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Chroniques visuelles
27 février 2019

Joni Mitchell - The hissing of summer lawns

 

hissing

 

 

« He gave her a roomful of Chippendale
That nobody sits in
Still she stays with a love of some kind
It's the lady's choice
The hissing of summer lawns...

Il lui a offert un salon Chippendale
Personne ne s'y assoit
Mais elle demeure là dans une espèce d'amour
Tel est le choix de la femme
Le sifflement des pelouses en été... »

(The hissing of summer lawns – paroles traduites extraites de « Joni Mitchell – Songs are like tattoos » de Édouard Graham)

 

 

Apparemment j'ai le chic pour tomber en pâmoison avec un ou une artiste en commençant régulièrement par une œuvre difficile d'accès ou qui divise voire dérange. Mais jugez plutôt :

● Alors qu'elle en est à son troisième disque solo et que celui-ci est un exutoire personnel face à une année plus que difficile (euphémisme pour qui s'intéresse de près à son histoire...), j'écoute par pur hasard, Homogenic, attiré un tant soit peu par le visuel intriguant et c'est le coup de foudre. Le début d'une belle histoire de fan passionné avec la musique de Björk qui durera plusieurs années. Je n'y reviens pas, du moins pas maintenant sur Sens Critique sinon je vais avoir l'impression de radoter.

● Tiens de même, j'aurais pu commencer Yes ou King Crimson par, respectivement Time and a wordThe Yes Album voire Fragile pour le premier ; In the court of the crimson king ou In the wake of Poseidon pour le second, ben non. J'ai découvert l'entité Frippienne du roi pourpre par le live U.S.A (et en vinyle siouplaît avec le son bien rugueux dans la collection de mon popa... qui l'écoutait jamais, snif) et Lark's Tongues in Aspic. Quand au « Oui » so british, ce fut avec Relayer. Coup de foudre à chaque fois aux premières écoutes !

Quand à Joni...

 

Eh bien disons que j'aurais pu commencer directement par sa première période, tout folk dehors. Mais non, il a fallu que je tombe directement au hasard d'une médiathèque sur Hejira (dont la photographie de pochette signée Norman Seeff m'intriguait au plus haut point) et The hissing of summer lawns pour être directement subjugué.

 

J'ai donc commencé l’œuvre Mitchellienne par le versant plus « expérimental » aux accents rock et jazz que le reste. C'est à dire le milieu et même l'apogée de son œuvre après une première période essentiellement folk (voire folk austère dans la plus dénudée –clichée?-- acceptation du mot quand on repense aux deux premiers albums) et avant une période un peu plus pop (coucou les années 80 où il est clair avec le recul qu'elle n'a pas forcément donné le meilleur d'elle-même à ce moment-là). J'aurais pu rejeter en bloc des albums tels que The Hissing of summer lawnsHejira ou Mingus (dédié à qui vous savez), ce ne fut pas le cas. Et même si j'ai encore un peu de mal avec une certaine fille de Don Juan (1977), toute la décennie 70 de la mère Mitchell n'a définitivement pas perdu son cha(rme) pour moi (je voudrais vous y voir à essayer de faire tenir un jeu de mot tout en restant sérieux).

 

Mais ma période préférée reste finalement celle qui couvre de 1974 à 1980, sur 7 albums dont 2 lives assez fabuleux disons-le (l'élégance du L.A Express sur l'un pour l'accompagner, Pat Metheny et Jaco Pastorius sur l'autre et qui, croyez-moi, font plus qu'apparaître pour un simple « coucou »). Même si son folk connaissait plusieurs mutations au début des années 70 et ce à partir de son troisième disque, Ladies of the canyon (1970, premier chef d’œuvre pour ma part mais j'y reviendrais probablement une autre fois, cette chronique s'avère déjà longue comme ça, et on est loin d'en voir le bout à ce stade !), c'est avec le virage de For the roses (1972) et plus encore sur Court and spark (1974) que la chanteuse et compositrice va dorénavant naviguer sur des terres peu fréquentées alors et encore moins de nos jours.

 

Certes, il y avait déjà eu en un sens un ovni ou osni (Objet sonore non identifié) fascinant en 1968 avec le Astral Weeks de Van Morrisson mais le peu de retour qu'avait fait l'album alors avait probablement dû en dissuader plus d'un (c'est une œuvre qui a surtout acquis sa notoriété avec le temps) ou d'une. Les directions que va prendre notre canadienne sont d'ailleurs assez différentes et il faut revenir sur les multiples différences avant d'évoquer The Hissing...

