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« A chaque réveil, je crois que ce sera la jungle ».
(Apocalypse Now)

 

Lena, biologiste et ancienne militaire, participe à une mission destinée à comprendre ce qui est arrivé à son mari dans une zone où un mystérieux et sinistre phénomène se propage le long des côtes américaines. Une fois sur place, les membres de l'expédition découvrent que paysages et créatures ont subi des mutations, et malgré la beauté des lieux, le danger règne et menace leur vie, mais aussi leur intégrité mentale.

 

Curieuse et fascinante impression que laisse Annihilation auprès du cinéphile comme du spectateur de base, lequel n'aura pas forcément cela dit la poignée de références auprès de quoi peut se nourrir le film pour, subtilement se forger sa propre identité. Dans les deux cas, le voyage que propose le film d'Alex Garland ne manquera pas de diviser, emportant soit l'adhésion, soit ennuyant irrémédiablement celui ou celle qui le regarde.

 

Appartenant à la première catégorie après coup avec cette découverte tardive (eh non, je n'ai pas Netflix, je profite d'un cadeau d'un ami, qu'il en soit remercié en ces lieux), je vais tenter d'expliquer (subjectivement) pourquoi.

 

Sur le plan des références déjà, à plusieurs moments du visionnage je n'ai pu m'empêcher de penser évidemment à une œuvre comme Stalker (1979 – Andréï Tarkovski) voire 2001 l'odyssée de l'espace (1968 – Stanley Kubrick), H.P. Lovecraft (La couleur tombée du ciel !) ou même Apocalypsemania, la bande dessinée de Aymond et Bollée, commencée au début des années 2000 et forte de deux cycles passionnants. Difficile de ne pas spoiler mais dans cette dernière référence, il y a un passage incroyable dans la BD qui pourrait faire écho ici avec certaines scènes du film. Bref, comme on dit souvent, « rien ne se perd, rien ne se crée » et il est indéniable que Garland nourrisse son film de sujets et thématiques fortes déjà perçues ici ou là afin de pouvoir recréer quelque chose de neuf.

 

Fruit d'une adaptation (celle du roman de SF de Jeff VanderMeer), le réalisateur choisit pourtant selon ses dires, de ne pas relire le matériau de base au moment du tournage afin d'obtenir « un rêve du livre ». Or, Annihilation revendique à chaque instant sa filiation évidente et assumée avec le rêve.

 

D'abord dans son rythme contemplatif et lent qui en perdra d'emblée certain/e/s.


Ensuite ses choix esthétiques de faire ressortir la beauté de cette « Zone » (pour reprendre justement un terme lié à Stalker), quitte à pousser les curseurs au maximum : couleurs fluos, lumière trop évidente, trop envahissante, fleurs partout, plantes de toute beauté, passion des ruines (on navigue presque dans ce que j'appelle un « film Urbex » dont le Tarkovski en est le meilleur représentant) et des espaces vides et désertés... qui soulignent un contraste évident avec une beauté mortifère liée d'un autre côté à des créatures mutantes et monstrueuses, une décomposition qui rôde et un surréalisme génialement malsain qui pointe par touches (les amoncellements d'ossements construits comme des tombes quand on s'approche du phare, filmées dans leur composition comme un tableau). Sans oublier l'aspect 2001 du final (no spoil, no).

 

D'ailleurs n'oublions pas que la scène centrale, le pivot de Stalker est un rêve en plein milieu du film (1) autour duquel tournent des considérations métaphysiques liées à l'Art comme Sens, Moyen voire Finalité donnée à l'Humanité. Une correspondance qu'entretient par petites touches Annihilation en faisant de ses considérations biologiques (livrées en partie par Natalie Portman qui est en quelque sorte notre « passeur » dans cette exploration) de vraies réflexions (sur l'altérité, la différence, ce qui fait de nous des humains...). Et puis le rythme du film propre, tout comme Stalker et 2001, à entretenir un certain état d'hypnotisme latent (qui pourra en faire tomber certains dans la somnolence.... et donner au final un visionnage du film « comme un rêve », oui).

