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Chroniques visuelles
13 octobre 2014

Poèmes bretons

 

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Sublime cadeau que nous faisait là Potemkine (page facebook ici pour les curieux) en sortant le 3 juin un coffret regroupant une majeure partie des films de Jean Epstein, l'un des grands oubliés des éditions vidéos du patrimoine français actuel (mais il n'est pas le seul bien malheureusement. Coucou Abel Gance), dans un gros coffret regroupant ensuite trois sous-parties en divers coffrets plus petits et correspondants aux diverses périodes du cinéma d'Epstein. Ce n'est évidemment pas une intégrale (je doute qu'on puisse récupérer tous les films à cause de problèmes de droits ou de la perte directe de certains films) mais l'on ne peut que s'incliner devant la volonté de proposer une large rétrospective des plus riches heures de l'inclassable thoéricien et cinéaste qu'il fut.

 

 

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Finis Terrae, 1929.

 

A l'heure d'aujourd'hui, ce qui surprend encore, c'est l'incroyable modernité de son cinéma, justement étudiée ici par le prisme de sa troisième vie, la plus longue et la dernière, celle des Poèmes bretons comme le résume le coffret Potemkine qui couvre (en partie (*) ) ses films bretons de 1929 avec Finis Terrae jusqu'aux Feux de la mer en 1948 (Epstein s'éteindra quelques années plus tard en 1953, alors seulement âgé de 56 ans. Nul doute qu'il aurait pu nous livrer encore une dizaine de films même si à ce moment là, le cinéaste était plus qu'en décalage avec le cinéma actuel). Pourquoi la Bretagne au fait ?

 

En 1928, La chute de la maison Usher, beau film romantique et fantastique d'une poésie un brin macabre (avec d'incroyables ralentis et superpositions) qui fait honneur au texte de Poe ne trouve pourtant pas son public. C'est un échec de plus pour le cinéaste, fatigué et surendetté qui songe à se ressourcer près des côtes bretonnes, paysages alors sauvagement hostile et encore terre vierge pour le cinéma (**). Sur place, c'est le coup de foudre et le début d'une longue collaboration entre Epstein et cette terre, ces habitants (qu'ils emploiera fréquemment dans son nouveau cinéma, donnant plus de force à ce mélange étrange de fiction et de documentaire), la mer. Personnage principal de l'ensemble des films du réalisateur durant cette période, elle n'a d'ailleurs jamais été aussi belle qu'ailleurs chez lui. Portrait en une poignée d'oeuvres subjectives (disons qu'elles ont ma préférence) parmi les nombreuses que comporte le coffret 2 DVD.

 

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Mor'vran, 1931.

 

 

Finis Terrae (1929 - muet, 82 mn)

Ce n'est pas ma première confrontation avec le cinéma d'Epstein puisque j'avais déjà vu Le tempestaire (que j'ai donc revu avec plaisir à l'occasion) mais néanmoins c'est à nouveau un choc. Tout en tissant une histoire (la plaie d'un jeune marin s'infecte mais ce dernier, par orgueil ne le dira que tardivement, occasionnant un suspense sur son sauvetage ou non pour ce cas exceptionnel, de rentrer alors au pays), le cinéaste filme les paysages, le quotidien des pêcheurs d'algues, alternant vues d'ensemble, vues rapprochées (les gros plans sont parfois extraordinaires), des plans parfois d'une simplicité même qu'on ne remarque pas l'exceptionnel travail stylistique qui fait surgir la beauté et le merveilleux du réel (on frôle même l'abstraction, voir la capture de la jeune bretonne de Mor'vran ci-dessus). C'est passionnant d'un bout à l'autre et la partition moderne et hypnotique sonore complète admirablement le film. Tout au plus regretterais-je quelques longueurs là où j'aurais retiré 5 à 10 minutes pour des questions de rythme. Cela dit on ne peut pas faire l'impasse sur l'admiration du cinéaste pour cette terre et ces hommes qui transpire littéralement de chaque plan.

 

Mor'vran (1931 - muet, 26 mn).

Si Finis Terrae mixait de fort belle manière documentaire et fiction, Mor'vran reste dans le documentaire pur, n'adjoignant une petite fiction en toile de fond que pour mieux souligner la mer meurtrière et sauvage (formidables plans de tempête dans ce film comme les autres d'ailleurs). N'empêche, dans sa mise en scène qui souligne toute l'inhospitalité de l'île de Sein, le cinéaste ne peut s'empêcher de faire des merveilles. Une bonne partie des plans semblent taillés comme un écrin pour que le cinéaste puisse capter le quotidien des habitants de l'île, leurs moments de bonheur comme de tristesse.

