film à sa recherche, ce qui laisse penser qu'elle n'est pas un cas isolé et qu'en diverses parties du globes, d'autres cas de "Scarlett" capturent des proies humaines.

 

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Pourtant, de même que la perception de l'alien va se modifier, sa vision de l'humain va aussi changer lentement. Alors qu'elle tente d'attirer un homme sur une plage, celui-ci attiré choisit de la délaisser pour porter secours à un couple qui se noît. Evidemment, ce n'est pas la première fois qu'un humain évite le funeste piège qui lui serait donné s'il venait à suivre l'alien. Mais les autres fois, à travers des vues très guerilla (beaucoup de plans tournés à l'insu des gens, ce qui rajoute un côté imprévu bienvenu) et d'une qualité souvent différente, les possibles proies refusaient avant de monter dans la camionette, ou ne faisaient qu'un bout de chemin dedans. Ici, l'alien voit qu'elle est mise de côté pour d'autres humains, qu'elle ne comprend pas. La réaction ne se fera pas attendre et à l'aide d'une pierre, elle assomera sans vergogne le plongeur, une fois qu'il est revenu sur la terre ferme. Cette manifestation de colère froide est déjà un pas, surprenant, pour cette créature qui jusqu'ici, ne ressentait rien, laissait son être de côté. Les cris du bébé entendus à ce moment là sur la plage, reviendront en tête à notre alien lorsqu'elle croisera un enfant criant, derrière la vitre d'une voiture. La coquille va alors lentement se fissurer, le point culminant dans cette fissure étant l'épisode avec l'homme au visage déformé.

 

Cela ira jusqu'à atteindre finalement une certaine apothéose à travers ces plans incessants de femmes (vue subjective) croisées dans la rue. Non pas une femme, mais des femmes. Une multitudes d'images de l'humain qui vont former une toile sépia de toute beauté (capture ci-dessus) enserrant la tête de notre alien, paumée et, sans doute plus compatissante à défaut de comprendre totalement ce que peut être l'espèce humaine. C'est évidemment une interprêtation subjective que j'opère là, avec ma propre expérience. Perso, au lycée, sans non plus me sentir totalement "alien" en face de mes congénères, j'étais constamment comme "en dehors de mon corps", observateur discret et souffrant intérieurement. Je ne pense pas être le seul à avoir traversé ça, par contre je l'observe à nouveau à travers le jeu glacé de Scarlett Johansson et quelque part je ne doute pas que cela a pu jouer avec mon empathie dans la seconde partie du film, et ce même si le fait d'avoir été un appât complice de cette "invasion extra-terrestre pernicieuse" (puisqu'il faut bien la nommer) n'excuse en rien le personnage.

 

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Cette prise de position sur l'humain reste pourtant floue dans les derniers plans, fabuleux dans leur beauté froide et spectrale, où l'alien, retirant sa peau humaine, semble la sonder en silence. De nouvelles questions apparaissent alors et c'est à nouveau au spectateur d'en chercher les réponses. Cette peau qui arbore l'apparence humaine, n'a t-elle pas au final acquis une vie qui lui est propre (ce plan hallucinant où le visage humain a les yeux qui se gorgent de larmes tandis que l'alien en face, reste muette) ? S'est-elle chargée des expériences que sa propriétaire ne pouvait légitimement absorber et acquérir ? Et que dire alors des perceptions que nous recevions, largement sonore au début (les consonnes, voyelles et autres sons que l'alien prononce durant ce qu'on peut penser être son arrivée sur terre) qui, à ce moment cessent pour souligner une scène au silence à couper au couteau ? Tellement coupant que nous remarquons trop tard l'humain terrifié et bête qui agît bêtement, mué par sa propre peur derrière ?

 

Il y aurait encore beaucoup à dire et questionner dans Under the skin. La grande richesse du film, outre son aspect sensitif incroyable et sa mise en scène sidérante, c'est d'ouvrir de multiples questions et comme dans une BD d'Andreas, de choisir de ne pas y répondre (ou du moins pas frontalement) et laisser le spectateur le faire par lui-même. Aucune pensée de l'Alien ne nous parvient, mais Glazer par contre, enregistre patiemment et finement toutes les métamorphoses qui arrivent sans jamais appuyer de trop et nous laisser donc témoins et au questionnement. Je repense à cette séquence où l'alien tente de manger un gâteau et s'étrangle. Parce qu'elle ne supporte pas le goût ? Parce qu'elle ne s'était jamais servie de son oesophage pour déglutir (ce que je pense puisque la séquence au lit plus tard ira en ce sens mais avec une partie du corps vers le bas et non le haut) ? A moins que justement cela ne convienne qu'à sa "peau" et non ce qu'elle recouvre ? Questions, questions... A nous d'en trouver des réponses et de voir ce que le voisin a trouvé aussi. Bien avant les forums d'internet avec mes rares amis cinéphiles au collège, c'est ce que nous faisions chacun avec nos interprétations de 2001 l'odyssée de l'espace que l'on s'échangeait tranquillement. Même chose ici donc pour cette oeuvre à voir et revoir.

D'ors et déjà dans mon top de l'année pour ma part. :)

 

 

 

 

(*) D'où une scène reprise telle quelle dans le Watchmen d'Alan Moore d'ailleurs. Je n'en parlais pas dans ma chronique comparative du film et du comics mais bon, il y a tellement à dire dessus...

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Commentaires
J
Il m’a été donné de voir ce film en streaming via l’application https://play.google.com/store/apps/details?id=virgoplay.vod.playvod et ce dernier m’a vraiment impressionné. Hormis quelques passages qui auraient pu être mieux réalisés, à mes yeux, ce titre est exceptionnel. Je vous suggère d’ailleurs de jeter un petit coup d’œil aux commentaires des critiques de telerama.fr et premiere.fr qui sont vraiment positifs à son sujet. Voici une bande-annonce, qui arrivera certainement à vous convaincre de voir cet opus http://www.youtube.com/watch?v=NoSWbyvdhHw.
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N
Ah pas de gorge, je n'y avais pas pensé contrairement à pas de vagin (et le fait qu'elle s'ausculte dans la glace)... Ou alors il y a un hymen vu qu'elle n'a jamais fait l'amour et ne sait s'en débarasser... Bon, cette conversation va dans le n'importe nawak graveleux, arrêtons là. :D <br /> <br /> Et merci ! ;)
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P
Je pense que le corps de l'alien est «plein», elle ne peut pas avaler parce qu'elle n'a pas de gorge. Tout comme elle ne peut pas faire l'amour parce qu'elle n'a pas de vagin. C'est peut-être à ce moment-là qu'elle comprend qu'elle ne pourra jamais se fondre dans la masse et mener une vie «normale» d'où sa fuite et ensuite le «dépeçage» à la fin du film. Enfin c'est ce que j'en ai pensé ;) Comme tu le dis chacun peut y voir ce qu'il a envie d'y voir !<br /> <br /> En tout cas chapeau pour ta chronique :D
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