Lorsque Ellen, matriarche de la famille Graham, décède, sa famille découvre des secrets de plus en plus terrifiants sur sa lignée. Une hérédité sinistre à laquelle il semble impossible d’échapper.
Pour son premier long métrage, Ari Aster, réalisateur et scénariste, dévoile une vision unique, transformant une tragédie familiale en cauchemar éveillé.
Dans le pavé des excellentes surprises de cette année 2018, Hérédité fut l'un de mes gros coups de coeur en salles. Avec le recul, depuis sa sortie cinéma, le film a acquis une belle réputation qui lui permet de figurer d'ores et déjà parmi les films les plus cultes. La sortie récente en DVD, Blu-ray et VOD depuis le 15 octobre chez Metropolitan Filmexport permet avec un peu plus de recul de disséquer une oeuvre des plus riches qui a su intelligemment tirer son épingle du jeu des nombreuses sorties horrifiques que l'on a depuis un moment.
La toute jeune Milly Shapiro, un effet spécial à elle seule.
Surtout un nouveau visionnage permet de déceler que dès le départ, le réalisateur Ari Aster annonce le programme sans ambages via un des cours que suit l'aîné de la famille sur la tragédie d'Hercule chez Sophocle. On y apprend que le héros grec n'est en fait qu'un pion dans un engrenage fatal dont il pense vainement maîtriser un tant soit peu sa destinée. Fatal écho à cette famille qui ne maîtrisera jamais un instant les rouages diaboliques dont elle fait partie, et ce quand bien même Annie (Toni Collette) essayera à plusieurs reprises de changer la situation... en vain.
Dès le début, Aster va dans ce sens en nous présentant (superbe ouverture) l'envers du décor où travaille Annie avec ses maquettes reproduisant à échelle réduite l'environnement familial de la famille : La maison essentiellement isolée où une bonne partie de la tragédie va avoir lieu mais aussi une maternité ou une chambre d'hopital. Comme on s'en aperçoit très vite, les maquettes en vue d'une future exposition sans cesse repoussée semblent un exutoire de la mère sur sa propre vie mouvementée comme le moyen de fixer des jalons toujours malheureux dans le creux du souvenir. Quitte pour celà à mettre en scène les moments de deuils. Une attitude que ne comprend d'ailleurs pas son mari (Gabriel Byrne), plus rationnel et essayant de ne pas sombrer dans cette entreprise familiale en pleine tempête. Le réalisateur quand à lui laisse seul juge le spectateur qui pourra à la fois y voir une femme qui s'enlise d'elle-même volontairement dans les problèmes comme un possible exutoire. En revanche par cette idée d'enchâssement des cadres d'une habitation (fusse-ce une maquette) à travers les cadres liés à la mise en scène cinématographique, il annonce clairement la couleur : les personnages ne sont que les pions, les pantins, les marionnettes d'une scène plus grande et d'une volonté (diabolique) infiniment supérieure.
S'il y en a bien un qui a manipulé les acteurs sur la scène du théâtre ou à la caméra, quitte à même donner un titre très programmatique à l'un de ses films (De la vie des marionnettes), c'est Ingmar Bergman, justement mentionné comme une de ses références par le réalisateur. Et effectivement, c'est une référence qui crève les yeux sans être heureusement jamais pourtant reprise telle quelle. C'est la confession d'Annie sur sa mère et l'emprise qu'elle avait sur sa famille ainsi que leurs rapports conflictuels dans une réunion anonyme pour faire le deuil, constat dur et désenchanté qui rejoint la vision que Bergman nous livre entre une mère et sa fille dans Sonate d'Automne. C'est une scène de repas cathartique où mère et fils s'affrontent dans un discours de reproches froids qui n'ont rien à envier à une fameuse scène de dispute glacée d'un couple dans Scènes de la vie conjugale. Ou une surimpression à la lumière rouge d'un chauffage (vers 40mn de film) qui peut rappeler de loin les fondus au rouge de Cris et chuchotements. Ou bien ces dialogues violents au sortir d'une séance de somnambulisme. Aster est un cinéaste cultivé et ça se voit.
