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Chroniques visuelles
3 janvier 2015

Une question de vie ou de mort

 

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« Voici l’histoire de deux mondes. Celui que l’on connait et celui d’un autre, qui n’existe que dans la tête d’un jeune aviateur dont la vie et l’imagination ont été violement modelés par la guerre. »


Seul dans le cockpit de son avion en flamme, le chef d’escadron Peter Carter (David Niven) se prépare à une mort certaine. Avant de sauter dans le vide, il livre ses dernières paroles à une jeune opératrice radio. L’aviateur sort miraculeusement indemne du crash et entreprend de rencontrer sa confidente. Ils se retrouvent et tombent rapidement amoureux. Malheureusement, sa survie est une erreur que son guide céleste vient prestement lui apprendre. Mais Peter refuse de renoncer à la vie et à l’amour, et, alors que son corps subit une opération, son cas est jugé par le tribunal d’un autre monde. Le verdict décidera de son sort.

 

On le pense parfois mais on ne le dit jamais mais quand même, "qu'est-ce qu'ils sont forts ces brits !" (copyright ma moman).

En l'occurrence Powell & Pressburger sont des monuments typically british que le monde entier a enfin redécouvert ces dernières années grâce à une poignée de cinéphiles passionnés dont Tavernier et Scorsese. Envolée donc la diatribe un peu aigrie et très égocentrique de papy Godard proclamant qu'il n'y a pas de cinéma anglais dans les Histoire(s) du cinéma. 2013 nous a abreuvé de la ressortie en salles d'Une question de vie et de mort qui est arrivé en DVD et Blu-ray chez Elephant Films avec bonheur fin octobre 2014 et que je chronique via le partenariat DVDtrafic de Cinetrafic et Elephant donc. Et ce avec plaisir autour d'une tasse de thé ou presque car chaque film du duo (ou de Powell seul) est un évènement en soi.

 

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Dès l'apparition de leur fameux logo "the archers", on note le passage du noir et blanc à la couleur.

 

"Je ne sais vraiment pas qui suggéra le premier la fameuse cible, mais l'idée a peut-être germé à Denham sur Le voleur de Bagdad, tandis que je regardais mon champion de tir à l'arc envoyer flèche après flèche dans la cible qu'il s'était choisie.

Un jour, je montrai à Emeric un petit poème satirique dû au critique dramatique James Agate :

"La flèche était d'or pur

Mais manqua quand même la cible.

Mais comme le savent tous les usagers de la flèche d'or

Mieux vaut manquer Naples que d'atteindre Margate (*)."

L'idée plut à Emeric et nous adoptâmes la cible comme marque de fabrique avec en surimpression : Une production des Archers.

"Et la flèche frappe en plein dans l'or ! dis-je, enthousiaste.

_ Enfin, tempèra Emeric, quelque part à proximité."

"Et l'arc ?

L'arc fut fait en Angleterre :

De vrai bois, de bois d'if.

Le bois des arcs anglais."

Les vers héroïques d'Arthur Conan Doyle furent également l'une des inspirations de la marque de fabrique des Archers --une cible hérissée de flèches. Parfois la cible était vide, attendant le verdict de notre public; parfois la flèche atterrissait, arrogante, en plein dans le mille. Dans les premiers temps la cible était noire et blanche. Plus tard elle fut en couleur, mais toujours avec en surimpression les mots : "Une production des Archers". Le public que nous avions crée pour nos films l'attendait. Il savait que la cible des Archers promettait quelque chose de différent."

(Michael Powell - propos issus de Une vie dans le cinéma --institut Lumière/Actes Sud-- repris dans le livret de 42è parallèle, édition Collection institut Lumière)

 

 

Dans Une question de vie ou de mort, la donne est posée dès le début à travers le logo des Archers qui passe subtilement du noir et blanc à la couleur. Le film jouera là-dessus habilement, la couleur servant à transposer la réalité là où le noir et blanc, intemporel, figure d'une certaine manière l'autre monde (précision importante, jamais le mot "paradis" ne sera prononcé de tout le film, l'écriture de Pressburger entremêlant de belle manière ce qui pourrait être à la fois un trauma ou une sorte d'hallucination rêvée --et il nous arrive en effet de rêver parfois en noir et blanc-- liée à une tumeur en développement chez le personnage du pilote). Les auteurs, malicieux, jouent donc de cette donnée technique pour délivrer non sans humour (cf captures suivantes où un personnage envoyé de l'ailleurs arrive dans le monde réel --il ne sera perçu que par le pilote, une manière d'appuyer l'aspect fantasmagorique incertain-- et déclame que la couleur et plus précisément le technicolor lui manque !) des visions tantôt réalistes, tantôt baroques et oniriques au sein de cette romance fantastique (les escalators gigantesques, le toit en coupole, la salle du procès dans les étoiles). Le procédé n'est pas nouveau en soi (Le magicien d'Oz avant, Les ailes du désir plus tard...) mais il marche toujours autant.

