Les chroniques de fond de tiroir (26)
Comme beaucoup de gens, la carrière de Lucio Fulci se ramenait pour moi pendant un long temps à ses films extrêmement gores de la fin des années 70, début 80 comme Frayeurs ou L'Au-delà.
Et ce n'est donc que récemment que j'ai commencé à m'apercevoir que Fulci avait eu une vie avant, quand il n'était pas encore surnommé le "maître du gore macabre" en découvrant Le venin de la peur (1971) en début d'année et dernièrement donc, cette Longue nuit de l'exorcisme (1972)...
...qui n'a d'ailleurs aucun exorcisme dans son histoire qu'on se le dise. Merci les distributeurs français qui, suite au succès de L'exorcisme de William Friedkin, décide de renommer le titre pour que ça passe mieux (daté de 72, il ne sort qu'en 1978 en France !) et probablement cacher le titre original qui, même dans sa traduction anglaise, dévoile un élément de l'intrigue. On est pas gâtés.
En revanche il y a un peu de "magie noire" abordé avec ce personnage de femme plus paumée qu'autre chose, ermite du village et parfait bouc émissaire pour la vengeance des villageois dans le jeu de fausses pistes laissé par l'assassin en série des enfants qui perturbe autant la police déboussolée qu'un journaliste de passage. D'où une scène hallucinante de violence qui marque encore aujourd'hui par sa radicalité des plus frontale : à la fois horrible et pourtant terriblement boulversante à démontrer la bêtise humaine à l'oeuvre. Fulci n'épargne personne et en ça c'est le plus réjouissant : les enfants qui y passent se révèlent en fait de parfaits petits salopards (on aurait presque envie de dire que "c'est bien fait"). Une femme soupçonnée se révèle des plus ambigües de par sa propension à être non loin des meurtres (sublime Barbara Bouchet qui n'hésite pas à se dévêtir pour les besoins du film, joli dévouement). Cerise sur le gâteau, les flics sont impuissants et le journaliste héros un brin cynique et vulgaire.
Bienvenue dans l'Italie des années 70 donc.
Pour parachever le tout, une mise en scène soignée (avec de vraies idées de cinéma dedans), une musique magnifique de Riz Ortolani et des comédiens épatants (Tomas Milian bien sûr même s'il ne se mouille pas trop mais surtout Florinda Bolkan et Barbara Bouchet qui m'ont épaté à chaque fois. La première m'avait déjà intrigué dans "Le venin de la peur" mais ici en "sorcière du village" qui frôle l'hystérie elle est incroyable). Excellent giallo et très bon film donc si l'on est pas réticent au genre.
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C'est sur les bons conseils de l'ami Johell, le maître d'oeuvre de Cinephiliquement vôtre que j'ai pris ce film sans trop y regarder à deux fois. Il faut dire que non seulement l'édition DVD-Blu-ray du Chat qui fume était terriblement alléchante (ils mettent même la très belle bande originale en bonus, mamma mia !) mais qu'à l'autre bout du fil, le verdict était sans appel "Prend ! Prend ! C'est vachement bien ! Pis comme c'est Le chat qui fume, c'est une édition limitée, donc elle va tout de suite disparaître ! Prend ! Tu seras pas déçu !" Face à tant de positive véhémence, diantre, je sautais le pas.
Et je ne fus d'ailleurs pas déçu. A la recherche du plaisir (Amuck et son affiche où un homme ignoble semble manipuler plein de filles dévêtues pour le marché américain, le truc hyper racoleur qui n'a pas trop de rapport avec le film en fait, huhu) de Silvio Amado s'avère un bon petit giallo mi thriller psychologique, mi érotique qui, joie, prend place dans les environs de Venise. Le film est aussi bien un prétexte à dénuder son héroïne, Greta (la splendide Barbara Bouchet que je retrouvais avec bonheur) que livrer une enquête sur un couple manipulateur. Qui ment ? Qui fabule ? L'un des deux est-il sincère ? Ou les deux ? Sur les traces de sa meilleure amie disparue qui travaillait pour le couple, Greta ne voit pas le piège se refermer lentement sur elle.
Sans être un grand film, c'est une petite perle doté de comédiens au poil (voire à poil, hihi), d'une musique délicieuse de Teo Usuelli, d'une photographie toute en couleurs de Aldo Giordani qui restitue avec beauté une Venise un peu hivernale de début 1972 avec un certain savoir-faire qui maintient intelligemment son spectateur/trice en éveil jusqu'au bout. Bien chouette !
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Si je voulais simplifier je résumerai avec un "Les 400 coups vu côté filles".
Et c'est vrai qu'à l'instar du film culte de François Truffaut, le premier long-métrage de Diane Kurys sait mettre le doigt juste sur ce mélange d'enfance et d'adolescence des années 60, avant les grands bouleversements amenés par mai 68 avec humour mais aussi gravité.
Véritable succès culte lors de sa sortie en salles (3 013 638 entrées, on a du mal à imaginer) et classé 6ème du box office 1977, le film de Kurys touche toujours autant malgré la distance de par son aspect plus qu'universel où, uniforme ou pas, on ne peut que se retrouver. Ces profs dépassés, parfois totalement incompétents, parfois totalement injustes, on a connus nous aussi. Les premiers émois avec maladresse, aussi.