 

 

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Le tempestaire, 1947.

 

 

Le tempestaire (1947, 22mn)

Les feux de la mer (1948, 21mn)

 

Après la guerre, Epstein ne tournera donc plus que deux oeuvres. Il est regrettable que la mort nous ait privé trop tôt du cinéaste car avec le recul, sans doute aurait-on pu avoir de nouvelles choses dans son cinéma. Même s'il reste sur le noir et blanc, les films s'ouvrent cette fois au parlant. Bien sûr il y avait déjà de la musique auparavant via les partitions accompagnant les films muets quand ils étaient projetés. Bien sûr il y a eu Les berceaux en 1931 (dans le présent coffret) mais c'était plus un poème musical sur la musique de Gabriel Fauré. Dans Le tempestaire, la parole est limité. On parle peu dans le film si ce n'est pour y déposer quelques informations (la tempête qui gronde, une jeune fille qui s'inquiète pour son homme parti en mer...) ou pour accentuer un effet répétitif qui accentue l'étrangeté de l'oeuvre.

C'est un fait, Le tempestaire est un petit bijou fantastique qui prend racine dans une légende bretonne, celle des souffleurs de vent. A partir de là, Epstein va jouer non seulement donc avec le son mais aussi l'image (outre la parole, notons que le son est ralenti tout comme les marées qu'on semble comme entrevoir par la boule du fameux tempestaire) pour créer un climat de sidération. Autant Finis terrae et Mor'vran signaient l'apogée artistique du cinéaste, autant Le tempestaire, en entrouvant une voie miraculeuse vers l'ailleurs, s'impose comme un véritable chef d'oeuvre du court au même titre que bien plus tard, une certaine Jetée de Chris Marker.

 

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Les feux de la mer, 1948.

 

Les feux de la mer, c'est autre chose, une oeuvre de commande qui, si elle ne voit pas Epstein transcender le tout (surtout après l'incroyable Tempestaire) montre que pour une dernière oeuvre, il y a encore de beaux restes. Documentaire court sur les phares dans le monde auprès de plusieurs cinéastes, ici le cinéaste hérite de ce qui touche aux phares bretons. C'est donc avec moults images des phares, de la mer, de cartes diverses (voire de petits bricolages maison bien sympa où sur un fond naturel, le réalisateur hérige des petits phares découpés) qu'il illustre sans broncher un versant pédagogique qui je l'avoue ne m'a nullement ennuyé. J'ai même préféré cette oeuvre à d'autres (Les berceaux, aie, enfin sur le plan musical parce que Fauré on l'a connu plus inspiré et puissant) avec le recul. Notre Jean, fidèle à lui-même ne peut s'empêcher de mettre une petite fiction de son crû où un jeune gardien de phare prend la relève auprès d'un vieux maître, vainquant difficilement sa peur et la solitude au sein d'une nuit fort agitée.

 

Vous l'aurez compris, si vous êtes cinéphile, curieux et ouvert aux films qui sortent de l'ordinaire avec des images sensationnelles (c'est le cas, le cinéma de Jean Epstein n'a rien perdu de sa force encore aujourd'hui), l'oeuvre vous tend les bras et l'on ne peut que remercier d'autant plus Potemkine pour ce cadeau rare et donc d'autant plus précieux !

 

 

► Chroniques à retrouver aussi sur mon partenaire Cinetrafic dans la filmographie d'Epstein. Rien à voir avec du film drole 2014 cela dit mais rien n'empêche de jongler de l'un à l'autre, c'est aussi ça aimer le cinéma.

 

 

 

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(*) Epstein livre plusieurs oeuvres non reprises dans ce coffret --et je pense disparues et introuvables-- entre 1929 et 1948 qui le voient s'éloigner de sa terre d'élection bretonne comme L'homme à l'hispano (1933), La châtelaine du Liban (1934) ou La femme du bout du monde (1938). Des films où il doit alors composer avec des comédiens et acteurs professionnels, purement de fiction et visiblement alimentaires. Je me demande avec curiosité si ces films sont d'un certain intérêt même si la poétique du titre La femme au bout du monde ne peut que m'intriguer favorablement.

(**) Encore aujourd'hui la Bretagne et pas mal de régions de France ne sont d'ailleurs pas toujours suffisamment mises en valeur par le cinéma français. Dommage.

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