 

Déjà remarquons comment Joni va s'entourer de musiciens et instruments pour donner une coloration sonore à sa musique. Ce qui m'a marqué en premier lieu avec son œuvre, c'est avant tout le profond aspect mélodique, plus complexe qu'il n'y paraît, bien avant les paroles. N'étant pas anglophone de naissance, c'est un aspect qui est venu bien après, même s'il a son importance ici chez la compositrice. Alors que Blue (1971), album évacuant la rupture entre Joni et Graham Nash arbore en grande partie le dulcimer dans la fabrication de son « son », il comprend également un peu de piano et de guitare en plus du chant assuré par Joni. Quelques ajouts surviennent ça et là par le biais d'une guitare basse (Stephen Stills), d'une autre guitare (James Taylor), d'une pedal steel guitare et d'une batterie. De 4,5 musiciens (Joni Incluse) sur l'album précédent on passe à 9 personnes en tout sur For the roses (1972) avec incursion d'un saxophone et même d'un violon (resté en bon terme avec Joni, Nash passe jouer un peu d'harmonica). Pour autant, on reste dans une configuration de folk plus élargie mais sans que la musique n'en soit profondément changée.

 

Il en est tout autre sur Court and Spark (1974) où l'on recense plus de 19 personnes ayant participé à la création de l’œuvre pour un tournant qui mêle son folk aux influences rock et jazz. Dès les premières notes de piano du morceau-titre éponyme, l'auditeur traditionnel de Joni Mitchell pourrait se croire en terrain connu. Erreur, des accords de guitare électrique mêlées à un rythme entraînant de batterie arrivent très vite. Mais cela reste doux. Et pourtant la première erreur serait de sous-estimer tout ça car c'est justement par le biais de cette « douce » introduction que la mère Mitchell va ensuite encore plus changer les choses tranquillement, maintenant que l'auditeur serait habitué. Je ne sais pas si on me comprend bien alors un petit comparatif s'impose à 2 albums d'écart pour bien comprendre le virage, voire la scission qui se dessine lentement.

 

Qu'on prenne « All I want » (album Blue) et ce son caractéristique de dulcimer qui crée les notes avec la voix de Joni qui monte dans les aigus au refrain : https://www.youtube.com/watch?v=Wq2jhs19_V8

..Bon. Puis écoutons maintenant un titre de Court and Spark, tiens la deuxième piste, « Help me » : https://www.youtube.com/watch?v=XOEE-kR-Txg

 

Là ! Vous les entendez les chœurs ? Cette flûte sur quelques notes ? Joni qui ne chante plus dans les aigus mais n'hésite pas à ralentir parfois, presque parler et échanger une confidence quelques secondes puis repartir, la guitare, la batterie, le saxo... Et surtout les arrangements et le son, cette richesse qui en a surpris beaucoup à ce moment.

 

«  « Help me » au premier abord pourrait passer pour un air d'ascenseur –d'easy listening » (…). Il n'en est rien. L'écriture harmonique qui soutient la mélodie aux inflexions jazzy est sophistiquée : basse en contrepoint, accords scintillants de guitare électrique vivement égrenées corde à corde de l'aigu au grave, intervention de flûte et de bois, chœurs qui miment comme en un cri l'appel au secours de la chanteuse désespérée, car elle sait par avance ce que le mauvais contient de bon (ou inversement), tandis que le rythme à la fois suave et rapide précipite la fuite en avant. »

Joni Mitchell – Songs are like tattoos » de Édouard Graham, éditions Le mot et le reste, p. 133, 134)

 

Court and Spark dévoile ainsi tout le long une musique hybride déjà plus exactement dans le folk mais pas non plus suffisamment dans le rock, encore moins dans le folk-rock tel qu'il est pratiqué en grande partie alors par ses consœurs et confrères (dont Crosby, Stills & Nash par exemple). Un hybride coloré de touches jazzy qui semble presque annoncer déjà la mutation prochaine sur The Hissing...

 

Sauf que Joni étant Joni, les choses ne sont jamais si simples et les pistes ouvertes par Court and Spark vont en fait en ouvrir d'autres. Ce qui nous amène à The hissing of summer lawns du coup en 1975, alias « le sifflement des pelouses en été ».

