Fanny et Alexandre
Bonjour à tous pour ce premier post de 2016 !
Pas de bilan 2015 pour le coup, pas même souhaiter une bonne année (j'ai regardé les mois de janvier de 2015, 2014 et 2013 dans le rétro et bon, j'ai peur que janvier 2016 soit franchement pas top non plus donc...). En revanche, je vous souhaite de la santé, des voeux, et du bonheur si possible.
Et rentrons donc dans le vif du sujet ! Récemment, mon amie Potzina dédiait son ciné-club du mois au thème des films de Noël, voire, aux films que l'on aime se revoir à Noël.
Le cinéma a quelque chose de magique qui tient de la Madeleine de Proust et en celà, nous aimons retrouver des moments de bonheur issus de films que l'on aime généralement pendant les fêtes. Bien sûr durant l'année, rien n'empêche de se revoir un film qui nous est cher. Mais avec la fin d'une année, le passage à une autre et toute la mystique qui entoure ces dates, tout ce qu'on fait, lit, mange, voit, prend une consonnance clairement magique.
Et même si nous avons nos préférences, il est des oeuvres et des sagas qui reviennent particulièrement parmi les fêtes et sur lesquelles nous, cinéphiles, nous rejoignons tous. On ne les citera pas tous mais elles ont pour nom Gremlins, Gremlins 2, La guerre des étoiles, Le seigneur des anneaux, Retour vers le futur, Alien, star trek, un Disney, La garçonnière, To be or not to be...
Des oeuvres qui sans être forcément sérielles en soit ou à des degrés différents (les épisodes IV, V et VI de La guerre des étoiles ne sont séparés que de quelques mois, voire un ou deux ans dans la chronologie de l'histoire racontée. Alien étire ses films dans une chronologie toujours plus en forme de fuite dans le temps : près de 50 ans séparent le second alien du premier) sont avant tout des films à part entière avec une vraie fin et où l'histoire est un moyen et non une fin en soi afin de développer généralement des idées thématiques (voire sociales et politiques) ou de mise en scène ou de passages suffisamment jubilatoires justement pour qu'on ait envie de revoir les films (par plaisir ou y réfléchir).
Pendant le mois de décembre, je me suis revu certains des films cités. Mais est-ce que j'allais en parler ? Que pourrais-je dire d'une part qui n'a pas été dit et parfois mieux par d'autres ? D'autre part, était-il nécessaire de me redire sur des oeuvres déjà chroniquées en ces lieux ? C'est vrai, pour la plupart des films cités, j'en parle avec un certain bonheur évident ici, soit dans de vieilles chroniques, soit des plus récentes. Il suffit de fouiller pour trouver son bonheur.
Il y a un cinéaste que j'aime beaucoup et dont le cinéma, découvert voilà maintenant plus de 8 ans en fac de ciné, me fut un choc incroyable. Il s'agit de celui d'Ingmar Bergman, dont l'évocation fera probablement fuir d'ici les cinéphiles qui ont des préjugés (outre que celui de penser que le nom de Bergman pourrait être associé à une marque de cracottes scandinaves. Ne riez pas, j'ai moi-même déjà fait des blagues vaseuses en ce sens). Pourquoi préjugés ? Parce qu'il semblerait que le cinéma du bonhomme soit associé à une certaine rigidité. Voire austérité.
"Mettons fin aux rumeurs, voici les faits !" (cette citation provenant d'Alien 3, je me refais pas).
Certes, le cinéma de Bergman ne respire pas toujours la joie de vivre. Il a pourtant essayé de faire un pas dans le cinéma comique à un moment avec Toutes ses femmes (1964). Cela n'a pas marché mais en grand pervers, moi j'ai bien aimé : on ne s'attends pas à un film aussi créatif d'un gars qu'on a toujours pris pour un sérieux pète-sec, c'est donc d'autant plus réjouissant de le voir verser dans un humour absurde parfois totalement crétin. Austère son cinéma par contre, non je n'irais pas jusque là. Il y a toujours une mise en scène dotée de détails, d'idées, de moments incroyables qui en font quelque chose d'autre que le pensum êtement chiant et asphixiant qu'on pourrait avoir.
Surtout le cinéma de Bergman est noir, mais dans le sens où il sait capter la vie et sa noirceur tout en exultant sa beauté cachée qui fait qu'on est encore de ce monde (forcément sinon, on se jetterait tous sous un camion ou dans le vide à la longue). Celà passe par la psychologie de ses personnages, toujours fabuleusement fouillée. D'où parfois l'expression qu'on peut employer pour des films de Besson ou autre en voyant tel ou tel héros ou héroïnes "ben merde, j'attendais pas non plus du Bergman mais quand même !".
Bon je pense avoir pas mal parlé du bonhomme ici et là, passons.
Il y avait pourtant une oeuvre du bonhomme que je n'avais vu jusqu'ici, repoussant souvent le visionnage soit malgré moi (à l'époque du défunt Virgin megastore, je vois l'édition criterion du film en zone 1, je ne l'ai pas prise, je m'en suis bien évidemment mordu les doigts), soit par moi-même (j'avais peur de la relative durée du bidule, je le confesse), il s'agit de Fanny et Alexandre.
