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" (...) Ou bien encore le film avec Juliane Koepcke, Wings of hope : je le dis dans le commentaire, c'est aussi un projet qui dormait en moi depuis de très nombreuses années. J'ai été si prêt de partager son sort... En 1972, je devais être dans le même avion qu'elle, mon billet était réservé. Mais tous les avions de la compagnie aérienne s'étaient crashés au cours des deux années précédentes. C'était le dernier appareil et il n'y avait pas assez de places pour tout le monde."

Werner Herzog, entretien avec Hervé Aubron et Emmanuel Burdeau, ed. Capricci, p.51.

 

Voilà deux documentaires qui se répondent comme les deux faces d'une même pièce, des films jumeaux en quelque sorte. Et même si dans la forme les histoires varient, Little Dieter needs to fly (1997) et Les ailes de l'espoir (2000) racontent au fond toutes les deux des histoires de survivants. Dans le premier, l'histoire de Dieter Dangler qui inspirera plus tard à Herzog un pur film de fiction, Rescue Dawn (assez fidèle pour le coup après coup). S'écrasant au dessus du Laos en pleine guerre du Vietnam, Dangler est très vite fait prisonnier et emmené à la frontière Nord-Vietnam pour y croupir avec d'autres prisonniers. Dès lors dans sa propre survie, il n'aura plus qu'une idée fixe : s'enfuir. Dans le second, l'histoire de Juliane, unique rescapée d'un vol contenant 92 personnes. Ayant survécu quasi-miraculeusement au crash mais pas forcément indemme, la jeune fille d'alors 17 ans tente lentement de sortir de la forêt pour y espérer un peu de secours, les recherches ayant cessées depuis plusieurs jours...

 

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Des films jumeaux où, Werner Herzog dans les deux cas va demander aux rescapés de refaire le trajet qu'ils ont vécus. Cela implique pour l'un de retrouver presque les conditions de survie qu'il a dû subir (pour les besoins du film, Dangler montre donc comment il était allongé au sol, écartelé, puis on l'emmène, les mains liées d'un camp à un autre. En chemin il explique les astuces des soldats pour eux-même survivre avec quasiment rien : faire un feu, maintenir des braises allumées, bâtir un campement avec des grandes branches... Enfin il rejoue presqu'à l'identique ses conditions d'emprisonnement avec les autres prisonniers puis comment lui et un autre américain devenu alors son ami vont pouvoir s'échapper), pour l'autre, de retrouver, à partir du crash, le trajet retour en longeant un ruisseau qui devient ensuite une rivière, puis un fleuve...

 

Bien que Les ailes de l'espoir ait été mûrement réfléchi pendant un long moment par Herzog, Petit Dieter doit voler est aussi pour le coup un film très personnel. En faisant raconter au bonhomme sa jeunesse dans une petite ville d'Allemagne près de la forêt noire pendant la seconde guerre mondiale, c'est aussi Herzog qui déroule sa propre vie. Une jeunesse similaire perçue à travers ce compatriote éloigné mais aussi un même désir de vivre. Pour l'un, l'obsession de voler, inaltérable depuis le moment où un avion de guerre balançant des bombes frôlera le toit de la petite maison familiale, pour l'autre, le désir de tourner et surtout voyager constamment (a ce jour, Herzog reste d'ailleurs l'un des seuls cinéastes à avoir "tourné sur les cinq continents". La seule chose qu'il n'a pas (encore ?) exploré, c'est l'espace). Dieter comme Werner frôlera d'ailleurs plusieurs fois la mort (il survivra d'ailleurs à 4 autres crashs par la suite).

 

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L'histoire de Juliane frôle également l'histoire personnelle d'Herzog puisqu'à l'origine, les deux devaient être sur le même avion, le cinéaste devant tourner alors son Aguirre. Herzog ne pu prendre le vol. Par la suite, ironie du sort (la même qui fait frôler des avions et hélicoptères près de Dieter dans la jungle sans qu'on ne puisse jamais alors le repérer), le cinéaste remarquera avoir tourné des plans d'Aguirre non loin de là où Julianne au même moment errait seule dans la jungle !

 

A nouveau Juliane et Dieter se ressemblent, rescapés d'une expérience extrême, ils ont appris à l'enfouir en eux pour survivre et dans les deux cas on remarque un Dieter troublé de revivre certaines choses (le passage éprouvant de la mort de son ami, on le sent près à s'effondrer en pleurant. Par pudeur il détourne alors à plusieurs reprises la tête et reste à contempler le pont et la route près de lui. A tel point que Herzog le laisse comme ça sans intervenir. On comprend ensuite à la nuit tombée que le cinéaste a continué à tourner, laissant l'homme dans ses souvenirs tristes, ayant probablement juste au montage enlevé les plans du jour finissant) et une Juliane dont la supposée carapace se craquelle lentement.

 

Dans un cas comme dans l'autre dans l'extrême fatigue, leurs frontières entre le réel et l'illusion s'en trouvèrent à chaque fois brouillées, les hallucinations, les rêves, Herzog leur fait raconter cet aspect là, ce non-dit, aussi fascinant que ce qui filmé du réel. Ce sont d'ailleurs presque les meilleurs moments de ces deux films brillants : quand Herzog fait triompher un autre monde, presque palpable, à la limite de l'onirique comme dans ses films de fiction. Sauf qu'ici le rêve se déroule presque par extension dans le mental d'un spectateur médusé. Arriver à nous donner de telles images sans avoir besoin de le filmer, c'est en somme que le cinéaste est passé maître de son art.