Pour une petite pincée de Walerian Borowczyk... (2)
Suite de cette mini-rétrospective.
La bête, édition spéciale Arrow zone 2 blu-ray + DVD.
Une des affiches originales du film, disons, "plus explicites".
"De retour en France (*), Borowczyk écrit en deux jours (du moins c'est ce qu'il prétend) un scénario intitulé La bête dans lequel il compte incorporer le court-métrage de l'ours sous la forme d'un songe (**). C'est l'histoire d'une famille aristocratique qui veut marier son jeune et velu descendant Mathurin de l'Espérance à une héritière américaine Lucy Broadhurst. Alors que celle-ci vient rencontrer son fiancé dans la château familial, elle prend connaissance de la légende d'une bête des bois et dans son sommeil, se met à rêver de leur accouplement éhonté, reflet de son désir inavouable (...)."
(Walerian Borowczyk par David Thompson - livret disponible dans le coffret Arte zone 2 Contes immoraux / Goto île d'amour)
Drôle de film que celui-là, interdit aux moins de 16 ans, à juste titre dira-t-on.
Quand j'évoquais des films aux antipodes l'un de l'autre en ouverture, c'était pour mettre en comparaison Blanche et La bête, tous deux du même réalisateur mais différant totalement dans leur représentation de l'amour et du sexe. Là où Blanche est pudique et chaste, comme tout entier destiné à sa femme et égérie Ligia Branice, La bête en rajoute une couche dans les extrêmes et n'y va pas de main morte pour montrer, disons le crûment, du cul et une critique féroce de la bourgeoisie et de la religion sous un humour absurde ou virant au cartoonesque assumé.
Avec ce film, Boro est presqu' à deux doigts de livrer un film pornographique mais le cinéaste est un malin. Il y a bien des images pouvant choquer mais tout est affaire de points de vues,trucages, ellipses et coupes savamment dosés. Par exemple, juste après une citation de Voltaire nous exhortant à penser avec prudence justement que le fameux segment du rêve, le plus hard, n'est que futilité en fin de compte (ce qui rejoint le point de vue du cinéaste en fait, on y vient plus bas), le film s'ouvre sur Mathurin faisant s'accoupler deux chevaux. Les organes génitaux des deux animaux vus en gros plans avant, pendant et après l'acte ne nous sont pas épargnés. C'est assez crû mais comme ce sont des animaux et non des humains et que les documentaires animaliers ne se gênent pas pour nous présenter l'intimité des animaux pendant qu'ils font crac-crac depuis plus de 4 décennies, on a dû se dire à l'époque que bon, ça passe, pas besoin de censurer. N'empêche c'est quand même hard, même si ce ne sont pas des humains, bien joué Walerian.
Peu après, la tension du film baisse radicalement pour n'opérer que de petites percées ça et là, méchamment ironiques (le curé qui roule une pelle comme ça à l'un des enfants de choeurs ! Cf capture ci-dessous. o_O !) ou en forme de running-gag (la fille du maître des lieux qui aimerait bien se taper le serviteur et qu'à chaque fois ils sont interrompus parce qu'on le demande et donc qu'elle doit continuer seule... sur un des montants du lit, autre capture ci-dessous). Boro tape aussi bien sur les représentants de la religion que les restants de noblesse que peut avoir le pays au XXème siècle en leur désignant un même point commun, celui de vouloir à tout prix accéder à une certaine élévation sociale. L'un en bénissant cette union à venir en échange de quelques mots au cardinal, l'autre en mariant son fils coûte que coûte (la fin est assez noire) à une jeune héritière d'un pays étranger.
*tousse, tousse*
*tousse, tousse*
Puis à l'approche de la seconde partie et du fameux rêve, le film redécolle d'un coup. La fameuse scène du rêve donc, s'avère précédé par un climat érotique latent (la jeune Lucy se regarde presque nue dans le miroir, se caresse d'abord lentement puis de plus en plus vite) et hypnotique (tout le monde s'endort d'un coup comme si le film basculait dans le fantastique). J'avais expliqué que le cinéaste était à deux doigt de verser dans la pornographie mais y échappait de justesse à chaque fois et de ce fait, toute la séquence du rêve est une prouesse technique toute aussi grotesque que réaliste qui concentre toute la force érotique du film.
Grotesque parce que la bête en elle-même paraît toute mignonne, le peu que l'on voit nous laisse deviner le comédien sous le costume fait de poils assemblés où l'on ne sait pas ce qui ressort le plus de l'ours ou du loup. C'est donc cheap et voulu comme tel. Même le sexe de la bête, constamment en érection quand il voit la jeune aristocrate semble une sorte de piston rétractable qui semble faire lien avec le sexe démesuré de l'étalon vu en début de film.