Là où le film pourrait avoir un peu "vieilli" ou paraître daté et qui de mon côté m'a touché, c'est la parfaite reconstitution de ces années là (validé d'ailleurs par ma mère qui s'y est retrouvée) : le film ne se limite pas juste aux salles de classes ou à la cour de l'école (non mixte l'école d'ailleurs à l'époque) mais aborde bien ce qui est tout autour. En témoigne la scène la plus touchante où au milieu d'élèves qui attendent tous avec impatience la sonnerie pour profiter de la cours, une jeune fille arrive à témoigner, au bord de la rupture, des événements tragiques s'étant déroulés au métro Charonne, deux ans avant. Quand la sonnerie retentit, tout le monde sort, sauf cette jeune fille, comme paralysée, bloquée dans un passé pas si lointain (on est en 1963).
Surtout le film aura été la révélation de jeunes talents très vite éclipsés. Ainsi d'Eleonore Klarwein (Anne) alors âgée de 14 ans et dont c'était le premier film. On la retrouvera ensuite dans 4,5 autres long-métrages avant qu'elle ne disparaisse totalement des plateaux. Odile Michel (Frédérique), qui joue la grande soeur d'Anne, pareil. Tout le jeune casting d'ailleurs y passe. Il semble que le cinéma n'était pas forcément leur vocation, et c'est dommage car ici toutes les jeunes filles représentées sont criantes de naturel : parfaites incarnation de la jeunesse d'alors comme parfait témoignage de l'époque en elle-même.
Diane Kurys nourrit une bonne partie du film de ses propres souvenirs. Et n'hésite pas à broder avec ses amis du Splendid pour certains gags bien sentis. Et c'est aussi l'occasion d'une belle revanche pour elle sur toutes les brimades de son passé : filmer dans le même établissement où elle fut elle-même collégienne, et donc raconter en partie sa vie, c'est là une belle catharsis sur pellicule.
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Je ne nourrissais plus trop d'espoir de retrouver la pétillante Agnès Varda à la réalisation, Agnès de ci, de là Varda (chroniqué sur le blog si je me souviens bien au sein de tout un cycle Varda), sa mini série documentaire de 2011 sonnant le glas d'une carrière bien remplie et fermant donc le coffret maousse de son intégrale chez Arte. Pour le coup, Visages Villages, co-réalisé avec l'artiste JR est une petite surprise rafraîchissante en forme de feel-good movie.
Evidemment comme souvent, Varda se met elle-même en scène, avec humour et (auto)dérision. Cela pourrait en gêner certains/taines mais étant habitué et la considérant dès lors comme une amie de la famille (elle fait ça depuis un bon moment aussi pratiquement), eh bien, ça ne m'a nullement posé problème. Et bien sûr là aussi, elle va tirer parti de l'Art moderne et contemporain (les photos de JR sont un joli prétexte pour parcourir les routes et aller voir/interroger toutes les classes de la population française, à la manière d'un Depardon... avec un certain détachement posé) pour son road movie. C'est frais, ça se prend pas au sérieux, Varda fait même référence à la Nouvelle Vague à deux-trois reprises (et l'on remarque que Godard reste toujours aussi insupportable huhu) ainsi qu'à ses films sans trop s'y attardé. Du docu-fiction pas con, malin et drôle, que demande le peuple, hein ?
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Entre un mal qui la ronge et la condamne brusquement à la nuit et une mère qui n'est pas même capable de la comprendre, Ava choisit la fuite en avant et emporte de fait le spectateur avec elle dans sa douce folie de liberté. C'est une survivante, ou plutôt elle choisit de le devenir, consignant dans son carnet ses désirs, son ressenti douloureux et le chemin à parcourir pour espérer s'en sortir. Un garçon lui a dit sur la plage, l'apocalypse approche, il va falloir s'y préparer. De ce même garçon, très gauche finalement, Ava demandera un baiser. Pour essayer. Pour voir. Pour espérer qu'il y ait des lumières dans la future nuit, nourrir l'espoir.
Alors Ava s'élance. Les yeux bandés, voire le corps nu (dans une superbe scène d'acceptation de la nature à travers de son ressenti). Le cerbère noir sera son ange gardien, Juan son maître sera son amoureux. Désir fougueux à assumer puisqu'on a plus rien à perdre. Quitte à braquer des vacanciers pour s'amuser ou par amour (même si l'on croit s'en cacher), récupérer des clés de voiture dans un campement où l'élu de son coeur est dorénavant interdit de séjour. Il faut faire vite, les cerbères des forces de l'ordre, étonnant nazgulls de noirs dans le contraste brûlant de la photographie en 35mm sont là sur ses traces.
Cours Ava, vole, mais ne te brûle pas les ailes, de garde ! Et la jeune ado grandit déjà pour, de sa chrysalide, devenir en un été, une adulte. Assumant les non-dits, loin de tout pathos (la figure de la mère qui semble à la fois tromper son célibat comme la douleur de sa fille en choisissant d'emblée de coucher avec le premier venu plutôt que de tenter un rapprochement avec sa fille --d'où la brûlante scène de découverte du cahier intime), Ava se taille une route solaire. Une route à la fois tordue et où le soleil manque constamment de crâmer les êtres mais où les remords et l'espoir sont coulés dans la même douceur.
Un de mes grands coups de coeur en salle pour cette année 2017.