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Chroniques visuelles
11 décembre 2010

La comtesse

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A la suite de la disparition de son mari, la Comtesse Erzsébet Báthory (*) se retrouve avec une immense fortune. Avec l'aide de sa confidente Darvulia, elle étend alors progressivement son influence et devient la femme la plus puissante de Hongrie du début du XVIIe siècle. Sans se douter qu'elle va être au centre de machinations et jeux de pouvoirs, elle tombe amoureuse d'un jeune homme. Malheureusement l'idylle est de courte durée puisque la comtesse se retrouve rapidement abandonnée. Certaine d'avoir été délaissée pour une jeune fille plus jeune et belle qu'elle, elle sombre alors dans la folie en se lançant dans une quête de jeunesse, persuadée que le sang des vierges pourra raffermir son teint...

 

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Jaquette numéro 2, sous le boîtier cartonné.

 

L'histoire de celle qu'on a surnommé la comtesse sanglante m'a toujours fasciné. Au dela d'une simple transposition de la métaphore du vampirisme (qui a donné lieu à d'autres adaptations filmiques avec ladite comtesse), je me suis toujours demandé d'un point de vue humaniste ce qu'avait été l'histoire de ce personnage qui a inspiré aussi bien fascination que crainte. En aurait-il été autrement si elle avait été un homme ? La question mérite en tout cas d'être posée au travers d'une simple évocation horrifique de celle qui fut l'une des premières grandes serial-killeuses de l'Histoire (n'ayons pas peur des poncifs, on sautera par dessus tout à l'heure de toutes manières). Le mérite principal du film de Julie Delpy, outre qu'elle assure une maîtrise totale réjouissante du projet (porté à bout de bras pourrait-on dire. La réalisatrice est aussi actrice mais aussi scénariste et compositrice de la musique du film), c'est d'éviter le cliché du film dit gore, pour se concentrer à construire un destin de femme pris dans les engrenages de l'Histoire, sans jamais poser un regard moralisateur, ni sur le personnage, ni les hommes qui l'ont côtoyée.

 

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A. L'avis de Julie dans les bonus (cliquer pour voir en plus grand).

 

Evidemment, pour cela, il lui faut le carcan fictionnel où resserrer son personnage et ensuite expliquer les causes et conséquences de son destin. La réalisatrice-actrice elle-même n'est pas dupe de l'aspect romance du film (captures A), mais c'est pour ensuite mieux tenter de cerner ce qui pousserait la comtesse, suite à une prétendue rupture, à devenir une sorte de monstre. Comme on le sait, on ne naît pas monstre, on le devient (**). De la jeunesse du personnage, on sait peu de choses, tout au plus qu'elle fut mariée à 15 ans à Ferenc Nádasdy mais qu'elle connut une aventure peu avant avec un jeune paysan qui lui valut d'avoir un enfant mort-né. Pour cerner alors la créature, Julie Delpy essaye de démontrer une jeune fille qui, très tôt, dût vivre et composer avec la mort. Mort des proches, mort (exécution souvent) de gens de basse classe, mort donnée par erreur en tentant d'expérimenter (B)...

 

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B. Diverses expériences de la mort : De loin derrière les fenêtres, de près, en jouant.

(cliquer pour voir en plus grand).

 

Cette expérience de la mort côtoyée trop souvent peut avoir pour hypothèse de conséquences d'avoir renfermé le personnage sur lui-même, insensible alors à la souffrance de la disparition, ou ne la connaissant que trop bien pour vouloir souffrir davantage. Bien plus tard, Erszébet ne se souciera plus de se renseigner sur la souffrance des jeunes filles lentement vidées de leur sang, plus occupée à se soucier vainement de sa jeunesse qui s'enfuit. La raison de cet acharnement à vouloir repousser les assauts du temps sur sa personne ? L'abandon d'un amour presque naïf (une erreur vu son âge plus mâture et son influence trop importante pour la gente masculine d'alors) envers le jeune Istvan Thurzo (Daniel Brühl) qui va la faire progressivement verser dans la folie. Est-ce la fatigue et son visage maculé de sang qui lui font penser à d'étranges vertus rajeunissantes en se contemplant dans le miroir (C) ? La lassitude d'onguents qui ne la satisfont plus ?

 

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C. Basculement...

 

Toujours est-il que ce fut vraisemblablement ce qui fut la cause (ou du moins la mention devant un tribunal) de sa chute puisqu'elle sera arrêtée suite aux plaintes d'un pasteur Luthérien, condamnée à un procès rapide (auquel elle ne prendra pas même part là où ses serviteurs subiront une mort brutale), et finira emmurée (assignée plutôt) à vie (noblesse oblige mais ça n'en rend pas moins la mort aussi horrible) pendant les dernières années de sa vie dans son château.

Devant la réalité, la légende a pris le reste, reléguant la comtesse a une sorte de croquemitaine n'ayant rien à envier au sinistre Dracula (***). Pourtant, à l'époque actuelle et avec un certain recul sur le passé, on peut penser qu'Elisabeth fut tout simplement la victime d'une conspiration visant à l'écarter du pouvoir et c'est cette approche que la réalisatrice construit sciemment. En effet, la comtesse, à la suite de la mort de son mari obtient toutes les terres et gère à elle-seule l'armée, tout comme les finances (ce qu'elle faisait déjà de son vivant quand il partait guerroyer). Sa grande intelligence et le fait qu'elle puisse parler de nombreuses langues tout en restant dévouée au Roi (elle versait une forte pension) a sûrement dû gêner fortement dans cette période obscur de la Renaissance où les alliances continuaient souvent de se faire par les mariages.