Cette même culture cinéphile est brillamment réutilisée pour donner un film d'épouvante où tout ce qui pourrait être cliché est soigneusement évité au profit d'une oeuvre extrêmement bien charpentée tant dans sa mise en scène, que ses plans ou le travail sonore (ces derniers, plans et sons évoqueront d'ailleurs le travail de Stanley Kubrick et son équipe sur Shining. La demeure étant parfois filmée dans ses travellings et ses cadres comme un espace mental façon labyrinthe de Shining, impression accentuée par les maquettes). Il y a constamment une idée de mise en scène à chaque plan, une trouvaille d'effet spécial, de narration (géniale idée de représenter subjectivement la culpabilité par la vision d'un rétroviseur en salle de cours !) ou de son. Quitte par exemple à personnifier celui-ci et associer un bruitage à un personnage sur la longueur. Ce qui est un banal TOC d'une jeune fille presque autiste devient ainsi un instrument de terreur ingénieusement utilisé dans le film.
Thématiquement le film respecte totalement son programme.
L'hérédité comme malédiction dont on ne peut échapper. Les fautes des mères se répercutent sur les autres. Les confessions d'Annie sont à ce titre remarquables parce qu'elles éclairent à chaque fois d'une souffrance nouvelle sur quelque chose qui remonte visiblement à très loin. Les maquettes construitent retranscrivant l'histoire familiale du point de vue d'Annie rappellent en effet que cette transmission visuelle, plus que la transmission orale est ici une hérédité du personnage envers les autres (même le spectateur). Maquettes qui trônent même en deux exemplaires dans le hall d'entrée de la maison, une autre manière de prévenir qu'on entre ici d'emblée dans un lieu chargé de mémoire mais d'une certaine manière déconneté (de plus en plus) de la réalité du monde extérieur au profit d'un monde plus intérieur lié à la cellule familiale (laquelle va en prendre un certain coup dans la gueule comme on le sait par la suite).
Il y a donc ainsi dans l'histoire quelque chose d'inquiétant et de flou, une menace voilée qui plane sur les personnages. Les visions vont se transmettre et contaminer un travail de deuil qui, dans d'autres conditions aurait été plus supportable et moins vulnérable. Cette menace (que je ne dévoilerais pas, les indices du film sont suffisamment net à ce sujet, pas besoin de spoiler) va ainsi lentement isoler les personnages les uns des autres. Charlie est la première visée : déjà de nature très repliée sur elle-même, c'est elle que le deuil touche en priorité plus qu'Annie. Elle réclame ainsi sa grand-mère comme une enfant en bas-âge quand sa mère la retrouve pieds nus dans les broussailles qui bordent la maison, sortant d'une étrange transe. Le dialogue un peu rude entre la fille et sa mère lors de la mise au lit ne surprendra dès lors personne : "Qui va s'occuper de moi maintenant ?" Et la mère, d'être surprise et de répondre de sa personne. La petite fille se reprend alors "...Quand tu seras morte ?" "Mais, papa !" Charlie ne sera pas plus convaincue... Quand à Peter, il va être atteint par un évènement imprévu qui va le pousser à rouvrir de vieilles blessures et pousser sa culpabilité jusqu'à un point quasi psychosomatique (quand il s'étrangle et etouffe avec une cigarette).
Film sur le visible et l'invisible, sur ce qui est perçu et inaperçu (même certains plans fantômatiques très courts marquent méchamment), sur les vivants et ceux qui reviennent nous hanter (même par possession interposée -- il y en a deux dans le film qui fonctionnent comme pivots essentiels), sur ce qui se répercute et se transmet, d'un son de claquement de langue à un carnet qui brûle à distance celui qui veut s'en débarrasser, Hérédité s'impose comme un film à retenir. Si on y ajoute en plus que les comédiens sont tous parfaits dans leurs rôles, on obtient un film quasi parfait. Seule la fin pourra en gêner certains, elle est pourtant assez raccord avec ce qui a précédé et permet d'ouvrir le film vers une autre direction, inattendue. Petit plus perso : le générique de fin qui est une reprise de Joni Mitchell par Judy Collins, voilà qui me mettait aux anges !
Bref un film brillant et immanquable.
Et donc, le dernier très bon film d'horreur sorti en salles pour vous, c'est quoi ?