Donc gag.
Réaliste parce que finalement ce sexe là jouit et éjacule un liquide curieusement semblable au sperme (non vraiment, côté effets spéciaux je me demande comment ils ont fait ? On se marre sur les CGI et autres images de synthèses qui passent difficilement le cap du temps et là on se prend de plein fouet la force de trucages à l'ancienne). C'est un pénis inventé de bête toute aussi inventé mais en un instant on est abasourdi par le trucage, plus vrai que nature. Surtout que cette bête là va l'instant d'après violer une jeune femme.
Donc malaise.
"Hey MADMOIZELLE !" s'écria la racaille des bois du XVIIIè siècle.
"Iiiiiiiiiiihhhhhhhhhhhhhhhhhhh" s'écria la frêle jeune femme sans défense.
Sauf que la mise en scène coupe les scènes où l'on voit le sexe énorme et les alterne avec des gros plans où la jeune femme en fait des tonnes. Et quand je dis des tonnes, c'est bien des tonnes (capture à l'appui). Cris d'effrois, mimiques exagérées puis course où comme dans un film érotique, à chaque fois qu'elle tombe, elle perd un vêtement (heu ?), le tout sur une musique de Scarlatti complètement exaltée et hors-propos (d'où la citation de Voltaire). La scène du viol en elle-même montre juste le haut de la jeune femme se faisant chevaucher mais pas de pénétration visible directement comme dans les films pornos (on voit le sexe de la bête près des fesses de la madame mais pas de scène où le crac-crac est visible pour tous les ptits n'adultes. Excusez moi j'ai un peu chaud je vais ouvrir la fenêtre, voilà). Et pour retourner le propos, la bête qui croyait assouvir sa pulsion sur la jeune femme finit par mourir d'épuisement dans les bras de celle-ci qui finalement y a pris plus de plaisir qu'avec un humain. On croit rêver complètement, d'ailleurs c'était un rêve. Ce qui explique sans doute l'irréalité de toute cette fameuse partie encore un brin sulfureuse aujourd'hui cependant.
Donc gag mais malaise et en même temps non vu que Boro semble à l'instant même de l'acte cruel détourner les yeux pudiquement pour filmer ...des escargots à plusieurs reprises (capture ci-dessous). Au final tant dans la mise en scène que du propos, on est à 1000 km d'un Irréversible par exemple et l'on ne peut pas non plus accuser directement le cinéaste de machisme primaire qui ravalerait la femme tant malgré un réalisme étrange, tout fait signe d'un décalage éhonté et voulu tant dans sa crûdité que sa représentation oscillant constamment entre le prude et le crû, le réalisme et le nanar, la vertu et le sexe. Venant d'un cinéaste qui dans l'un de ses films précédent avait dressé le portrait d'une femme victime des turpitudes masculines se sacrifiant pour son propre honneur et qui arrive à faire ressortir de beaux portraits féminins dans Goto île d'amour ou les Contes immoraux (qui côté sulfureux ne vaut pas plus qu'un pet de lapin aujourd'hui je tiens à l'écrire), j'ai mal à croire finalement que Borowczyk soit un fieffé pervers oeuvrant en gros machiste pour ce satané patriarcat.
*un plan "fesse" ça manquait sur ce blog. Le tout façon caméra-reportage à la steadycam.*
Ici, la regrettée Sirpa Lane donne pleinement de sa personne.
*Ce plan est sponsorisé par l'amicale de protection des escargots*
D'ailleurs même si l'ensemble de ces scènes marquent, il faut rappeler qu'au fond La bête est aussi et peut-être avant tout un conte noir. Le propos est donc tour à tour social, sexuel et politique, on en reste dans un domaine frôlant l'irréalisme. La séquence du rêve bien sûr appuie le film dans ce sens mais les dernières scène du film (que je ne dévoilerais pas) font état d'une cruelle ironie qui n'est pas sans rappeler l'amertume des contes, leur morale dissimulée... au regard des films et du bonhomme, ne pourrait on pas dire que nous avons là l'un des "films de cul" les plus fous venant d'un des plus prudes et timides cinéaste qui soit ? La mélancolie noire à venir de La marge, Les tourments existenciels et métaphysiques au delà de la chair des personnages des contes immoraux ou la pureté de Blanche sont autant d'exemples pour le prouver.
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(*) Juste après les Contes immoraux, le cinéaste va tourner Histoire d'un péché en Pologne.
(**) La première version des Contes immoraux projetée au festival de Londres en tant que "copie de travail" incluait le court-métrage la véritable histoire de la bête du Gevaudan. Retiré de la version finale des Contes lors de sa sortie officielle, il sera donc incorporé dans le film La bête.