Peau d'Âne (cycle Demy - part 3)
♪♫ "Mon enfant, on n'épouse jamais ses parents.
Vous aimez votre père, je comprends.
Quelles que soient vos raisons,
Quels que soient pour lui vos sentiments.
Mon enfant, on n'épouse pas plus sa maman.
On dit que traditionnellement,
Des questions de culture et de législature décidèrent en leurs temps,
Qu'on ne mariait pas les filles avec leur papa." ♪♫
(Conseils de la fée des Lilas - Peau d'âne)
Le conte de Charles Perrault, revu par Jacques Demy. Une princesse, conseillée par sa fée, refuse l'amour de son père en fuyant cachée dans une peau d'âne, qu'elle quitte parfois quand elle est seule dans sa cabane. Un prince la découvre et en tombe amoureux.
Peau d'âne fut à nouveau un éblouissement et ce fut même le premier que je vis avant tout, tellement désireux de le voir à tout prix. Je crois même qu'il s'impose comme mon préféré auprès des Demoiselles de Rochefort. Après un Model shop timide et bancal en Amérique qui le voyait renouer une dernière fois avec le personnage de Lola et comme abandonner ses illusions de créer une grande saga humaine. Sans rentrer dans les détails (et d'après ce que j'en ai compris d'après l'excellent documentaire d'Agnès Varda, L'univers de Jacques Demy qui a le mérite d'aborder toutes les oeuvres du cinéaste... même les moins bonnes ou moins réussies (Parking sent bon le nanar, je veux voir ce film ! Bon, ça m'a donné aussi furieusement envie de voir Une chambre en ville (Une seconde là... il n'est même pas en DVD à l'unité en dehors du coffret intégrale Demy ? :/ ). Et je ne dis pas ça parce qu'il y a Dominique Sanda presque quasiment nue tout le long et qu'on retrouve avec joie Michel Piccoli mais qu'on voit aussi une manif et des CRS qui tourne mal. Bon, Sanda nue sous un manteau de fourrure durant tout le film c'est quand même over the top je pense. Pardon.), Demy a souffert de la frilosité du studio.
Ainsi on lui retire un tout jeune Harrisson Ford sous le nez pour lui mettre Gary Lockwood à la place. Certes, Lockwood vient de tourner avec Kubrick (Frank Poole dans 2001, c'est lui) juste avant mais dans sa filmographie, il n'y a pas vraiment de grands éclats, c'est avant tout un acteur de séries dont le visage placide n'en dit pas long sur ses qualités de compositions à la différence de Keir Dullea. Je ne dis pas ça par favoritisme ou quoi que ce soit attention mais si l'on compare les filmographies, Dullea est celui qui s'en sort le mieux avec à son actif des réussites telles que Bunny Lake a disparu, 2001 donc, 2010 odyssée deux (que j'aime beaucoup oui), l'excellent Le cercle infernal (ou The haunting of Julia) --dont on a toujours pas de DVD ou Blu' à l'heure actuelle ce qui est assez honteux--, et ce même si c'est pour des seconds rôles. On ajoute à ça un manque de préparation (Demy avait fait les repérages dans les "models shops" du titre avec Ford en premier lieu) et une barrière de la langue apparemment assez gênante (les chansons de Demy-Legrand étaient conçues pour leur pays d'origine en premier lieu).
La volonté de coller au conte et à ses référents, c'est aussi ça Peau d'âne. Ici les codes de l'affiche de La belle au bois dormant sont repris et réinventés tout en gardant une petite ressemblance exprès.
De retour en France, Demy va heureusement retrouver Mag Bodard sa productrice déjà à l'oeuvre notamment sur les autres films regroupés dans le coffret Blu-ray, Les parapluies de Cherbourg et Les demoiselles de Rochefort. Ce qui signifie donc logiquement un retour de la créativité et une liberté totale qui en devient complètement débridée. Avec Peau d'âne, Demy cherche à retrouver le regard universel de l'enfant de 8 ans qu'il était quand il a pu lire Perrault, c'est à dire avec une certaine innocence qui ne se rend pas forcément compte au premier abord que derrière la beauté et la magie se cachent aussi des choses pas forcément reluisantes. Mais ça c'est pour le second degré de lecture destiné aux adultes.
Car, merveille des merveilles, le film peut aussi bien se voir tout petit(e) que plus grand(e). Dans les deux cas le plaisir sera le même, du moins pour l'adulte, s'il arrive à accepter la dimension du conte qui permet tout au prix d'effets qui pourraient paraître déplacés ou kitsch, ce qui en soi est injuste quand un film d'animation dans le même genre et vu par le même adulte aura plus de chance d'être soumis à une étrange indulgence sous le prétexte fallacieux du "ce n'est qu'un dessin" (ou "ce n'est que du dessin animé" pour préciser qui résonne curieusement comme l'horrible "oh mais c'est que du cinéma" ou "oh mais c'est pour les enfants" (alors qu'une bonne partie de films animés ne sont pas forcément pour les mioches non)).