 

Et puis donc, il y a cette fameuse zone Tarkovskienne (2) bien sûr, couplée dès le début avec ce météore Lovecraftien qui s'écrase en ouverture du film. Comment donc ne pas penser de biais à la nouvelle « La couleur tombée du ciel » où quelque chose d'indicible, s'écrasant non loin d'une petite ferme va rapidement contaminer tous les alentours, hommes, femmes, bêtes, plantes. Chez Tarkovski, pas même de bêtes, juste des ruines, inquiétantes de bout en bout et suggérant une présence à la fois végétale et minérale (et dont la chambre des vœux en serait l'âme et le cœur!), en cela parfait développement dans la continuité de la planète-cerveau de Solaris (quelques années plus tôt en 1972). On sent là aussi dans Annihilation que cette « zone » est en quelque sorte vivante mais Garland ne donnera jamais d'explications réelles, laissant planer le doute chez le spectateur, tout au plus citera t-il dans la dernière demi-heure quelques « clés » telles que la réfraction, la mutation, la duplication, le mimétisme, le double, l'effet-miroir...

 

...Autant de données propres certes à enserrer le film dans quelque chose de cher tant à l'étude de l'imaginaire que de sa confrontation avec ce qu'on peu appeler logiquement le réel (3) et valider un tant soit peu l'aspect SF de l’œuvre. Une œuvre d'ailleurs assez riche puisque dès le début (et tout le long) on nous parlera de cellules et de cancer sans oublier un détail fort intriguant (ce tatouage d’Ouroboros en forme de 8 que l'héroïne a sur le bras comme ses compagnons... qu'elle ne connaît pourtant ni d'Eve ni d'Adam avant de les voir dans la base, symbole de l'infini) ou le final.

 

Ce n'est pas pour autant selon moi le but premier de Garland, scénariste et cinéaste qui dès ses premières œuvres, remettait sur le devant l'Humain dans un monde beau, inquiétant et terrifiant (se revoir par exemple tout bonnement 28 jours plus tard, réalisé par Danny Boyle sur un scénario du bonhomme, son second écrit alors). Depuis ses débuts l'adroit homme s'est ingénié à reprendre des genres et thèmes existants pour toujours ensuite les emmener ailleurs (4) et Annihilation n'y échappe pas.

 

Au delà du postulat SF, en se focalisant régulièrement sur les moments de bonheur et de quiétude en les entrelaçant dans les flashbacks comme l'A.D.N des humains et de la zone s'entrelace (5), le scénariste-réalisateur n'a pas d'autre ambition, rien de moins, que de parler des rapports avec ceux qu'on aime, ceux qui disparaissent, ceux qui reviennent.... un trauma en plus. La façade SF n'est qu'un leurre disséminant un drame psychologique intimiste derrière le vernis. Traiter un être humain, constater le changement qu'il y a en lui (même si c'est à un certain prix, radical) et surtout au delà de ça, l'accepter finalement.

 

C'est le prix de cette ultime scène finale, apaisée, fragile qui finit d'instaurer le doute tout en rassurant sur ce qu'on vient de voir.
Au spectateur, à la spectatrice étant finalement allé jusqu'au bout du voyage d'être récompensé une ultime fois d'un peu de sens. A accepter ou non, tel est sa richesse ici bas.

 

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(1) Et accessoirement pour moi l'une des plus belles scènes de cinéma au monde.


(2) Strougatski-ienne ?


(3) Philip.K.Dick a écrit de jolies choses là dessus, je ne m'étends pas plus ma chronique est déjà assez longue comme ça.


(4) D'ailleurs Sunshine, là aussi signé Danny Boyle à la réalisation sur un scénario de Alex Garland peut être vu comme un (excellent) double hommage à 20012010 (le vaisseau en perdition qui fait écho au Discovery de 2001 lui aussi alors en bien mauvais état...) et Alien.


(5) C'est d'ailleurs avec grand plaisir qu'on entend du Crosby, Stills, Nash & Young dans le film. Et ça a son importance puisque « Helplessy Hoping » sert littéralement le propos humaniste du film pour le coup. Je renvoie à une traduction ici : https://www.lacoccinelle.net/245224.html