 

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Au delà du tour de magie technique toujours aussi surprenant et de cette très belle histoire touchante où les personnages vivent une histoire d'amour troublée durant la guerre, Une question de vie ou de mort est aussi au sortir de 1946 où il est tourné, un plaidoyer pour les relations internationales, notamment britanniques et américaines de même que pendant le conflit, Colonel Blimp (1943) proposait déjà une tentative de réconciliation humaniste entre anglais et allemands sous le biais d'une amitié indéfectible.

Et sur ce point, la flèche des archers atteint sa cible en plein coeur là aussi. Moment de tension finale (on juge la vie d'un homme, enfin sa mort), la scène du procès est aussi l'occasion pour tourner en dérision à la fois la fourbe Albion comme le continent promoteur de coca-cola. Somme toute, on a autant de raisons de taper sur les anglais que les américains ! Sur le plan sentimental, le propos était déjà amené tendrement et dès le début dans la romance entre David Niven, le pilote anglais et la jeune opératrice radio américaine jouée par Kim Hunter et l'acharnement par la suite de cette dernière à sauver celui qu'elle aime montant graduellement en intensité jusqu'à la fin.

 

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Tout ça c'est de la faute de Jésus, je le savais.

 

Si le film brouille les pistes des genres (fantastique, guerre, mélodrame, film de procès), ce qui en fait tout son charme vient à la fois de son duo cinéaste-scénariste ainsi que de l'équipe technique où nos compères ont le bon goût de s'entourer de valeurs sûres. Outre Niven et Hunter on citera Kathleen Byron en réceptionniste de l'Ailleurs qui nous mettra une incroyable mandale dans la tronche plus tard en jouant la schizophrène Soeur Ruth dans Le narcisse noir (immense chef d'oeuvre). Roger Livesey déjà classe dans Colonel Blimp brille à nouveau de mille feux dans un rôle plus secondaire mais non moins important en jouant ce docteur pragmatique mais féru de technologie, voire de paranormal. Un personnage qu'on admire dès le début tant la précision d'écriture d'Emeric Pressburger fait mouche là aussi. Marius Goring en messager venant de l'autre monde n'est pas mal non plus : en tant qu'ancien révolutionnaire français décapité, il doit prévenir Peter que son temps sur Terre est compté, non sans truculence avec un accent et des mots français plus vrais que nature (alors que l'acteur n'est pas français du tout !). A la photographie, Jack Cardiff qui fera des merveilles sur Le narcisse noir d'ailleurs et aux décors, Alfred Junge lui aussi fabuleux.

 

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Pas etonnant donc qu'avec un tel casting la flèche ne manque pas sa cible donc puisque le film respire la classe de bout en bout en étant à la fois doté d'une écriture sensible mais souvent drôle, passionnante tout en étant romantique, tragique tout en étant légère. La plus belle définition que l'on peut regrouper du cinéma en somme. Le DVD et le Blu-ray sont paru chez Elephant films (qui s'enorguellit d'ailleurs d'une excellente collection "Cinema master class" de mois en mois) et s'il est un peu tard pour un cadeau de Noël, rien ne vous empêche de faire un ou des heureux avec un cadeau de Nouvel an !gneee

 

 

 

(*) Note du même livret sur ce point : "Plage populaire anglaise. Le poème fait un jeu de mots entre Target et Margate". Ah oué, faut le savoir quand même.

 

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Pour ouvrir d'autres pistes et continuer la lecture en des cieux tous aussi sympathiques :

 

L'excellente chronique fabuleusement monstre de mon amie Potzina sur un autre Elephant films sorti il y a peu en classique culte : The lodger d'Hitchcock.

Pour continuer sur Powell & Pressburger, on dit du bien de 49e parallèle ici.

 

 

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Commentaires
P
Tout d'abord merci beaucoup pour la mention über Nio :D<br /> <br /> Sinon ce film a l'air tout ce qu'il y a d'excellent ! J'adore Les Chaussons Rouges et je viens de recevoir Le Narcisse Noir (je lirai ta chro quand je l'aurai vu) pour nowel. Je m'offrirai peut-être bien celui-ci prochainement :)<br /> <br /> <br /> <br /> C'est vrai que la collection Master Class de chez Elephant fait baver d'envie. C'est la CB qui va chauffer !
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