Il était une fois Michel Legrand...
A l'instar d'un So long Marianne de Leonard Cohen, j'avais envie de lancer un So long, Michel au regretté Michel Legrand dont les oeuvres nous ont accompagné, pour beaucoup d'entre nous durant presque toute notre vie.
Bien sûr je suis encore moins intime de Legrand que ne pouvait l'être le canadien poète avec Marianne Ihlen à qui il dédiait cette superbe chanson culte (et qu'on aperçoit, souriante, travaillant sur une machine à écrire au verso de la pochette de Songs from a room - (1)) en 1969. Mais depuis le temps qu'il fut en activité jusqu'à sa toute fin, ne peut-on pas dire que l'oeuvre de Michel Legrand, ses chansons (pour Jacques Demy bien sûr, mais pas que...) comme ses compositions ne nous étaient-elles pas devenu depuis, des plus intimes ? C'était là un peu le propos (caché) d'Agnès Varda quand elle tourna le documentaire Les demoiselles ont eu 25 ans en 1993, qui revenait sur les lieux de tournages, réinterrogeait les acteurs, mais aussi n'oubliait pas d'interroger les jeunes générations de spectateurs et spectatrices constituant de fait, l'héritage du film.
Et voilà, de même que beaucoup de cinéphiles ont une histoire personnelle avec Les demoiselles de Rochefort (2), Peau d'Âne ou Les parapluies de Cherbourg, il en est de même pour moi avec les bandes originales des Il était une fois l'espace et Il était une fois la vie signées là aussi Michel Legrand, comme pour les films cultes de Jacques Demy.
Resituons un peu le contexte et l'histoire.
Fort du succès de la série d'animation Il était une fois l'Homme (mais pas qu'en France, la série va connaître une exportation mondiale assez impressionnante (3)), en 1978-1979, Albert Barillé va continuer sur cette lancée et agencer toute une saga comprenant plusieurs séries agencées autour de thèmes forts à chaque fois différents (l'espace, le corps humain, les Amériques, les explorateurs...), reprenant aussi plusieurs personnages récurrents, en faisant des archétypes à chaque fois aisément reconnaissables (Maestro, par exemple, avec sa longue barbe est le grand sage et enseignant) mais pour mieux faire passer le message.
Car le propos est tout à la fois de divertir comme d'apprendre. Mis à part Il était une fois l'Espace (1982), plus basé sur des fictions inventées dans un cadre Science-Fiction (et disposant au passage de jolis designs de l'illustrateur Manchu pour ce qui est des vaisseaux spatiaux. Malheureusement la mise en scène ne suit pas toujours....), toutes les autres séries ont pour vocation de livrer des connaissances à chaque épisode. C'est le cas de l'Histoire humaine sur Il était une fois l'Homme comme de la découverte du mécanisme incroyable du corps humain sur Il était une fois la vie (1987).
Et pour ces séries, Barillé, réalisateur, scénariste, producteur touche à tout va s'entourer d'un casting assez important. Jean Barbaud pour les dessins des personnages, Manchu sur le design des vaisseaux en ce qu'il en est de sa série spatiale et puis... Michel Legrand sur la musique. Oui, oui. LE Michel Legrand.
Et croyez moi, le résultat à de la gueule, carrément. Bien sûr, sur Il était une fois l'Homme, même si visiblement il intervient sur quelques titres, la bande originale est créditée Yasuo Sugiyama, qui, pourtant apparemment ne signe que la réinterprétation raccourcie au synthé de la Toccata et Fugue en ré mineur de Bach, allez comprendre (cf liens plus bas).
Mais sur Il était une fois l'espace et Il était une fois la vie, le compositeur va avoir plus d'espace et une totale liberté (4). En résulte sur la première, une musique symphonique grandiose avec quelques vues sur un jazz-rock dynamique et déjà certains thèmes puissants et aisément reconnaissables qu'on retrouvera à nouveaux comme des signatures musicales sur les autres séries (5) et (6). Sur la seconde, Legrand délaisse le symphonique pour franchir les rives du jazz-rock, se lâchant complètement dans une musique presque fusionnelle avec ce qu'on voit à l'image : un corps stylisé, bariolé de couleurs, des organes rassurants mais dont la fonction est conservée. Bref, du body positive avant l'heure, enfin du Interior body positive plutôt (on me fait signe que David Cronenberg approuve ça de loin). Balance ton hashtag mon frère, ma soeur !
