Concert de Dr. John au Trianon (Paris) le 28 mai 2014.
Hey yo gumba, mes petites crevettes ça va ?
Ayant rattrapé au vol son dernier album en date, je n'allais pas louper la venue de Malcolm Rebennak aka Dr. John en France. 73 ans et encore toutes ces dents (ce qui n'est pas le cas d'autres artistes), bref je n'ai pas craché dans la soupe pour voir une légende de la musique encore parmi nous. Et je n'ai pas été déçu, loin de là, mais commençons par le début. Mercredi 28, peu avant 20h, j'attends devant le trianon ce cher Bruce Randylan, ami cinéphile cultivé et connaisseur extrême de cinéma asiatique. A peine est-il arrivé qu'on rentre. Nos places sont numérotés mais ce n'est pas une raison pour faire attendre le papy-boogie-woogie de la Nouvelle-Orléans. Or, et ce n'était pas du tout précisé, il y a une première partie de concert juste avant et celle-ci est directement catastrophique.
Selon mon paternel, il arrive qu'on place quelqu'un de peu doué avant une légende de la musique pour pas qu'il ne fasse de l'ombre à ce dernier. Mouais, je ne sais pas, si on vient pour un artiste, c'est pour celui-ci en premier lieu et rien ne nous empêche de faire des découvertes sur scènes comme on peut. C'est parce qu'ils avaient fait la première partie de Sigur Ros (et s'étaient même montrés plus énergiques et rock qu'eux !) que j'ai découvert les islandais de For a minor reflection. Une des meilleures premières parties de ma vie : 3 chansons mais étalées sur 45 minutes, jouées tambour battant comme des pur-sangs cavalant la plaine musicale à portée de vue. Mais revenons à nos moutons bêlants.
Sur la scène donc, une grande endive qui se prénomme pour son nom de scène "Frank mais avec un tréma". Donc Fränk, pour être original. Et notre grande saucisse de Fränkfort (le tréma, je sais pas, ça me fait penser à un pays qui est notre voisin, je sais pas) d'empoigner sa guitare et de jouer quelques morceaux. Surprise, il est bon. Très bon, même. Le hic c'est quand il ouvre la bouche et là, ouille ouille ouille. Chantant en anglais, on a affaire à un énième clone de Tracy Chapman (en moins original); quand c'est en français, un énième clone de Raphael (avec tous les pénibles gimmicks de voix traînaaaaante qui vont avec pour bien exprimer lourdement le fait que quand on aimeuh, on est transi-euh. Ces gens qui font de la guitare et chantent en français ne connaissent-ils donc pas Tété, Manset, Murat voire Nick Drake pour les amoureux de la langue de Shakespeare ?). Une partie du public se décompose.
Mon pote s'emmerde.
Je m'emmerde.
Le public s'emmerde.
Deux places à côtés de nous, une femme, approchant la cinquantaine gromelle "j'ai pas payé pour avoir encore un putain de chanteur français". La même qui criera très fort quand le Fränk nous demandera si on a aimé, quelque chose du genre de "TA GUEUUUUULE". A côté, nous on se marrait. L'endive était devenue courge. On restait donc dans le domaine des légumes et il fallait remonter le niveau.
Le Trianon. Sympatoche comme un petit théâtre. Oh wait...
Heureusement le bon vieux docteur arrive avec son groupe peu après et c'est parti pour une heure et demi de show enfiévré et souvent assez intense. Si le musicien fait son âge à première vue en arrivant en se déplaçant lentement sur deux cannes, il suffit de le placer devant un piano et un synthé pour que ses doigts magiques se déchaînent, sans oublier son inimitable voix éraillée qui elle, n'a pas trop vieillie.
On aura donc droit à la fois à des classiques comme l'inimitable Right place, wrong time (solo de guitare électrique énorme) ou I walk on guilded splinters qui prend une sacrée résonnance mystique et vaudou comme l'album Gris-gris (1969) d'où il est issu : la joueuse de trombone (oui, oui) avait branché celui-ci en mode "électrique" à l'aide d'une pédale pour créer les mêmes effets qu'obtenait un Miles Davis dans sa période électrique. Autant dire que pour le mordu de jazz fusion que je suis, j'étais aux anges.
On aura aussi droit à des titres issus du dernier album, l'excellent Locked down (2012) concocté avec le guitariste des Black keys (et dont je disais du bien ici) avec un Revolution explosif et un Big shot du plus bel effet (mais sans sa petite intro rigolote).
Cette photo est de moi. Eh oui on voit pas si bien du balcon mais c'était le moins cher.
Cette photo n'est pas de moi. Eh oui on voit bien mais je suis pas fou non plus au point de me ruiner et être devant.
Notez le mignon petit crâne sur le piano.
Vers la fin, sur Such a night, chacun des membres du groupe improvise un boeuf collectif et ça devient parfois assez dantesque. Chacun y va donc de son petit solo. D'abord le batteur, fabuleux, puis le bassiste qui y va en duo avec le batteur pour un moment plus qu'intense, puis le guitariste qui se joindra à eux avec l'organiste. La joueuse de trombone fera un solo à part, un peu intimidée visiblement, triturant à l'expérimental son objet avant que le groupe ne joue avec elle et entame la reprise de Such a night qui clôture la soirée d'une fort belle manière : le bon docteur se réservant un long solo final au piano en coda, parfois plus proche d'un Keith Jarrett sous amphètes que d'un simple joueur de blues décontracté sous une pluie d'applaudissements non-stop. Très bon concert à la hauteur du bonhomme et de la légende qui l'a précédé donc.