2 Hitch sinon rien !
Le "Vengeur" sème la terreur à Londres en assassinant des jeunes filles blondes. Les rares témoins qui ont pu l’apercevoir décrivent un individu qui se cache le bas du visage. La nouvelle d’un nouveau meurtre est répandue via les journaux. Non loin de là, Mrs. Bunting loue une chambre d’hôte à un mystérieux étranger qui attire immédiatement la suspicion...
Il y a des auteurs qu'on aime et dont on ne parle jamais assez. C'est le cas d'Hitchcock qu'on ne présente plus (le faut-il encore ?). Et quand on m'offre du Hitchcock, étant donné que je n'en ai pas beaucoup dans ma collection (enfin, façon de parler dans son imposante filmographie), je suis aux anges. Potzina ayant publié une chronique de ce qui est une des nombreuses bibles des cinéphiles (la plus connue probablement), l'occasion était trop belle d'évoquer un Hitchcock qu'elle m'avait encore à nouveau gentiment envoyé et d'ailleurs formidablement bien mieux chroniqué chez elle (et d'où j'emprunte les deux captures ci-dessous).
The lodger alias Les cheveux d'or est une pièce de cinéma pendant longtemps rarissime et introuvable qui ne ressurgit que maintenant grâce à une restauration exemplaire. Il faut dire que le film date de 1927 et comme souvent, les films du passé de cet âge nécessitent une conservation et un traitement pour leur donner une seconde vie. Les cinéphiles ne sont pas sans savoir que bon nombre de films des débuts du cinéma et d'avant la seconde guerre mondiale sont d'ailleurs introuvable et dorénavant perdus. Or cette "ressortie" est inespérée parce qu'elle témoigne de la naissance déjà d'un grand auteur et de sa pratique d'un média qui n'en est encore à ses balbutiements mais où déjà "Hitch" fait des merveilles.
Bien qu'inspiré par la trajectoire de Jack L'Eventreur, l'histoire est relativement basique, voire simpliste quand on connaît le Maître du suspense (qu'on verra par la suite franchir allégrement des sommets) mais sa mise en scène l'est beaucoup moins. En effet, le gros Alfred va utiliser tous les procédés du muet et les mettre à disposition constamment de son récit, combinant en cela trouvailles scénaristiques et mise en scène. Et là ça devient merveilleurx (pour ne pas dire jouissif, si, si).
Ainsi de ces cartons où le signifié devient régulièrement le signifiant, l'inscription d'un bar brillant en enseigne lumineuse sur fond noir, un nom travaillé comme un logo (Potzina dans son excellente chronique --où je vous renvoie à nouveau pour plus de détails techniques, cf lien plus haut-- évoque la préfiguration de son travail à venir avec Saul Bass aux génériques et je suis plus que d'accord). Ainsi de ces plans parfois expressionnistes où le cinéaste imprime un barreau sur le visage de son prétendu assassin en se servant de l'ombre et qu'elle signifie une croix pour témoigner d'un quelconque remords. Ainsi des tons lumineux de la pellicule qui, comme dans bien des films muets, témoignent du jour et de la nuit, voire, plus étrange et bienvenu, d'un état émotionnel (la couleur rose-violet du final pour signifier l'amour). Ainsi de ses surimpressions quasi-oniriques qui servent autant à mettre un personnage que le spectateur sur une piste. N'oublions pas ici l'accompagnement musical de Nitin Sawhney, parfois surprenant mais à la hauteur, fascinant de bout en bout.
Enfin le cinéaste n'hésite pas à saupoudrer son film d'un érotisme léger bienvenu. Une constante de son cinéma qui lui permit d'ailleurs utilisée plus tard par ruse de contourner la censure (qu'on pense au "baiser" des Enchaînés ou aux métaphores sexuelles sur La mort aux trousses où les spectateurs de l'époque n'étaient d'ailleurs pas dupes et se régalaient activement contrairement aux censeurs).
Bref, comme souvent chez le cinéaste, une oeuvre à voir ! Merci Potz' pour ce délicieux Hitch ! :)
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En vacances en Suisse avec leur fille, Bob et Jill Lawrence se lient d'amitié avec un Français qui est assassiné. Avant de mourir, il prévient Bob qu'un diplomate va également être assassiné. Pour empêcher le couple de parler, les futurs meurtriers enlèvent leur fille. Jill se rend a l'Albert Hall ou un tueur doit abattre le diplomate et tente de faire échouer l'attentat...
