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Chroniques visuelles
22 mai 2010

Les amants du Spoutnik (Haruki Murakami)

 

9782264039323

 

SPOUTNIK : Le 4 octobre 1957, l'Union soviétique lançait depuis le centre spatial de Baïkonour, dans la république du Kazakhstan, le premier satellite artificiel au monde, Spoutnik 1. Mesurant 58 centimètres de diamètre et pesant 83,6 kilos, Spoutnik fit le tour de la Terre en orbite en quatre-vingt-seize minutes et douze secondes. Le 3 novembre de l'année suivante, Spoutnik 2 fut envoyé à son tour avec succès. La chienne Laïka, première créature vivante à quitter la stratosphère, était à son bord. Le satellite n'ayant pu être récupéré, Laïka fut sacrifiée sur l'autel de la recherche biologique dans l'espace.

(D'après les Chroniques complètes de l'histoire mondiale, aux éditions Kodansha.)

(Extrait du prologue des Amants du Spoutnik de Murakami)

 

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Entre La route (de McCarthy) et ce roman, je me suis un peu dispersé dans mes lectures. Non pas que j'avais besoin de faire une pause après l'éprouvant pavé qui fut adapté en film avec Mortensen (que je n'ai pas vu, ahem), mais plus que mon esprit était sollicité par diverses choses, notamment, la rédaction de mon mémoire (et toutes les lectures qui vont avec), le fait que je sois tombé amoureux de quelques filles à la fac (et apprendre que ce n'était évidemment pas réciproque par une manière détournée) m'illusionna aussi pas mal (en général je préfère évacuer ça par les films et jeux vidéos et non par des lectures conséquentes), que je redécouvrais l'humour so british de Terry Pratchett (lisez du Pratchett, ce n'est pas que pour les geeks et autres nerds, voyons ! Même ma moman en lit beaucoup), que je jouais énormément à Heavy Rain et Darksiders sur ps3 (il faudra bien que j'en parle de ces deux-là, notamment du premier) et que je me programmai une mini-rétrospective non-finie de Werner Herzog (je compte finir sur Aguirre ou Fitzcarraldo).

 

J'avais souvent beaucoup entendu parler de Murakami et l'on m'avait bien sûr, à maintes reprises, conseillé son Kafka sur le rivage (que je voyais étonnement lu par de nombreux étudiants dans les couloirs de la fac) mais comme je ne fais jamais les choses comme tout le monde, que voulez-vous... Suite à une sympathique soirée commencée par la nuit des musée où j'allais à une exposition (gratuite) à la maison de la culture du japon (*), je m'attardai à leur boutique (où tout est toujours horriblement cher hélas). J'étais résolu à prendre le catalogue de l'exposition et dépenser le peu de sous que mon compte avait encore (n'y a t'il aucune riche héritière qui accepte de m'épouser et de m'entretenir à sa charge ? Je cuisine assez bien et je peux même faire certaines tâches ménagères --j'appartiens à cette génération nouvelle d'hommes qui savent comment faire marcher un aspirateur, si, si gneeee) mais je n'ai pas vu ce dernier. Par contre mon regard tomba très vite sur la littérature japonaise. J'avais envie de prendre un livre sur Kitano, ce que je fis, et mes mains tombèrent par inadvertance , comme sur la poitrine de la femme aimée où nos mains glissent inconsciemment sous le fruit d'un désir inexpliqué, sur le rayon consacré à Murakami. Pourquoi alors pris-je ces Amants du Spoutnik ? J'aurais bien pu être séduit par la pulpeuse couverture d' Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil pourtant. Ou bien même Kafka sur le rivage. Je ne sais pas. Il y avait les mots "amants" et "spoutnik" et mon esprit d'ancien lecteur de Science-Fiction a dû faire "tilt" là-dedans.

 

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4e de couverture : K est amoureux de Sumire, mais celle-ci n'a que deux passions : la littérature et Miu, une mystérieuse femme mariée. Au sein de ce triangle amoureux, chaque amant est un satellite autonome et triste, et gravite sur l'orbite de la solitude. Jusqu'au jour où Sumire disparaît... Les amants du Spoutnik bascule alors dans une atmosphère proprement fantastique où l'extrême concision de Murakami cisèle, de façon toujours plus profonde, le mystère insondable de l'amour.

 

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Par la force de son talent (car oui, il en a. Même beaucoup), celui qui est le traducteur de Scott Fitzgerald et John Irving au Japon (ce qui est déjà quelque chose je vous l'accorde) s'est lentement mis à l'écriture... Pour rafler dès ses premières oeuvres de nombreux prix. Alors, qu'est-ce qu'écrit si bien Murakami pour obtenir un tel succès non pas que dans son pays mais, partout dans le monde ? Des histoires sur la vie, l'amour, des gens comme vous et moi. Des histoires de désir amoureux, de la romance, des couples qui se font et se défont. Certains lecteurs vont grimacer en lisant cela. Et pourtant, Murakami n'a rien à voir, mais alors rien du tout, avec un quelconque Guillaume Musso qui enrobe de guimauve à l'intention de ses lectrices ses petites histoires charmantes. Non, qu'on se le dise, Murakami fait mieux, bien plus. Parce que l'auteur décrit sans faille et avec lucidité les tourments de ces personnages, entre réalisme parfois cru et pas mal d'humour. Les descriptions vont droit au but et l'on se reconnait aisément dans ces personnages, à tel point qu'on en arrive parfois à vouloir véritablement entrer dans le roman, vivre ce qu'ils vivent. Et puis chez Murakami, on bascule subtilement dans une poésie fantastique et un onirisme qui ne surgit pas à gros sabots dès le début.