Il aura fallu que la rédaction d'un journal disparaisse dans un carnage pour que certains se rendent compte que le dessin (animé ou non), a toujours eu une force. Comme on dit, un petit dessin vaut mieux qu'un long discours. Je m'excuse d'être un peu cynique au travers de cette parenthèse un peu dés-en-chantée mais je me permet d'exprimer mon ressenti justement parce que moi-même je dessine et que je prend l'Art parfois plus au sérieux qu'on le devrait (qu'on se rassure, entre deux Monthy Pythons je me remets à rire bêtement comme un gosse tout joyeux). D'ailleurs si on devait tisser des liens, on a tendance à l'oublier mais Demy "connaissait la musique" : il commence en grattant et dessinant sur la pellicule d'un Chaplin (sacrilège pourra-t-on penser, j'y vois déjà un désir radical de se frotter au cinoche) quand il est gamin, il touche un peu à l'animation image par image ado, il termine sa filmographie, très malade avec La table tournante, co-réalisé avec Paul Grimault. Et curieusement entre cet écart énorme, il n'aura pas fait de cinéma d'animation mais quand on voit ses films musicaux, on voit les couleurs, on sent le rythme, la précision, comme si Demy dessinait en direct sur la pellicule l'univers exact (ou presque) qu'il avait en tête.
Donc Peau d'âne se permet tout, le conte étant une excellente excuse au cinéaste pour, tout en suivant le fil rouge du récit de Perrault, partir dans plein d'idées et de détails (d'où l'analogie avec le film d'animation en plus du conte) qu'on ne compte plus au premier visionnage comme aux suivants (la robe couleur de temps que porte la Deneuve avec une surimpression des nuages qui défilent --excellente idée, les statues vivantes bleutées tout comme les pages et servants, les jeux de mots lors des créations de robes, le fauteuil-chat de Jean Marais (!), la fée des lilas qui collectionne les objets du futur d'où elle fait des allers-retours --bon le téléphone en fond, ça va. L'hélicoptère dans le final c'est un peu gros hein-- sans oublier son étrange miroir sombre comme s'il était une porte vers un autre monde, la surimpression d'une bouche à un végétal pour donner une fleur qui parle). Signe qu'il faut d'ailleurs prendre le film pour ce qu'il est et s'y abandonner comme un gros recueil d'illustration pop supra-colorées, les plans de début et de fin du film reprennent cette image d'un gros livre à la reliure dorée qui s'ouvre sur le fameux "Il était une fois" et se fermera sur le mot "fin" et où la caméra se rapprochera ou s'éloignera.
Si j'étais de mauvaise foi et un brin rigolard (ce que je suis parfois aussi) je dirais que si 2001 l'odyssée de l'espace est une parfaite illustration des dangers du LSD dans sa dernière partie, Peau d'âne frôle la surabondance de lignes de coke distribuées par Demy au spectateur.
Et si vous avez suivi mes précédentes chroniques de Demy (cf en bas les cubes pour y remonter), vous vous doutez bien que ce merveilleux enrobage vu par les petiots cache la dure réalité d'un monde pas si beau que ça, remarqué donc en second niveau de lecture par les adultes. Derrière les froufrous des jolis costumes, Peau d'âne parle d'inceste (le père qui veut épouser sa fille car elle est la copie parfaite de la mère... jouée d'ailleurs par Catherine Deneuve dans les deux cas !), le royaume est riche grâce à un âne qui chie des diamants et bijoux (scatophilie qui permet d'emettre une critique bien salée du capitalisme : dans la réalité on crée difficilement un royaume en récoltant des crottes et en les redistribuant autour de soi), lequel sera d'ailleurs égorgé sur simple caprice d'une jeune fille trop gâtée (et pendant tout le film elle porte cette dépouille qui vient d'être à peine découpée d'un animal vivant sur elle, huhu. Ambiance). Un acte qui devrait d'ailleurs signer la perte de richesse du royaume quand on y pense... C'est fou tout ce qu'un père aimant peut faire pour sa fille chérie. Oops, pardon, boulette. Et n'oublions pas cette chère fée des Lilas (excellente idée d'ailleurs d'avoir pris la succulente féministe Delphine Seyrig pour un personnage qui dans le fond lutte pour le progrès des moeurs dans le film) qui avoue en chanson "qu'elle a tout manigancé". Elle se retrouvera à la fin avec Jean Marais et adressera un sourire narquois à sa nouvelle belle-fille du genre "tiens toi bien maintenant sinon je t'en tourne une ma chérie". Jubilatoire. :3
Je... Ce fauteuil-chat, mon dieu. CE FAUTEUIL-CHAT.
Je sais, c'est aussi indéfendable que la scène de l'hélico à la fin.
N'empêche... je... je veux le même.
Et à nouveau comme les précédents films, la mise en scène et la technique du film sont de haute volée. Photographie à nouveau signée du talentueux Ghislain Cloquet (déjà à l'oeuvre chez Bresson, Resnais et Truffaut et plus tard chez Polanski et Woody Allen), scènes entières filmées au ralenti et à l'envers (pour compléter le clin d'oeil à Cocteau --n'oublions pas que Demy est cinéphile, il dédicaçait déjà Lola à Ophuls-- dont il emprunte Jean Marais pour rester dans l'univers du conte à fond), montage utilisé pour la répétition de scènes comme un running-gag (la folle qui crache ses crapauds !), surimpressions nombreuses (la rose-bouche, Jacques Perrin qui rêve sur son lit de sa rencontre avec la jeune fille dans une ambiance très "hippie"), fermetures à l'iris colorées... Le film est très riche, on pourrait en parler, le disséquer (on y croise même Coluche, débutant dans le cinoche comme l'indique IMDB et Blow-up !), le chanter.
Concluons, pour reprendre Luc Lagier dans le lien donné : "Bref, j'ai revu Peau d'âne et c'était vachement bien".
Artwork perso de Peau d'âne par mes soins.
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► Pour aller plus loin Nio vous conseille l'excellente chronique du Prince écran Noir (ou Princecranoir pour faire plus Jedi) sur Peau d'âne et d'autres Demy.