Budori l'étrange voyage
Suite à une succession d’étranges phénomènes naturels, Budori le chat doit quitter sa forêt pour retrouver Neri, sa petite sœur mystérieusement disparue...
Malgré un emploi du temps aussi chargé que peut l'être un sumo qu'on a essayé de faire rentrer dans une pièce de 8 m2 et un nombre horriblement limité de copies dans toute la France, je n'allais pas manquer les retrouvailles avec cet adorable chat bleu déjà vu dans le superbe Train de nuit dans la voie lactée (note pour des éditeurs qui me liraient, on attend toujours le DVD...). On reprend donc les mêmes et on recommence, les moyens modernes en plus et c'est beau, bon sang, c'est beau. C'est donc à nouveau Gisaburo Sugii qui réalise cette nouvelle aventure de notre chat bleu et comme en 1985 pour son aîné c'est évidemment repris de l'univers du romancier Kenji Miyazawa. On retrouve même des personnages de Train de nuit mais la tonalité du film est ici pleinement différente.
C'est un film initiatique aux tonalités écologiques qui remplace ici l'onirisme métaphysique crépusculaire de son aîné. Cela dit, les touches oniriques reviennent de temps en temps pour masquer la gravité latente du propos, voire les regrets du personnage de Budori. SPOILER (surlignez les lignes blanches à vos risques et périls !) :
Le fait d'avoir laissé mourir sa soeur de faim inconsciemment et le fait d'avoir relégué ce trauma sous le seul fait de la famine et des images récurrentes d'un village mortellement endormi sous une neige omniprésente. D'ailleurs des indices laissent à penser que ses parents comme sa soeur ne sont plus de ce monde. Par exemple l'ascenceur dans cette tour qui monte presque jusqu'au ciel et la remarque de Budori qui croyait être arrivé au sommet après avoir pourchassé "ses parents" non pas en prenant l'ascenceur mais l'escalier --métaphore du fait qu'il ne les rattrapera d'ailleurs pas-- : "Mais, ça monte encore ?". Ou bien cette vision de la soeur, grandie, ou qui y ressemble, en tant qu'artiste de cirque.
D'ailleurs le fait que Budori se lance mollement à la recherche de sa soeur, préférant comme, essayer de vivre sa vie et d'apprendre, d'avoir l'éducation qu'il n'a jamais eu, n'échappera à personne. On pourrait donc voir l'espèce de chat magicien qui aurait enlevé sa soeur comme une certaine symbolisation de la destinée (la fin est très claire et lors de la dernière rencontre entre Budori et le magicien, le premier ne pose aucune question à propos de sa soeur, c'est naturellement évacué).
Tout le film semble dresser par métaphore le portrait d'un Japon de l'après Fukushima où ici les catastrophes climatologiques (famine, tempêtes, sécheresse) témoignent d'un pays en décomposition. L'écriture picte et les paysages sont d'inspiration nordiques mais la métaphore est on ne peut plus limpide. Et c'est à cause de la désagrégation du pays que la famille de Budori suit le même chemin. Du coup, en sortant de la forêt et son monde, le petit chat bleu accepte à la fois de grandir mais aussi ce monde plus qu'industrialisé et moderne qu'il découvre pour la première fois. Sugii semble nous dire par l'animation et d'une manière très simple qu'une fois de plus ce n'est pas la technologie ou le progrès qui est mauvais mais l'utilisation qui en est faite (l'exemple de la récolte qui périt parce qu'on ne sait comment la traiter, le fait d'utiliser du pétrole pour tuer les insectes sur les cultures sans se douter que cela va aussi infester le champ du voisin).
Un crédo basique donc mais qui marche toujours ici, sans jamais être asséné avec lourdeur (répétez après moi "Le vent se lève, il faut tenter de vivre" une bonne dizaine de fois, voilààààà) et disposant d'une réelle finesse. Il faut dire qu'il est porté par la trajectoire pleine de justesse et de vertu de Budori. Cette bonté et cette foi douce en l'humanité (chatmanité ?) permet de pardonner l'aspect parfois décousu du film. Il l'embellit même d'une certaine manière en offrant au réalisateur de 74 ans une belle conclusion de carrière et une réflexion apaisée au sens qu'on peut donner à sa propre vie. Au final, avec son ton doux amer et mélancolique, l'oeuvre trotte dans la tête et fait assez réfléchir, hissant le film non pas au statut de chef d'oeuvre ou film culte comme son aîné mais toutefois de film plus que recommandable. Si on ajoute à ça la belle musique de Ryota Komatsu qui évoquerait presque Joe Hisaishi par moments, on à la quelque chose qui a tout d'un grand film mais qui tente de se cacher par pudeur. Pas mal pour un long métrage d'animation qu'on aurait vite fait de cataloguer pour les enfants.