Aquarius
Clara, la soixantaine, ancienne critique musicale, est née dans un milieu bourgeois de Recife, au Brésil. Elle vit dans un immeuble singulier, l'Aquarius construit dans les années 40, sur la très huppée Avenida Boa Viagem qui longe l’océan. Un important promoteur a racheté tous les appartements mais elle, se refuse à vendre le sien. Elle va rentrer en guerre froide avec la société immobilière qui la harcèle. Très perturbée par cette tension, elle repense à sa vie, son passé, ceux qu’elle aime.
Beaucoup de louanges pour ce film brésilien de Kleber Mendonça Filho et elles sont amplement mérité malgré quelques petites broutilles un peu embêtantes et que je vais évacuer d'emblée. La durée du film, trop longue mais nécessaire. Et pourtant un peu trop longue. Le film a le bon goût de prendre son temps, d'épouser le rythme de vie de son protagoniste principal (Sonia Braga, épatante) mais on se demande si l'on aurait porbablement pu raccourcir un peu quelques passages. La fin du film du coup arrive un peu précipitée, disons que le rythme à ce moment là tellement languissant accèlère comme si le réalisateur choisissait d'en finir au plus vite, le tout en ayant ouvert plusieurs portes intéressantes mais on ne s'y attardant pas plus hélas.
Du reste c'est un film fascinant dès son ouverture dans le passé qui résume à elle seule par personnification que Clara, c'est le Brézil, littéralement. Qui vit, qui pulse, qui va de l'avant. Avec ces plans sur la plage au son de Queen, on est happé pour ne plus lâcher le film. Les rares audaces de mise en scène du coup enrichissent à la fois doublement le propos du film comme de son rapport constant à la mémoire, aux gens, aux espaces mentaux qui forment plus que le physique ici, le corps-âme de son personnage. C'est ces plans liés à une armoire où l'histoire d'amour d'un protagoniste est évoqué, souvenir qui n'appartient qu'à son personnage mais qui nous est donné d'entrevoir ici à nous, spectateurs, l'espace d'un court flashback mental. Cette même armoire qui sera ensuite donné à Clara et nourrira ainsi ses propres souvenirs. La mémoire ici est résistante et concrétise une histoire qui se perpétue constamment, fidèle à ses racines comme aux gens qu'elle charrie. Ou ce plan-séquence à la grue qui scrute l'extérieur pour revenir à l'appartement de Clara, passer par dessus sa tête, assoupie, pour guetter la porte d'entrée d'où les gens entraperçus un instant plus tôt dans la cour vont venir par frapper.
Aquarius est un film de résistance. C'est Clara qui veut garder son immeuble car il est sa vie même et en quelque sorte une extension de son corps et de ses souvenirs. C'est ses vinyles qu'elle évoque à une jeune journaliste écervelée qui ne comprend pas qu'elle garde un support physique alors qu'elle écoute aussi des mp3. C'est de fait la nécessité de toujours garder avec soi et pour soi quelque chose qui a une propre consistance. Les souvenirs sont évanescents et n'existent que dans nos têtes tout comme la musique au format mp3. Bien sûr, cette dernière est partagée par le plus grand nombre mais chacun vient ensuite y greffer ses propres émotions et son propre vécu. Ecrit comme ça, cela peut paraître manichéen. Mais non. Le film ne l'est jamais ou du moins ne le laisse pas paraître. Chacun à ses raisons, aussi bien Clara que le jeune promoteur aux dents longues. Celui-là, on pourrait le détester, il n'en est rien (quoique). On comprend les motivations des antagonistes sans problèmes. Et ne parlons pas des enfants de Clara qui croient vouloir agir en son nom et pour son bien (parfois notre famille est notre propre ennemie) !
Film sur la mémoire, film sur le passé comme le présent mais pas film passéiste. Toujours en constante évolution est l'histoire (L'Histoire). C'est l'histoire de Clara tout comme plus subtilement celle de L'Aquarius... qui changera de couleurs sur sa façade externe pendant plusieurs périodes du film. C'est l'appartement de Clara qui coïncide avec celui de sa vieille tante (un court plan en fondu montre même les modifications entre ce qui a changé et ce qui est resté). C'est aussi, il faut l'avouer, un film sur le Brézil qui dit beaucoup sur son pays en montrant peu. On évoque tout aussi bien le racisme (la fameuse ligne de démarcation de la plage) que la corruption ou l'arrivisme (l'entrevue avec le journaliste dans un restaurant quand il explique qu'il a mis quelqu'un de sa famille au journal pour aller interviewer Clara)...
Au final un très beau film qui est à la fois un portrait de femme subtil qu'une belle évocation du temps sur nous.
Je l'avais loupé en salle, heureusement rattrapage vu grâce à Blaq out et au DVD sorti le 9 mars 2017. Merci Blaq Out !
Chronique conjointe aux opérations dvdtrafic de Cinetrafic.