Non mais sans blague, pour qui adore déjà les mélodies de Legrand et le jazz et le rock et le jazz-rock et jazz-funk, c'est un délice. Surtout que Legrand ne se fiche pas de nous, il assume pleinement le tout. Et c'est là qu'on remarque qu'en plus de Barillé, Legrand occupe une fonction essentielle : en transmettant son amour et sa passion de la musique à travers ce genre de bande originale, ce sont les chères têtes blondes qui, tout en se régalant, se forgent une culture musicale directe. C'est du génie. Générique suave de Sandra Kim (une très jeune chanteuse belge alors) qui met en joie (on reste dans le Interior body positive), musique joyeuse, rythmée et en un sens rassurante (7), où les guitares électriques ne sont jamais loin (8), tout comme les cuivres, le piano et la batterie (9)....
Le tout est d'une richesse incroyable.
On m'objectera que certains thèmes peuvent paraître ridicules ou dépassés, mais tout est au fond une question de goût. Et cela dépend par exemple de si l'on accepte les sonorités d'une époque et pas une autre. J'en vois de loin qui tapent sur les années 80 à cause du son trop froid des machines et qui vont glorifier les 90's, 2000's, 2010's. Certains qui vont porter aux nues les synthés 70's d'un Jean-Michel Jarre alors que ça en fera vomir d'autres. D'autres qui ne jureront que par un certain genre musical au détriment d'un autre etc etc.... Au fond tout ça est une histoire de modes, de cycles, de vagues, nous sommes tous portés sur de grands mouvements qui ont chacun un sens et une fonction et qu'on va tous bien finir par s'accaparer à notre manière. Tout le monde cherche bien un refuge et la musique en est un que même les ermites dans leurs cavernes au fond de la plus lointaine forêt n'oublient pourtant pas inconsciemment quand ils écoutent le clapotement discret des gouttes qui tombes.
Les bandes originales de ces séries étaient, sont et resteront l'un de mes refuges musicaux.
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(1) en espérant que le lien de l'image fonctionne, hop : https://img.discogs.com/RhQn3tnFFmm8zZn7uNYaYbsUZwI=/fit-in/600x598/filters:strip_icc():format(jpeg):mode_rgb():quality(90)/discogs-images/R-9956649-1489202539-4035.jpeg.jpg
Sinon : http://www.annabambou.com/wp-content/uploads/2016/06/28-Marianne-Ihlen-sur-larri%C3%A8re-de-la-pochette-de-Songs-from-a-romm-de-Bob-Dylan.jpg
(2) Ce que je peux tout à fait comprendre, j'adore ce film.
(3) Succès jamais démentis, les différentes séries des Il était une fois passent encore à la télévision et sur le câble aujourd'hui même si ça ne va pas sans mal. Dernièrement la chaîne Gulli décidait de couper le générique d'Il était une fois l'Homme dans ses dernières secondes : montrer les conséquences de la fin de la Terre à cause de l'être humain, visiblement c'est maintenant trop choquant. Pourtant en 78 on avait l'audace de le montrer à tous, enfants comme adultes en espérant que l'avertissement prémonitoire servirait aux générations futures. Maintenant on se voile juste la face en espérant que la catastrophe arrive le plus vite possible, bravo.... : https://www.youtube.com/watch?v=aGr9jCMQpvI
(4) Michel Legrand signe aussi la musique d'Il était une fois les Amériques (1991) mais impossible de trouver une bande originale... Encore un trésor visiblement jamais sorti sur support.
(5) Hop, régalez-vous : https://www.youtube.com/watch?v=YOoHz8Gaewc Et puis sa variation toute aussi géniale : https://www.youtube.com/watch?v=Ivub9Q1ndxk
(6) Tiens, par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=fm_ew937Ydg
(7) https://www.youtube.com/watch?v=hK7J9nAFuXk