 

Penchons-nous d'abord sur la pochette du vinyle (1) qui témoigne sans que le spectateur basique ne s'en rende compte d'un véritable travail d'art global.

 

D'abord cette illustration de chasseurs africains portant un énorme serpent sur une plaine d'un vert curieusement bien uni. Derrière, des habitations, le monde moderne qui se profile par contraste. Le fan ne se doute pas alors que sur ce disque, Joni délaisse largement l'écriture des sentiments hommes et femmes, de la vie d'artiste ou de l'Amérique moderne au profit de textes presque sociologiques, un regard donc étranger sur le monde dit « civilisé » qui se profile au fond. On parlera en effet ici de prostitués, d'un caïd (maquereau?), des ravages de la religion, de l'aliénation de la femme ou du businessman sans oublier le mépris des lois dont se pare ce XXè siècle constamment. Le contraste avec une musique plus qu'enjouée le plus souvent est des plus saisissants. On parlera aussi peinture avec un hommage au Douanier Rousseau !

Peinture, il faut le mentionner car l'autre grande passion de Mitchell qui n'est que trop rarement ou peu mentionnée, c'est son goût pour le graphisme que ce soit le dessin ou la peinture justement. Depuis pratiquement ses débuts, c'est elle le plus souvent qui signe elle-même en grande partie le visuel ornant la pochette recto du vinyle associé. Clouds dévoilait ainsi son autoportrait hésitant mais confiant en une carrière alors commençante. Ladies of the canyon arbore un visuel presque minimaliste, beaucoup de blanc, quelques couleurs pour bien signifier le changement qui s'opère. Si les visuels de Blue et For the roses ne sont pas de son fait, on y revient pour Court and SparkMiles of Aisles et The Hissing...

Ici donc, Mitchell détoure une image de Jesco Von Puttkamer parue plus tôt dans un des numéros du National Geographic (2) avec des indiens d'une tribu amazonienne transportant un énorme anaconda. Référence presqu'évidente au morceau « The Jungle Line » (piste 2) mais pas que. Si vous dépliez le vinyle et regardez cette fois le verso (la peinture dépliée de fait) vous apercevez une petite hacienda californienne en bas à droite de l'image avec une piscine bien visible d'un vert alors plus clair que celui, kaki, de la pelouse du visuel. Quand on ouvre cette fois le vinyle pour y voir l'intérieur, nul doute que nous nous sommes magiquement déplacés de la plaine près de la grande ville vers l'habitation et sa piscine puisque nous sommes cette fois aux côtés de Joni qui nage calmement sur le dos dans l'eau turquoise. Une façon très intelligente de nous faire passer pleinement dans l'univers de cet album, autrement que par juste l'aspect sonore, même si c'est évidemment ce que l'on recherche dans un album de musique. Mais une manière surtout de signifier le respect et le perfectionnisme qu'arbore alors la canadienne dans la façon de concevoir l'objet artistique.

 

La musique venons-en sans plus tergiverser...

 

C'est un In France they kiss on main street presque rock'n'roll (hop du son) qui déboule en ouverture. Enfin, à la manière Joni Mitchell faut pas rêver. Il n'empêche qu'avec son refrain et sa guitare électrique vivifiante, c'est une parfaite introduction (et un excellent morceau qui plus est. Démarrez la journée avec ça, ça vous fera du bien).

 

Et paf, The jungle line alias « mais qu'est-ce que j'écoute là ??? » parfaite rupture à même de signifier le changement en cours hybride où se place dorénavant la compositrice. Une « chanson » construite autour de boucles de moog imitant le son d'un saxophone baryton, de samples de percussions africaines du Burundi avec même des voix et de Joni et sa guitare accoustique. Un OSNI total dédié au peintre français Henri, dit Le Douanier Rousseau et son imaginaire chamarré (3). Rendez-vous compte on est dans un bidule assez radical (la première écoute risque de vous surprendre, et non je ne fais pas de fausse promesse de buzz, croyez moi) qui mêle folk, électronique et world music alors que celle-ci n'a pas encore atteint sa popularité mondiale qui arrivera grâce à un certain Peter Gabriel dans les années 80. Brian Eno et David Byrne n'ont même pas encore commencé leur travail d'échantillonage et de samples magistral qui donnera lieu à My life in the bush of ghosts (1981) !

