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Chroniques visuelles
8 mai 2011

Bande à Part (1964).

"Le Mépris était en couleurs, en scope, en Italie, avec une vedette, de l'argent américain... Le meilleur moyen pour moi de changer de direction était de me donner des contraintes. Je n'ai pas pu faire autrement. Je me suis dit : "je vais faire de Bande à Part un petit film de série Z comme certains films américains que j'aime bien", comme les films de Fuller, enfin, sur ce principe-là."

(Jean-Luc Godard dans Objectif 65, n°33, août-septembre 1965 (1)).

 

 

Les mésaventures tragi-comiques de deux jeunes malfrats, Frantz et Arthur, qui, avec l'aide d'Odile, jeune fille naïve, tentent un coup minable : dérober une somme d'argent volé au fisc par l'oncle d'Odile...

 

C'est quand il traite un sujet basique que paradoxalement Godard peut devenir des plus accessibles au néophytes. En tournant Bande à Part en 1964 juste après Le mépris, le cinéaste veut non seulement prendre le contrepied d'une grosse production qui lui a pris beaucoup de temps et de préparation afin de revenir à cette urgence qu'il connait si bien. C'est aussi la volonté (visible à l'écran) de revenir à la fraîcheur et l'inventivité d'A bout de souffle, d'entretenir un aspect ludique alors au sein de la production débutante des jeunes turcs (2). Enfin, selon Antoine de Baecque (3), le film est un cadeau offert à une Anna Karina (Odile dans le film) sortant d'une grave dépression nerveuse qui culmina avec 2 tentatives de suicide.

 

S'inspirant d'un polar série noire, Pigeon Vole (Fool's Gold de Dolores Hitchens) que lui a refilé son compère Truffaut, le cinéaste va voir la Columbia afin de pouvoir financer le film pour seulement 100000 dollars avec un scénario (rare chez le cinéaste alors puisqu'il faisait très souvent ses dialogues et l'histoire dans l'urgence, la veille de chaque tournage, voire au petit matin dans une improvisation incroyable) d'une vingtaine de pages. On obtient au final une sorte de film hybride où les personnages d'A bout de souffle se promèneraient par moments chez Jules et Jim, la jeune fille finissant par attirer lentement aussi bien Arthur (Claude Brasseur) que Frantz (Sami Frey).

 

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Sur le tournage, Godard a la crainte de faire court. Il faut dire que l'histoire en elle-même n'est pas des plus développées. Ce qui va permettre à Godard de renouer avec la fraîcheur et l'inventivité des débuts, va se jouer sur ce "remplissage" qui se fond parfaitement à la forme, inventant des mini-scenettes dans le film parmi laquelle la courte mais culte scène de visite en courant du Louvre. Il s'agit de battre le record de visite détenu par un américain qui parcouru le musée en 9 mn 45. Scène tournée d'ailleurs à la sauvette par Godard et son équipe : Si il demanda bien l'autorisation à Malraux, les gardiens du musée n'étaient eux pas du tout au courant. A l'image c'est jouissif de voir 3 fous furieux qui courent devant des vigiles tentant vainement de les arrêter, avec un train de retard, indécis et paniqués.

 

Par contre, l'autre grande scène fameuse et culte, la scène de danse du Madison fut longuement préparée, les acteurs ne sachant pas danser (ce qui exaspérait Godard qui retarda le plus la scène afin qu'ils puissent prendre des cours). C'est en somme le cadeau de Godard a une Karina qui avait perdu tout goût de vivre, l'actrice adorant chanter et danser dans la vie réelle (elle chante d'ailleurs dans le film). Comme elle le confirme en entretien (dans les bonus) ou sur papier (4), le film lui "sauve la vie". A la fin même de la scène, ce n'est pas dans le film mais Godard en profite pour écarter les acteurs afin de danser seul avec sa femme, scellant une timide mais fragile réconciliation, petit espoir (vain) de reformer un couple glamour et tragique. Le couple se séparera pourtant vers la fin de l'année peu avant le tournage d'Alphaville, ce dernier symbolisant le deuil de leur relation amoureuse selon le critique Alain Bergala ("une opération de deuil" - (5)). La fin d'une relation amoureuse mais pas d'une relation de cinéma puisqu'ils tourneront encore après Alphaville, 2 films et un court-métrage ensemble (6).

 

Bande à Part semble anticiper cela a travers le regard parfois souriant, parfois gravement mélancolique et perdu d'Anna Karina sortant alors du calme du service psychiatrie pour enchaîner un tournage qui ne la rassure pas vraiment. Néanmoins, cela participe étrangement du charme de ce doux objet amusant et tragique. Une belle réussite pour un film mineur donc.

 

 

 

 

(1) Propos repris dans Bande à Part de Barthélémy Amengual, éditions Yellow Now, 1993, p.123.

(2) L'équipe critique des Cahiers du Cinéma qui décida quasiment de se mettre à filmer en même temps tous autant qu'ils sont.

(3) Godard, une biographie par Antoine de Baecque, éditions Grasset, 2010.

(4) Godard, une biographie par Antoine de Baecque, éditions Grasset, 2010, p.257.

(5) Godard au travail par Alain Bergala, éditions Cahiers du Cinéma, 2006, p.234.

(6) Pierrot le fou, Made in USA et Anticipation ou l'amour en l'an 2000.

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