 

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D. Même avec un budget limité, on fait des merveilles.

 

 

On pourra m'objecter qu'à la Renaissance justement, les femmes auraient gagné en reconnaissance et en droit, malheureusement non. Ce serait même tout le contraire, c'est en fait plus au Moyen-âge, bien plus tôt qu'une plus grande liberté leur était acquise, et ce, quelle que soit leur condition sociale.

 

"Dans un ouvrage prétendument sérieux, paru dans les années 1970, nous sommes tombés sur la phrase suivante : "Le Moyen-Âge est particulièrement antiféministe." Allons bon ! Nous ne savions pas que le MLF existait dès cette époque, et donc, qu'il avait déjà des adversaires... Cet anachronisme a tout de même un intérêt, qui est de nous éclairer sur l'état des préjugés au siècle dernier concernant le Moyen-Âge : non seulement c'est le temps de l'obscurantisme, mais c'est aussi celui de la misogynie --ce terme nous paraît plus approprié-- ultérieurement dénoncé par les tenants de la libération de la femme au XXe siècle. Or, une relecture rigoureuse de l'histoire médiévale montre que non seulement la femme n'est pas l'être soumis que nos contemporains se plaisent à imaginer, mais qu'elle bénéficie de libertés pour le moins inattendues, dans le domaine privé comme dans la vie publique. (...)

Si elle est seule, soit parce que l'époux est parti ferrailler au loin soit en cas de veuvage, la dame bourgeoise ou noble exerce des responsabilités, gère elle-même ses affaires souvent avec succès, ne laissant à personne le soin d'administrer son domaine et de diriger ses gens. Et que dire des artisanes, qui pratiquent aussi bien els métiers du métal que ceux de l'alimentation ? Des commerçantes qui tiennent toutes sortes de boutiques, y compris les banques ? Non, décidément, la gent féminine ne se morfond pas au coin du feu à cette époque moins obscure qu'on le dit." (****)

 

Dans ce cadre, on peut plus comprendre qu'Erszébet, malgré ce qui a pu se produire (et ne l'excuse nullement) est aussi une victime comme d'autres. Serait-elle née plus tôt à l'époque d'Aliénor d'Aquitaine que sans doute aurait-elle pu voir sa légende minimisée, voire inconnue, oubliée de l'Histoire, replacée dans un autre contexte et un autre temps. Ce n'est pas le cas, la veuve était de la noblesse et occupait des parts beaucoup trop convenables pour qu'elles lui furent laissées. C'est du moins l'explication la plus plausible et censée que laisse Julie Delpy à travers ce beau film.

 

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E. Portraits de personnages et voix-off.

 

C'est donc un drame intimiste et humaniste, passionnant et tentant de dresser le portrait d'un personnage souvent plus considéré comme un mythe auquel nous convie la réalisatrice. Le budget réduit n'empêche pas un magnifique travail sur les costumes, le tournages dans de nombreux vrais décors, les éclairages, le fait d'avoir des acteurs d'une certaine renommée (en plus de Brühl, comptons William Hurt). Le rythme lent du film et sa durée ramenée à une heure et demi à l'aide d'une voix-off décrivant de nombreux moments afin de gagner en clarté et en rythme pourra poser toutefois problèmes à certains. Mais bon, en allant voir ce film, il ne faut pas s'imaginer non plus visionner quelque chose proche du dernier Michael Bay, on est bien loin de tout ça. Pour ma part, j'adhère totalement à cet intimisme baigné d'une légère touche horrifique et dramatique.

 

Bonus ? Avec ce film passionnant, on est pour le coup, assez gâtés. Un livret de 20 pages avec le dvd, remplis d'interviews des 3 acteurs principaux assez intéressantes. Quand à la galette, elle dévoile, outre les bandes-annonces du film, 3 entretiens avec les acteurs principaux (qui ont le mérite d'être assez diversifiés pour qu'on n'y voit pas de redite avec ce qu'il y a dans le livret). Pour finir, une longue interview de Julie Delpy par Serge Moati, très intéressante aussi, ne faisant que confirmer lentement ma sympathie naissante pour l'actrice.

 

Retrouvez aussi cette chronique sur Cinetrafic sur la fiche du film :

Logo_Cinetrafic

 

 

Le mot de la fin, Julie ?

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Merci Julie.

 

 

 

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(*) Alias Elisabeth Bathory (7 août 1560 - 21 août 1614).

(**) Ce proverbe ne vaut quand même pas pour les Aliens, faut pas pousser.

(***) Vlad Dracul, encore une légende de Transylvanie, enfin Hongrie...

(****) Historia n° 688, avril 2004, dossier Femmes du Moyen-Âge. Notes issues de l'introduction du dossier.

 

 

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Commentaires
N
Merci EelsOliver. ^^<br /> J'aimerais que plus de gens apprécient ce film à sa juste valeur mais le fait qu'il soit entre deux genres (horreur, drame, histoire d'amour...) déconcerte encore un peu les gens. Tant pis...
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E
je rejoins entièrement ton avis sur ce film complexe. Julie Depy signe un film intelligent sur un personnage qui aura provoqué les rumeurs les plus incensées.
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