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Chroniques visuelles
19 novembre 2017

Toxoplasma

 

toxo

 

 

 

Après la Révolution, l’île de Montréal est assiégée — ses ponts bloqués par l’armée fédérale. Partout dans les rues se déchirent les partisans de l’ancien monde libéral et ceux qui aspirent à une société anarchiste, transformant le paysage urbain en un champ de ruines festif où survivent des communautés humaines en pleine décomposition. Au coeur de ce chaos, Nikki Chanson squatte un vidéo-club. Paumée mais pleine de talents cachés, elle partage son temps entre la refourgue de mauvais films aux mauvaises personnes, les enquêtes sur des faits divers sordides et les soirées film en compagnie de Kim, coureuse de bois virtuels. Mais entre ses hallucinations en VHS et ses rêves de forêts détruites, le quotidien de Nikki menace de s’engouffrer dans une conspiration meurtrière à laquelle elle ne pourra échapper que grâce au soutien de sa copine et d’une marionnette d’un show pour enfants qui n’est autre qu’un chien mort. À la fois portrait d’une société en déréliction, thriller antispéciste et déclaration d’amour aux nanars d’horreur, Toxoplasma emporte son lecteur dans une jungle féroce où les dangers de la nostalgie se dressent face à nos imaginations. Par son verbe brutal et poétique, par son humour omniprésent et son extravagance sans vergogne, il est un roman vif, à fleur de peau : une expérience résolument déroutante.

 

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"_ Et Vendredi 13, épisode 5 ?
_ Heu...

C'est un couple, visiblement endommagé, à la recherche d'un je-ne-sais-quoi qui pourrait sauver leur soirée, à défaut de leur amour. Le mâle interroge la femelle du menton, elle fait la moue.

_ OK, enchaîne Nikki, vous avez un problème avec les ados morts. Que pensez-vous de Scanners 2 ? The New Age ? Oui ?
Elle leur vend sa soupe : il y a plusieurs suites à Scanners, le film de David Cronenberg sur les agents aux pouvoirs psy, capables de tuer avec des fréquences inconnues -- deux suites officielles, puis un Scannercop et un Scannercop 2. Mais c'est vraiment The New Age qui tire son épingle du jeu, en proposant une virée exponentielle dans la conspiration. Un mystère épais, paranoïaque, aux ramifications sans fin. Une plongée dans le glauque des salles polyvalentes, du mal en costume-cravate, du pouvoir tout-puissant des grilles de calcul, d'un capitalisme sans tête, sans âme, partout à la fois, qui sait tout, voit tout, entend tout, et des soldats de l'ombre qui luttent contre cet enfer conceptuel où l'humanité est aujourd'hui enfermée, célébrant la toute-puissance de la commodité sans se poser la question du pourquoi. C'est un scanner qu'il faudrait, une armée de scanners pour lire l'intimité de ces pensées infertiles, de ces mensonges. Une clarté, une vigilance ouverte. Une transparence.


_ Oui, mais, est-ce qu'il y a une histoire d'amour ? demande le mâle, intrigué.
_ Ah, mais bien sûr monsieur. Il faut beaucoup d'amour pour faire exploser une tête." (p.49)

 

Dans une utopie uchronique (*) où l'île de Montréal se révèle l'un des derniers bastions encore libres d'un futur proche parallèle (**), David Calvo tisse un roman cyberpunk sans l'être (le net s'est effondré, il a été remplacé par l'alternative de La Grille où tous les termes informatiques d'un passé encore chaud sont remplacés par des dénominations mythologiques). L'écrivain y superpose enquête policière riche (on part de petits cadavres mutilés d'animaux pour déboucher sur du plus vaste), quête initiatique et références cinéphiliques d'autant plus exactes qu'elles transpirent une authentique tendresse du fantastique et de l'horreur, de la série B comme des productions plus fauchées mais non sans idées.

 

Et ça marche puisqu'on se retrouve littéralement transporté de bout en bout. Le dépaysement du Québécois mêlé souvent à des termes techniques, la description de cette Commune qui fait singulièrement écho à celle de 1871, les nombreuses pistes scientifiques (voires mystiques) qui fonctionnent par couches sans jamais altérer la portée du roman, laissant le lecteur choisir suivant son humeur (même la fin reste d'ailleurs volontairement ambigüe pour ça), un certain sens de l'action et du rythme, un mystère soigneusement entretenu (non pas un, plusieurs même vu la richesse de ce gros livre), de l'humour, de l'onirisme (tous les rêves de Nikki) et un certain bestiaire allant du raton-laveur au ouaouaron font le reste.

 

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Le Ouaouaron. C'est gros ce bestiau en fait, dis donc.

 

 

"Elle lui explique. C'est dans cette unité d'habitation que fut tourné Shivers, AKA Frissons, un film de David Cronenberg sorti en 1975, un an après la sortie de High-Rise de Ballard, qui traite un peu du même sujet – probable que Cronenberg s'en soit inspiré, malgré ses dénégations. Les deux œuvres partent du même principe : la dégénérescence d'un phalanstère. Un monde fermé, organisé en strates dans un même immeuble, où les plus riches –habitant plus haut-- prennent plus de libertés que les plus pauvres – habitant les premiers étages. Un monde de fausse copropriété, divisée en locataires et proprios. Dans le bouquin de Ballard, la société de l'immeuble dégénère en société barbare par la simple dynamique de la lutte des classes. Dans le film de Cronenberg, une contamination par parasite est le déclencheur d'une crise. Cette espèce de limace développe l'agressivité et la sexualité des habitants, transformant le rêve bourgeois en cauchemar hippie, un monde d'orgie, de soumission et de barbarie. Nikki avait vu le film plusieurs fois, à chaque fois fascinée par la réalisation millimétrée, la sauvagerie assumée et le climat de fin du monde propre à un certain cinéma de l'époque (...)"

 

Le titre Toxoplasma en lui-même est une nouvelle piste narrative soutenant l'un des mystères du livre que Calvo n'explicite qu'à moitié, évoquant la Toxoplasmose causée par le parasite Toxoplasma Gondii. Cette dernière, propagée le plus souvent par les chats (hôte final) peut toucher les humains tout en restant bénin. Les cas les plus dangereux restent toutefois pour les femmes enceintes, les personnes séropositives ainsi que celle dont le système immunitaire s'avère affaibli. Dans le roman, la toxoplasmose participe d'un système de transmission dont les chats seraient le vecteur. Mais on n'évoque pas tant que ça de chats dans cette commune qui verse lentement en fin du monde. Ou plutôt fin d'un monde. Ou sa renaissance en bout de course ?

Au lecteur justement de se faire une idée ! Très vivement recommendé, surtout si vous êtes cinéphile et mordu de SF et d'horreur : là vous allez y reconnaître vos petits.

 

 

(*) Quid des DVD ou Blu-ray, les supports vidéos restent dans cet ilôt de liberté la VHS et la Betamax !

(**) Très proche puisqu'un certain Donald Trump y est même mentionné.

 

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