Fait rare dans la carrière d'Hitchcock, le film eut droit à son remake, par le cinéaste lui-même, 22 ans après sa sortie initiale en 1934. Comme le rapporte le toujours savoureux Jean-Pierre Dionnet dans les suppléments de l'excellente édition blu-ray et DVD chez Elephant Films, Hitch considérait le premier film comme celui d'un "amateur doué". Un hitch sévère avec lui-même comme les nombreux entretiens avec Truffaut l'ont prouvé et une assertion qu'on peut tout à fait remettre en cause. C'est ce que fait Dionnet et ce que je fais également car le spectacle est largement à la hauteur. De l'amateurisme comme ça, j'en mangerais bien tous les jours hein !
On est alors en pleine période Anglaise chez le cinéaste, par opposition certes à sa période américaine à venir et plus grand spectacle mais aussi parce qu'alors, ses films peuvent se faire l'écho de préoccupations sociales qui disparaîtront au profit d'un traitement accéré et plus direct du suspense. Mais justement si j'adore cette période anglaise, outre parce que j'ai encore beaucoup à y découvrir là dedans, c'est parce que tous ses petits détails sont révélateur d'un grand tout qui forme le film. The lodger précédemment pouvait déjà être une peinture du prolétariat anglais et des petites gens et L'homme qui en savait trop n'y échappe pas non plus. Avec humour, Hitchcock dépeint le flegme so british de ses héros quand ce ne sont pas leurs travers (la secte des adorateurs du soleil où l'ami du héros suggère que c'est peut-être un club de nudistes !). Si on poussait plus loin, on pourrait presque même dire que Frenzy avec sa tamise, ses rues coupe-gorge et ses marchés est également un dernier adieu à cette angleterre des gens simples ?
Ce regard pensif... C'est le regard d'un homme qui réfléchit à se faire une bonne salade de pâtes surchargée de parmesan.
C'est l'époque des complots et des agents secrets où déjà l'homme simple (et la femme ici car bien plus que le titre ne le laisse supposer, c'est une histoire de couple qui est à l'oeuvre, la femme se déplaçant quand son mari est retenu prisonnier et vice-versa) est mis en avant, emporté dans une machination plus complexe où il n'est qu'un engrenage certes, mais capable de faire dérailler toute la sale machinerie. C'est la période des espions où d'une certaine manière comme Powell et Pressburger, Hitch paye son tribut à une Angleterre qui pressent la montée du danger nazi ainsi que son attaque pendant la seconde guerre mondiale (de 34 à 46 avec Les enchaînés, pas loin de 8 films avec des espions et parfois le danger bien réel du national-socialisme, ach !).
Et evidemment dans tout ça, il faut un méchant. N'était-ce pas Hitchcock qui déclarait "plus le méchant est bon, meilleur le film sera". Or ici, on a Peter Lorre et quel méchant fait-il ! Divinement sadique, élégant, raffiné, on s'intéresse dès lors presque plus à lui qu'aux héros du film. On finit par guetter Lorre à chacune de ses apparitions, on se pourlèche les babines. Chez Lang, en pédophile schizophrène dans M le maudit, on avait presque pitié de lui. Ici on a presqu'envie d'être son pote, c'est dire. Car l'acteur aux yeux globuleux sait en imposer. Et mettre même une dose d'humanité quand il joue du mauvais côté. C'est cette scène où il se fige et manque de fracasser la gueule du héros avant de reprendre ses manières raffinées. Où vers la fin dans l'assaut final qu'il tient dans ses bras une collègue de crime qu'on comprend avoir probablement été sa compagne (à moins qu'elle le soit toujours) et qu'elle meurt à ses côtés. Il y a dans cette scène toute la profonde résignation humaine (pardon de spoiler un peu, c'est rare mais voilà, c'est une des meilleures scènes du film hein). Bref ce n'est nullement manichéen et c'est aussi pour ça qu'on aime Hitch.
Grand film ! Merci à celle qui me l'a offert et qui se reconnaîtra probablement !