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Chroniques visuelles
3 mai 2010

Contes de la folie humaine : Herzog's movies (2).

Suite de notre périple à travers ce film parfois méconnu...

 

Woyzeck (1979)

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1850, dans une petite ville de garnison. Le soldat Woyzeck est un homme simple et tourmenté. Il exerce les fonctions de barbier, et se prête également à des expériences médicales afin de gagner quelques sous supplémentaires. Il n'a d'yeux que pour sa compagne Marie et son fils illégitime. Victimes d'hallucinations, de visions effrayantes, Woyzeck sombre lentement dans la folie. La jalousie l'amènera à commettre un acte insensé...

 

Après Coeur de Verre, retour à la fibre austère d'Herzog à travers une adaptation d'une pièce posthume du poète Georg Büchner, tournée au pied levé en 15 jours avec un budget réduit. Une sorte de contrepoint au (paraît-il) luxueux Nosferatu qu'il tourne peu avant où il reprend un Klaus Kinski dont les cheveux repoussent à peine. Etrange film que ce Woyzeck où, Herzog évite l'esthétisme sordide qui marque presque toutes les productions de Büchner comme de l'opéra de Berg à la scène. Au contraire, le film choisit l'épure et refuse tout appel à la poésie (excepté l'ouverture et la fermeture, sublimes sur fond de musique à la clochette) afin de créer un mur de rigueur. Du coup, l'absence (...), de toute vision comme de tout épisode contemplatif décevra peut-être plus encore que l'absence du sordide photogénique. Et pourtant, au coeur (de verre) du film, en son noyau même, quelque chose fascine et finit par emporter l'adhésion du spectateur qui sera allé jusqu'au bout. D'abord, l'absence de budget conséquent oblige Herzog à aller droit au but (le film ne fait qu'une heure et quart) et à tracer comme en ligne droite une galerie de personnages restreints et volontairement grotesques en majorité. Tel ce docteur qui force Woyzeck à un régime de pois ou à uriner sur commande pour démontrer une quelconque absurdité de la nature (Woyzeck la personnifie et ses visions sont assez proches de celles d'Aguirre ou Hias dans Coeur de Verre. C'est un possédé, un écorché vif lui-aussi qui ira somme toute jusqu'au bout de son destin) face à la force de la science. Ou le capitaine de Woyzeck, homme gros et frustre, bien trop enfoncé dans ses vêtements. Tous deux traitent le simpliste Woyzeck comme un idiot, un cobaye de leurs volontés. Or Woyzeck malgré sa simplesse d'esprit n'est certainement pas un imbécile.

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Ensuite, grâce à la performance de Kinski, qui bien plus que dans Aguirre porte le film sur les épaules. Habité, Kinski l'est entièrement. Dévoué de fond en comble à son personnage d'homme simple qui préfère croire en la nature (les dialogues plus ou moins métaphysiques sont à ce titre proprement sublimes et laissent à penser que Woyzeck semble le seul personnage qui ose raisonner sur le sens de la/sa vie au contraire de ses bourreaux) plutôt qu'en une quelconque rationalisation de la pensée humaine. Kinski estson personnage. Les veines saillent sur son front, il se congestionne ou blêmit, se minéralise aussi, déforme ses muscles au point de paraître écorché au sens propre -- au figuré, ça va sans dire. Ce travail d'autosculpture tétanique culmine dans la scène du meurtre de Marie, interminable, étirée de plus par le ralenti au-délà du tolérable, et où la caméra ne quitte pas son buste et son visage.

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Enfin parce qu'une fois de plus, Herzog ne juge jamais ses personnages à aucun instant, échappant à toute idée de pathos ou de morale, poussant les personnages à l'absurde à l'instar de la fin du film, que Herzog livre en deux plans fixes, étirés. Woyzeck est, le générique le montre assez bien, un pauvre diable écrasé dès le début par quasiment tout le monde. A son entraînement, par son supérieur, par un docteur, par un soldat... Un pauvre diable qui pense, qui pense même trop comme le lui repprochera ses "geoliers". Et voilà bien tout le drame qui est livré où le cinéaste s'efface (sans doute parfois trop) derrière le texte de Büchner.

