La jeune fille et Gainsbourg
"Après la disparition de Serge, je cesse peu à peu d'écrire. L'inspiration est partie en même temps que lui. Je ne veux plus être écrivain, ne souhaite pas écrire s'il ne peut plus me lire. Il était à la fois mon inspiration, mon destinataire, mon supporter et mon admirateur."
(p. 42)
Une adolescente de 16 ans, la tête emplie de rêves, dépose, d’un coup de mobylette, une longue lettre sous la porte de Serge Gainsbourg, fin 1985. Le soir même, il l’appelle et l’invite à dîner...
C’est le début d’une histoire d’amour qui durera cinq années, les dernières de la vie de l’artiste.
Constance Meyer livre ce récit intime, en hommage à une icône de la chanson française et à un homme hors norme.
Une dernière chronique de livre et après je passe à autre chose, promis. J'arrête de vous embêter. Et puis j'ai plein d'autres choses sur le feu, oulàlà. J'aime beaucoup Gainsbourg et je ne serais curieusement pas passé sur ce petit livre qui se lit très vite (trop vite hélas) si je n'étais pas tombé en amont il y a peu sur un article dessiné expliquant l'impunité des artistes essentiellement masculins sur le sexe dit faible (je mets ça en italique parce que si je commence à écrire ce genre de choses à défaut de le penser, je ne vaux pas mieux qu'une bonne partie de naïfs/ves qui ne font que perpétuer des idées reçues bien malgrés eux/elles). Dans le fond l'article était assez intéressant et salutaire d'autant plus que le sujet est hélas rarement abordé. On retrouve pas mal d'artistes cités d'ailleurs dont effectivement on ne peut difficilement cacher ou ignorer leurs actes en fin d'article au passage. Sauf que comme beaucoup, je tiquais en y voyant des artistes tels que Gainsbourg et Bowie.
Concernant le second, de nombreux articles en anglais et pas mal d'ouvrages ont bien expliqué sa sexualité, je crois même que du côté des personnalités hétérosexuelles (voire bisexuelles), c'est un des artistes dont la sexualité a été le plus discuté, analysée, commentée, niée même parfois. Je vous renvoie à la multitude d'articles sur le net qui aborde par ailleurs cet aspect là à défaut de vous conseiller un bon livre sur Bowie (étant donné que perso sur le peu lu pour l'instant franchement je n'ai pas trouvé de livre plus ou moins complet donc tout reste encore à faire aussi bien pour le fan que le profane).
Gainsbourg en revanche, venons-y c'est le sujet justement de ce post.
"A peine de retour chez moi, je me fais couler un grand bain. Puis je prends mon Ciao et fonce aux studios de Boulogne-Billancourt, où je sais que Serge tourne Charlotte for ever. Je parviens à entrer, trouve le plateau et l'attends à l'extérieur. Il sort bientôt, me voit, toute bronzée, et me fait un clin d'oeil. Il m'emmène et je passe la nuit avec lui à l'hôtel Raphaël, à côté de l'Etoile, où il loge pendant le tournage. Un palace tamisé et raffiné. Dans sa suite, au bout du salon, il y a une porte derrière laquelle Charlotte dort avec une copine.
Le lendemain matin, la porte s'ouvre d'un coup, Charlotte saute dans la pièce en criant : "Coucou", étonnée quelques secondes à peine de ne pas trouver son père seul. Serge est content de nous présenter. Charlotte me regarde et sourit. Nous prenons le petit-déjeuner ensemble dans la salle à manger de l'hôtel, avec l'amie de Charlotte, Emmanuelle, qui l'accompagne durant le tournage, et un type de la régie qui fait office de chauffeur. Le repas finit en fou rire général, Serge plantant sa cigarette dans un bol de céréales, telle une île déserte au milieu de l'océan. Nous partons ensuite tous les cinq sur le tournage, où j'observe, dans mon coin, les premières scènes de la matinée."
(p.103)
Le livre de Constance Meyer est un régal qui se lit très (trop !) vite.
Posant un regard tendre, pudique voire amusé près de 20 ans plus tard sur ce qui fut sa relation avec Gainsbourg, on découvre une très belle histoire d'amour, presqu'un conte de fée. Quand Constance l'évoque, on sent encore beaucoup d'amour, du genre qui peut transcender l'âge, sauf que contrairement à ce qu'on peut penser, l'auteure devient majeure à ce moment et assumait pleinement à l'époque comme aujourd'hui de sortir avec son idole, fruit d'un coup de foudre insensé pour un homme plus doux qu'on peut le croire, retranché derrière le Gainsbarre et ses multiples provocations.
D'ailleurs, pour reprendre la formule, "Quand Gainsbarre se bourre, Gainsbourg se barre".
Avec lui, le train de vie devient presque surréaliste. "C'est une autre époque" rappelle-t-elle à plusieurs reprises. En effet. Peux-t-on encore de nos jours inviter deux stars qui ne se connaissent pas et que l'une d'elle déclare éffrontément à l'autre "I want to fuck you" ? (Et il est de fait assez jouissif de voir côté coulisses la réaction de Constance et son échange avec Serge juste l'émission finie). Une époque où un Bukowski bourré venait sur le plateau d'Apostrophes avec sa bouteille de pinard pour ne dire pas grand chose et se barrer juste après ? Où Godard se moquait de la télé en direct quand Serge brûlait un billet de 500 francs d'un côté... et faire un gros chèque de 100 000 francs à Médecins sans frontières. Paradoxes d'un homme qui était bien plus généreux, subtil et talentueux qu'on le croit. Avec lui, c'est la classe, il fait découvrir à Constance de nombreux artistes qu'il adore comme Francis Bacon, David Bowie, Billie Holiday, Glenn Gould... Il devient un peu son pygmalion, comme souvent avec les femmes qu'il a aimé tout en lui laissant énormément de liberté, la protégeant face aux journalistes ou aux personnes trop curieuses.
Une autre époque où Serge investit un commissariat, pose avec les flics, goguenards, demande à tester les menottes et se fait raccompagner avec Constance par ces derniers dans le fourgon, le panier à salades, avec la sirène à toute berzingue. Où tous deux passent des soirées à discuter et cuisiner (et Serge cuisinait divinement bien d'ailleurs) à 3h du matin. Où Constance écrit des poèmes d'amour, des lettres qui servent à déclarer sa flamme, voire épencher un malentendu. Ce qui dévoile deux personnalités éprisent communément d'Art, d'idéalisme et de liberté.
Et ça se lit d'une traite avec un bonheur sans faille et la ligne de flottaison bien au-dessus des nuages qu'on soit fan de Gainsbourg ou qu'on le découvre.
"Il nous parle de l'émotion qu'il ressent en voyant les gamins allumer leurs briquets sur "La javanaise". A chaque concert, cela lui fait monter les larmes aux yeux. Il nous raconte aussi qu'au mois de mai il est allé au Japon pour donner un concert et qu'à la fin il a remercié le public e japonais : "Aligato", et s'est amusé à rajouter : "Au chocolat". Un jeu de mot qui lui plaît. Histoire de faire une blague aux japonais qui le vénèrent. Du reste, aucun japonais n'a compris."
(p.111)