 

Edith and the Kingpin en troisième piste ? Rien de moins qu'un de mes morceaux préférés de tout Joni Mitchell. Voire des années 70. C'est que c'est mélodiquement archi-addictif ce truc. Quand aux paroles, c'est l'histoire de la pauvre et naïve jeune Edith, nouvellement arrivée en ville et qu'un maquereau (le « kingpin », alias « le caïd ») entreprend de séduire pour l'ajouter à son cheptel. A l'image d'un Dale Cooper intervenant dans un des rêves de Laura Palmer dans Twin Peaks, j'ai envie de dire, « Ne prend pas la bague, Edith, ne prend pas la bague ! » Mais, ensorcelé que je suis par la musique, probablement à l'instar de la jeune fille, n'est-il pas déjà trop tard ?

 

« C'est encore Chuck Findley qui colore « Harry's house/Centerpiece » – l'une des plus plages de l'album – au moyen d'une trompette, munie ou non d'une sourdine. Trois longues stridences descendantes (enregistrées séparément, puis mixées) claironnent l'ouverture à la façon d'une sirène d'alerte. Mais l'instrument est idéal aussi pour effectuer la transition entre « Harry's House » et le jazz plus traditionnel de « Centerpiece » (d'après Lambert, Hendricks & Ross), qui inclut un solo de piano accoustique effectué selon les règles de l'art (Joe Sample). Sur « Harry's House », les ruissellements étincelants du même Joe Sample au piano électrique et de Robben Ford à la guitare se mêlent à la trompette, instaurant une atmosphère générale qui confine à l'hallucination – en accord avec la sidération induite par le matérialisme, si bien décrite au fil des paroles. »

Joni Mitchell – Songs are like tattoos » de Édouard Graham, éditions Le mot et le reste, p. 170)

 

Une sirène d'alerte à la trompette pour faire la liaison entre « The Boho dance » (qui le précède) et « Harry's House/Centerpiece », soit. Mais à l'instar du sample du passage du train sur l'un des derniers titres de l'immense « Pet Sounds » des Beach Boys, j'y vois, recrée génialement par un instrument, le passage d'un train (je l'ai toujours crû d'ailleurs à la base que c'était un train sur ce disque de Joni !) reliant justement la « vie de bohême » de l'artiste décrite dans The Boho Danceavec son inverse dans « Harry's House », la vie du pauvre Harry, businessman occupé dès son atterrissage à l'aéroport à sa suite en hôtel, délaissant sa femme frustrée à la maison. Soit la liberté d'un côté et, via un nouveau basculement grâce aux transports modernes (ferroviaire ici, trompettoviaire même), l'aliénation et la servitude de l'autre.

 

Et que dire encore du crépusculaire « Sweet Bird » qui sonne comme un rappel lointain de la Joni folk première période qui m'évoque constamment par sa musique un coucher de soleil lointain. Sans oublier « Shadows and light », autre OSNI étrange qui clôt le disque (le titre-même donnera naissance à la fameuse tournée live du même nom de 80) où Joni juste avec un synthétiseur (un « Arp-farfisa » d'après les notes de l'album soit un orgue farfisa mêlé à un synthétiseur poluphonique ARP) entame une sorte de gospel ambiant (en démultipliant sa voix en choeurs) dont les nappes sonores pourraient faire penser de très loin à ce que peuvent produire parfois alors Tangerine Dream ou un certain John Carpenter pour ses bandes originales.

Peut-être que maintenant, arrivés à la fin de cette chronique, vous comprenez mieux la passion que j'ai pour ce disque, que dis-je, le coup de foudre que je ressenti directement et un amour pour cette œuvre qui ne m'a dès lors plus jamais quitté...

 

 

 

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(1) Visuels disponibles ici dans « plus d'images » en haut à gauche : https://www.discogs.com/Joni-Mitchell-The-Hissing-Of-Summer-Lawns/release/6364823


(2) Pour mieux se rendre compte : https://www.theglobeandmail.com/news/world/national-geographic-looks-at-the-world-through-an-america-centric-lens/article15830498/


(3) Hop : https://www.google.fr/search?biw=1366&bih=625&tbm=isch&sa=1&ei=rB5vXJmDNM2S1fAP95qIsAI&q=le+douanier+rousseau&oq=le+douanier+rousseau&gs_l=img.3..0l10.1057634.1059955..1060233...0.0..0.57.790.20......1....1..gws-wiz-img.......0i67.OEoinuAhPwI

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