Avec cette oeuvre-testamentaire qui signe son adieu au cinéma en 1982 (mais Bergman sera encore vivant jusqu'en 2007 !), le cinéaste délivre une oeuvre somme où en près de 5h10 mn environ dans sa version télévisuelle (la seule approuvée par le réalisateur) et 3h dans sa version cinéma, il réévoque tous ses thèmes, convoque tous ses acteurs (enfin, presque tous, on ne voit pas Bibi Andersson, Liv Ullman et Max Von Sydow. Mais les autres y sont, Allan Edwall, Erland Josephson, Harriet Andersson *instant bave*, Jarl Kulle, Gunnar Björnstrand...), se fait plaisir dans les costumes, la photographie somptueuse, s'amuse de quelques petits tours de mise en scène de vieux singe qui n'a plus rien à prouver au sein d'une réalisation pourtant classique. Et tout ça pour quoi ?
Pour conter le destin d'une jeune femme qui suite au décès de son mari va se remarier pour connaître le malheur avant qu'un concours de circonstances ne la sauve, le tout vu sous le prisme du regard de ses deux enfants, la petite Fanny et son grand frère rêveur, Alexandre.
Cela ne vous fait pas trop envie ? Vous avez peur de ne pas tenir le coup sur 5h (je ne sais ce que vaut la version "raccourcie" donc passons) et vous ennuyer comme des rats morts ?
Vous avez tort.
Parce que c'est dans les vieilles marmites (je vais pas dire "pot", je pense au truc en plastique où les bambins en bas-âge posent leur derrière, brrr) qu'on fait les meilleures soupes. Une histoire supposément si simple va permettre d'aller dans le détail, dans l'étude de caractère, quitte à basculer dans le fantastique. Et Bergman de triompher en faisant du simple et où une bonne partie du cinéma français s'englue depuis un petit moment en confondant simplicité avec simplisme.
Parce qu'avec sa multitude de personnages, le réalisateur évite tout manichéïsme et délivre une galerie de portraits plus qu'humains, inspirés en grande partie par son vécu et son expérience (racontées dans Laterna magica. C'est bien simple, ce bouquin je serais capable de l'offrir à n'importe quel amoureux-se de cinéma, même si on ne connait pas Bergman, parce que c'est tellement autre tout en étant drôle et barré et finalement indispensable) et dans lesquels on ne peut que se reconnaître. Qu'on prenne l'oncle Carl, pétomane de rigueur. Avec sa femme, il est stressé et l'accable de tous les maux, elle qui l'aime et ne peut se résoudre à le quitter. Il est lâche et assez ignoble dans le fond. Et pourtant quand il s'agit de sauver la jeune veuve remariée, c'est lui qui va en ambassadeur avec son frère chez l'évêque. C'est aussi, outre les servantes de la grande demeure, le seul qui prend le temps de s'amuser avec les enfants ("je vais vous montrer mes feux d'artifices les enfants !" scène généreusement WTF.) et l'on comprend tout à fait ses problèmes d'argent. Au fond c'est un être humain comme les autres avec ses bons côtés et ses défauts. Ou bien la grand-mère qui, tant physiquement que sur le plan du caractère, m'a rappelé ma propre grand-mère du côté paternel.
Parce que c'est beau et riche tout le long. Il y a autant du Shakespeare (le fantôme du père parti que seuls le gamin et sa grand-mère ont le "pouvoir" de voir et discuter avec. Woody Allen saura s'en souvenir, lui qui est un gros fan de Bergman, pour nourrir son propre cinéma) que du Bergman là-dedans. La reconstitution d'une grande maison bourgeoise du début du XXème siècle qui doit aussi bien aux souvenirs d'enfance de Bergman qu'aux aquarelles majestueuses de Carl Larsson qui sut si bien représenter cet art de vivre et cette douceur aujourd'hui disparues (hop, régalez vous). Et c'est passionnant oui. La fresque commence sur les fêtes de Noël, des fêtes qui font rêver à fond et se termine quelques années plus tard sur une naissance. Entre-temps la vie et la mort auront fait son oeuvre et le visage de la belle Ewa Fröling sera devenu un nouvel écrin (un de plus après ceux de Bibi et Harriet) de l'Art Cinématographique de Bergman (une superbe scène en gros plan où elle déclare ne pas comprendre la Foi religieuse mais ressentir l'Amour comme jamais. On tuerait pour une scène comme ça).
Ewa et ses sourcils à la Audrey Hepburn.
Je pourrais encore en parler pendant des heures. Oui, fabuleuse saga de Noël donc et l'une de mes meilleures "séance" de cinéma classique cette année avec d'un côté Les oiseaux d'Hitchcock redécouvert en blu-ray remastérisé (on en pleure de bonheur) et Marketa Lazarova (autre grande fresque, mais cette fois en plein Moyen-Âge). Sur le plan du cinéma donc 2015 fut beau, grand et fort (comme ma...). On espère que 2016 conservera la même prestance !