En ce moment et ce jusqu'au 22 juillet se tient à Paris, au musée d'Orsay, l'exposition Le douanier Rousseau, l'innocence archaïque, mais je sais une fois de plus que je ne pourrais y aller, pour cause d'emploi du temps trop chargé. Heureusement, Arte édite le DVD de l'exposition (depuis le 12 avril 2016) qui est tout à la fois son compte-rendu détourné qu'une vraie biographie du douanier Rousseau, né Henri Julien Félix Rousseau. Je me suis grâcieusement jeté dessus tant les oeuvres du peintres me fascinent depuis un bon moment déjà.
Né à Laval en 1844 et après des études de droits, il deviendra Commis de seconde classe à l'Octroi de Paris, d'où il gardera son surnom de douanier (et non pas parce qu'il travaillerait à la frontière française ou que sais-je). Mais la peinture le démange et c'est en autodidacte et avec l'ambition de se faire un nom qu'il se lance de lui-même à créer ses oeuvres, un brin guidé par un certain mysticisme, de l'autre par une imagination sans cesse renouvelée dans le quotidien parisien (il ne voyagera quasiment pas. S'il se vante auprès de son ami Apollinaire d'un voyage au Mexique, en fait, c'est en observateur assidu du jardin des plantes --entres autres-- qu'on lui doit des compositions végétales fort exquises).
La charmeuse de serpents.
Malheureusement son nom ne sera guère connu de son vivant, ou bien pour être constamment moqué soit par les autres peintres, soit par les diverses critiques des journalistes. Lui n'en a cure, il conservera ces dernières dans un carnet, content d'avoir un peu de considération, même négative, ce qui est ma foi, toujours mieux effectivement que d'être relativement ignoré. Seuls ses amis Apollinaire, les époux Delauney ou Picasso voient en lui un grand artiste pourdes considérations qui, alors, échappaient à tous. Picasso d'ailleurs rachètera ses toiles et on peut probablement voir dans son Guernica un écho de la toile La guerre de Rousseau (si vous me dites "oui, le point commun c'est le cheval".... Euh c'est pas faux).
Pourtant aujourd'hui, l'artiste est heureusement réhabilité et sa peinture, supposément naïve (car reconsidérant tout dans des aplats en 2 dimensions qui échappent à la profondeur), reconsidérée sous un autre oeil. Dans le documentaire c'est Cocteau qui, judicieusement livre quelques clés en évoquant le tableau "La bohémienne endormie" (ci-dessous). Regardez le tableau attentivement. La jeune fille dort et un lion presque noir (clair-obscur ?) est près d'elle. Mais la jeune fille n'a laissé aucune trace de pas sur le sable, donc comment a t-elle pu être là si ce n'est qu'elle y a toujours été ? Donc qu'au moment où nous pénétrons dans le tableau, en fait nous entrons dans un rêve où l'idéal et l'imaginaire se disputent volontiers au réel (*). Inception-peinture, t'as vu.
La bohémienne endormie.
De fait, toute la peinture de Rousseau est à apprécier comme une très belle invitation au rêve, à un ailleurs fabuleux dont l'influence va par la suite sur plusieurs décennies se faire ressentir un peu partout, que ce soit une reprise plus ou moins directe sur une pochette de disque avec la peinture de Brett-Livingstone Strong sur le Tango in the night de Fleetwood Mac (photo ci-dessous), ou plus profondément et caché dans l'illustration, le graphisme voire la bande dessinée (je pense à Hé Nic, tu rêves ? de Hermann ainsi qu'une scène de La planète Encore de Moebius (mini histoire intégrée à sa série Les jardins d'Edena --Les humanoïdes associés puis Casterman-- bien qu'à la lecture du second tome, c'est toute la BD qui est pratiquement une sorte d'hommage de Jean Giraud Moebius au douanier Rousseau !). Des exemples parmi d'autres, vous en trouverez également vous-même à vrai dire.
Là on peut pas dire que l'influence vous saute pas aux yeux, hein.
On ajoute à ça que le documentaire de Nicolas Autheman est assez bien filmé. Qu'il sait dégager quelques petites trouées oniriques en raccord avec son sujet (photos en ouverture, figées... sauf qu'un petit élément souvent en fond bouge. Ou bien cette séquence bienvenue avec une danseuse noire qu'on devine un peu nue dans une jungle plus ou moins factice --et quoi de plus artificiel mais en même temps voulu pour nous transporter dans un autre monde justement que les forêts des toiles de Rousseau ?), que c'est assez documenté (j'avoue avoir versé ma petite larme à la fin). Bref que c'est passionnant de bout en bout comme souvent avec les oeuvres qu'Arte édite. Rien à dire donc sur ce documentaire que je conseille aux passionnés de peinture comme aux curieux divers de tous poils, petits et grands.
Toutefois un petit bémol final à mes yeux. Rien de grave qui n'entache la qualité générale du documentaire qu'on se rassure. Mais il ne contient que le film, son chapitrage, les sous-titres pour sourds et malentendants et une piste anglaise. Et... C'est tout. Evidemment avec le temps, on devient exigeant mais je pense qu'en tant que consommateurs de DVD, comparé par exemple à la VOD, on aime le support et son exploitation (sinon on en prendrait pas de DVD, ça va sans dire). Donc un petit quelque chose en plus n'aurait pas été de refus. Je sais pas moi, un mini making-of sur le documentaire d'Autheman et sa réflexion sur "comment mettre en scène des toiles" (sachant que généralement, quiconque se penche sur ce problème se heurte à la question de la luminosité ou de l'éclairage de ladite toile). On a un petit aperçu de la collection de documentaires d'Arte par contre. Mais ça défile et finalement pas d'extraits qu'on pourrait sélectionner de tel ou tel oeuvre (dommage car quand Arte édite des films, c'est possible en revanche).
A noter la sympathique chronique de mon amie Potz' !
- http://www.cinetrafic.fr/meilleur-film-2016
- http://www.cinetrafic.fr/bande-annonce
Le charme.
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(*) Je peux pas m'en empêcher (pardon) :
Ça me fait toujours de la peine quand un artiste n'est pas reconnu de son vivant et qu'après sa mort tout le monde s'arrache son œuvre. Il vitdans la plus grande pauvreté et après sa mort on l'encense. Il y a comme une injustice
Sinon merci pour le lien, c'est tout gentil