 

Les amants du Spoutnik fait en outre aisément penser à un cinéaste et un film en particulier : L'Avventura de Michelangelo Antonioni. Indéniablement, on retrouve cette difficulté à établir une relation avec un représentant de l'autre sexe, homme ou femme et à faire parfois affleurer notre désir. Comme dans l'Avventura, Sumire à l'instar d'Anna, disparaît dans une petite île grecque. Et comme chez Antonioni, la disparition ne sera jamais véritablement expliquée. Sauf qu'ici, il y a une certaine chaleur (et un humour) que ne possède par le film d'Antonioni. J'en profite au passage pour rétablir une simili-vérité : j'aime beaucoup le film d'Antonioni, attention. C'est vrai que j'ai tendance à taper sur le film bien souvent. En fait, c'est juste qu'il m'est impossible de le voir dans son entier, je dois constamment le scinder en deux sinon je le trouve horriblement long. Et alors là, trois cas de figure, soit je m'endors (quand je suis fatigué, ce qui arrive trop souvent), soit je m'ennuie, soit je m'énerve (et du coup, j'arrête le film). C'est l'un des rares films où je dois le voir en deux parties, où c'est obligé. Cela ne gâche en rien l'affection que j'ai en fait pour ce film, hein. :)

 

Scinder en film en plusieurs parties... Un peu comme un bon roman ou un bon jeu où l'on reviendrait souvent au gré des chapitres, ou des niveaux de sa progression... Tout ça laisse songeur, n'est-ce pas ?

 

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"Pendant les vacances d'été de ma première année d'université, je voyageais dans le nord du Japon, et rencontrai dans le train une fille de huit ans plus âgée que moi, voyageant seule elle aussi, avec laquelle je passai une nuit. J'avais l'impression de vivre une aventure pareille au premier chapitre de Sanshirô, le roman de Natsume Soseki.

Cette fille travaillait au département de change dans une banque de Tokyo, et chaque fois qu'elle avait des vacances partait seule en emportant une provision de livres à lire.

"ça me fatigue de voyager avec quelqu'un," me dit-elle.

C'était une fille plutôt attirante, et j'ignore quel intérêt elle pouvait bien trouver à un étudiant de dix-huit ans, maigre et taciturne tel que moi. Cependant, elle paraissait tout à fait à l'aise, assise en face de moi dans ce wagon, bavardant de choses et d'autres. Elle riait souvent, et fort. Pour une fois, je n'avais aucun mal à parler de divers sujets avec un air décontracté. Il apparut que nous avions la même destination : Kanagawa.

_ Tu sais où dormir ? s'enquit-elle à la descente du train.

_ Non, répondis-je (à l'époque, je ne savais pas ce que c'était que faire une réservation à l'hôtel).

_ Tu peux partager la chambre que j'ai réservée, si tu veux, me proposa-t-elle. Ne t'inquiète pas, le prix est le même, que ce soit pour une ou pour deux personnes.

J'étais assez tendu la première fois que nous fîmes l'amour, si bien que mes performances laissèrent à désirer. Lorsque je m'en excusai, elle rétorqua :

_ Ce que tu es bien élevé. Inutile de t'excuser pour tout et pour rien.

Elle alla se doucher et ressortit de la salle de bains enveloppé d'un peignoir. Elleprit deux bières bien fraîches dans le réfrigérateur, m'en tendit une.

Quand elle eut dégusté la moitié de la sienne, elle me demanda comme une impulsion soudaine si je savais conduire.

_ Oui, déclarai-je.

_ Et tu es bon conducteur ?

_ Je n'ai pas le permis depuis très longtemps, alors je ne me rends pas très bien compte. Enfin, je conduis normalement, quoi.

Elle sourit :

_ Moi, c'est pareil. Personnellement, je me trouve plutôt bonne, mais mon entourage n'a pas l'air de cet avis. Je suppose que je suis dans la moyenne, sans plus. Mais il doit y avoir des gens autour de toi qui conduisent très bien, non ?

_ Si.

_ Et d'autres qui sont vraiment nuls.

Je hochai la tête. Elle but lentement une gorgée de bière, réfléchit un moment.

_ C'est peut-être ça, un "don de naissance". Certaines personnes sont particulièrement adroites, et d'autres sont gauches... Mais il existe aussi autour de nous des gens très attentifs, et d'autres complètement distraits. Non ?

Je hochai de nouveau la tête.

_ Alors, réfléchis un peu. Si tu devais faire un long trajet en voiture avec quelqu'un, en conduisant chacun votre tour, quel type de conducteur choisirais-tu comme partenaire ? Un bon conducteur dans la lune, ou un conducteur moyen mais très vigilant ?