En l'état, voici un film d'un parfait ascétisme, d'un hermétisme qui pourra au premier abord en décourager certains. Mais au prix du visionnage, des moments ressortent et finissent par planer sur l'esprit, livrant là un film dur mais néanmoins des plus intéressants.
Toutes les citations en italique sont tirées du livre "Werner Herzog" par Emmanuel Carrère. Collection Cinégraphiques, éditions Edilig, 1982. nanere

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Bad Lieutenant (2009)


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Un Herzog, même mineur est toujours un certain évènement en soi.

Le film serait sous-titré "bienvenue chez les freaks" qu'il ne m'aurait pas plus gêné que cet "escale à la Nouvelle Orléans" volontairement ajouté pour montrer la différentiation volontaire avec le Ferrara qu' Herzog d'ailleurs se défendait d'avoir vu dans une interview trouvée quelque part. C'est vrai que mis à part le personnage du flic constamment dopé, il n'y a même plus de point commun. Herzog se fout même royalement (c'est génial, on a viré des réalisateurs de tournage pour moins que ça de tous temps... :mrgreen: ) de la pseudo intrigue policière à l'instar de ce plan jouissif où Nicolas Cage (qui a la niaque formidable là-dedans. Hâte de le retrouver pour Kick-ass bientôt) conclue un pacte avec le gros bonnet local en parlant plantation tandis qu'à l'arrière les hommes de main se débarrassent d'un corps en le jetant dans le fleuve. :lol: 

Tout le film porte bien la patte d'Herzog même si on pourrait penser que pour le coup, bien plus que pour 
Rescue Dawn, le réalisateur se force à faire ses plans décalés qui n'appartiennent qu'a lui. Des moments où les iguanes chantent et où l'âme du mort danse semblent presque plus que bienvenus, limite gratuits et détonnent bien plus qu'un plan d'enterrement façon Bayou (avec crachat de whisky) ou celui (que je trouve formidable pour le coup) du crocodile renversé sur la route. D'autant que ce dernier fait suite où l'on voit un petit croco décider de ne pas emprunter la route en voyant le corps du grand, étendu, sans vie sur la chaussée. Limite j'aurais envie de dire qu'il faudrait voir ce film pour un mini-plan comme ça qui me touche perso (et le bébé croco est très mignon).

En fait, à part dans 
Coeur de Verre, c'est bien la première fois qu'on a des visions clairement montrées à l'image chez Herzog. Aguirre rêvait bien de son royaume, tout comme Woyzeck de la nature et de la terre, mais c'était des paroles, des visions internes aux personnages qui nous donnaient surtout à voir mentalement la démesure qu'ils portaient en eux dans un monde qui les confinait. Ici, l'impact du film navigue entre la grosse blague de potache sympathique et un film étrange qui tient plus lieu d'une sorte de documentaire sur un flic complètement camé. Et c'est sans doute plus en ce sens qu'il faut voir le film, dans cette prestation presque Kinskienne (sauf que Kinski vivait véritablement les choses là où Cage les joue. Je doute néanmoins que Cage ait pris de la coke. Kinski lui, en aurait été tout à fait capable si on y réfléchit...) du personnage principal. Les seconds rôles ne sont pas en reste. Eva Mendes fait du basique mais c'est son rôle qui veut ça et finalement je la trouve assez touchante (quand elle réfléchit sur les marches d'escaliers, quand elle accepte la cuillère). Il y a une sorte de naïveté étrange qui plane sur les personnages et donne à ce film un singulier parfum. Un Herzog étrange (pléonasme mais vous m'aurez compris) mais finalement très agréable.

 

 

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