_ Le second, répondis-je.

_ Moi aussi... C'est pareil en amour, je crois : l'habileté est vraiment secondaire. Le plus important, à mon avis, est d'être attentif. De rester calme et d'être à l'écoute, pour percevoir le plus de choses possibles.

_ Être à l'écoute ? répétai-je.

Elle sourit sans répondre.

Nous fîmes l'amour une seconde fois, et ce fut très doux, comme une sorte d'accord parfait. Il me semblait commencer à comprendre ce que signifiait "être à l'écoute". Je découvris comment réagissait une femme quand elle éprouvait réellement un plaisir intense.

Le lendemain, nous prîmes le petit déjeuner ensemble puis nous nous séparâmes. Elle poursuivit sa route, moi la mienne. Au moment de nous quitter, elle m'expliqua qu'elle se mariait dans deux mois avec un collègue de travail.

_ Quelqu'un de très bien, ajouta-t-elle en souriant. On sort ensemble depuis cinq ans. Une fois mariée, je ne pourrai plus voyager seule pendant pas mal de temps. C'est peut-être même la dernière fois.

J'étais encore jeune à l'époque, et je pensais que la vie était une succession d'événements imprévus et agréables de ce genre. Il me fallut longtemps pour m'apercevoir qu'il n'en étais rien.

 

Un jour, je racontai cet épisode de ma vie à Sumire. Je ne sais plus exactement à quelle occasion, sans doute était-ce au cours d'une de nos conversations à propos du désir. Ma nature me pousse à répondre de manière directe quand on me pose des questions directes.

_ Et qu'est-ce qu'elle prouve, ton histoire ?

_ Eh bien, que l'attention est primordiale, peut-être. Il ne faut pas décider à l'avance qu'on va faire ceci ou cela, mais être à l'écoute, sincèrement, de tout ce qui nous entoure, garder le coeur et l'esprit ouvert...

_ Hmm, fit Sumire.

Elle parut retourner dans son esprit les différents épisodes de mon aventure, sans doute pour voir si elle pourrait l'incorporer à l'un de ses romans.

_ En tout cas, tu as eu pas mal d'expériences, on dirait.

_ Pas spécialement, protestai-je d'une voix douce. Ce genre de choses m'est arrivé à l'occasion...

Sumire réfléchit un moment en se mordillant un ongle.

_ Mais comment faire pour "être à l'écoute", comme tu dis ? Il ne suffit pas de penser au moment critique : Bon, maintenant, je vais être attentif, à l'écoute, pour que ça arrive tout seul sur un claquement de doigts ? Tu ne veux pas m'expliquer les choses un peu plus concrètement ?

_ Eh bien, d'abord, il faut garder son calme, ne pas s'emballer. En comptant, par exemple.

_ Quoi d'autre ?

_ Tu peux aussi penser à des concombres dans un frigo un après-midi d'été. Ce n'est qu'un autre exemple, bien sûr.

_ Tu veux dire..., commença Sumire, puis elle marqua une petite pause avant de continuer : ...que quand tu fais l'amour avec une fille, tu penses à des concombres dans un frigo ?

_ Pas tout le temps.

_ Mais ça t'arrive ?

_ Oui.

Sumire fit une grimace, et secoua la tête plusieurs fois.

_ Tu n'en as pas l'air, mais tu es vraiment bizarre, tu sais.

_ On est tous bizarres, répliquai-je."

 

 

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Je ne sais pas si Murakami est bon ou moyen conducteur à vrai dire. Par contre je peux vous certifier n'avoir nullement regretté d'avoir fait du chemin avec lui.

 

 

 

 

 

(*) "Doubles Lumières", exposition commune de Aiko Miyanaga et Naoko Sekine, du 14 avril au 26 juin 2010. Maison de la culture du Japon, Paris, ligne 6, M° Bir-Hakeim. gneeee 

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Commentaires
N
Ouf, cela me rassure un peu. Effectivement, je rentre mieux dans le film en le "coupant" en deux parties. C'est l'une des rares oeuvres avec "scènes de la vie conjugale" où je sens le besoin de séparer. Encore que pour le Bergman...<br /> <br /> Murakami m'a tellement plu que je me suis pris un autre livre de lui, normalement adapté au cinéma très prochainement, il s'agit de son "Norvegian Wood". Je me fais une joie de lire très bientôt ce livre mais aussi voir le film si il sort bientôt...
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E
Fou du cinéma italien je ne trouve pas curieux ni lèse-majesté de scinder L'Avventura en deux parties.Bien au contraire s'il te convient mieux de t'immiscer dans l'univers d'Antonioni(entre parenthèses je l'ai découvert très tard)avec une pause cela donne sûrement une approche progressive qui ne serait pas pour lui déplaire. J'ai chroniqué plusieurs fois ce cinéaste.Quant à Haruki Murakami j'ai aimé Les amants du spoutnik et Au sud de la frontière,à l'ouest du soleil, chroniqués également.Un peu moins certaines nouvelles d'Après le tremblement de terre.
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