Bye bye mes seigneurs...
J'ai évidemment trop tardé à faire ce petit hommage depuis leur disparition (le même jour apparemment, du moins l'ai-je appris le même jour, le mardi 27 octobre 2015) mais je m'en serais voulu de ne pas l'avoir fait au fond. Car nous perdions là deux grands, dans des domaines artistiques différents mais ayant souvent oeuvré sur les mêmes plates bandes d'un genre commun, la science-fiction. Le premier, Ayerdhal, écrivain français de son état, ne s'était pourtant pas cantonné dans ce cadre et avait exploré avec malice le thriller comme le constat social actuel détourné habilement (Rainbow warriors).
Le second, Noriyoshi Ohrai, illustrateur génial qui avait entre-autre signé de magnifiques affiches japonaises pour les sorties des divers épisodes de Star Wars au Japon. Un travail qui l'avait rendu encore plus célèbre qu'il ne l'était déjà mais sa renommée ne s'arrêtait d'ailleurs pas là non plus, outre le cinéma, il avait signé d'incroyables oeuvres pour la musique (pochettes de vinyles) comme les jeux vidéos.
Ayerdhal, alias Marc Soulier de son vrai nom je crois.
Au risque de paraître déplacé pour cet hommage (alors que je veux simplement essayer d'éviter d'être trop lourd), je vais la faire légère. D'ailleurs je crois bien que Yal se serait un peu fait chier à écouter un long épitaphe. Quand on a côtoyé plusieurs de ses personnages de Naïs à Elyia la cybione en passant par l'Histrion(ne) Aimlin(e), je crois qu'un long discours aurait été le dernier de ses soucis. Car l'écrivain, à l'instar de ses fictions survoltées aimait bien bousculer les convenances et idées reçues. Pas un de ses livres qui ne soit en somme "politique", mais à des degrès divers. Ce côté parfois trop engagé (jusqu'à la caricature, enfin pour moi, pas taper) m'avait un peu fait décrocher ces dernières années, ça et le fait que l'édition n'aidant pas, ses livres n'étaient plus toujours trouvables en poche avant que l'éditeur Au diable vauvert ne s'y colle pour un format plus grand mais hélas un peu plus cher (on a rien sans rien, mais comme je n'achète qu'en poche pour des raisons aussi bien pratiques --non je ne suis pas encore véritablement tenté par le kindle, merci-- que financières, hmm).
Il n'empêche qu'Ayerdhal avait un style incroyablement vif, concis, alerte et le talent (de plus en plus rare) des grands conteurs, de celui qui ne vous lâche pas quand vous lisez un chapitre (*), égrenant à la fois informations sur la situation donnée (il faut bien que l'intrigue avance), scènes anthologiques (ah L'Histrion, quand Aimin va devenir Aimline (oui, avec un "e") dans le roman éponyme, passage incroyable et halluciné qu'Ayerdhal remettra sur le couvert dans la suite, Sexomorphoses), humour percutant, jeux de mots stylistiques renversants (que seul le domaine de l'imaginaire et la richesse de la langue française permettaient) avec une pointe de quelque chose en plus de bien français qui n'apparaît visiblement qu'aux auteurs francophones que j'aurais du mal à définir précisément (**).
Parleur, chez J'ai lu. La couverture signée Caza de la réédition d'un roman où Ayerdhal s'aventure plus ou moins en utopie Moyen-âgeuse (j'insiste d'ailleurs sur ce point pour faire une différence avec l'Héroïque-fantasy traditionnelle avec son chapelet d'elfes, orcs et autres gobelins, non, non, rien de tout ça ici)...
J'ai découvert l'auteur dans mes années d'apprentissage graphique, je m'en souviens très bien étant donné qu'à part Stephen King dans le domaine horrifique, je dévorais de la SF comme pas possible. L'un de mes écrivains préférés était une femme, américaine, même plus rééditée en France mais je zappe parce que sinon ce nivellement vers le bas qu'on nous impose au prix de considérations bassement mercantiles va vite me gaver. ayerdhal c'était du coup plutôt fin collège, début lycée pour clarifier, en même temps qu'un certain Philip.K.Dick découvert grâce à une prof de français fabuleuse, qu'elle en soit remerciée mais on s'écarte encore du sujet une fois de plus. Bon bref, je découvre Ayerdhal avec Mytale, livre incroyable dont je devine l'influence énorme de DUNE derrière alors que je n'avais pas encore lu la saga d'Herbert. Je ne la découvrirai que quelques années après avec entre-temps au début de L'histrion une préface qui me fit du coup un choc à rebours, préface que j'ai scannée et que je vous livre ipso-facto :
Plus que tout, on sent la profession de foi de celui qui veut en découdre. Et qui y a parfaitement réussi puisque l'écrivain s'était trouvé dans une voie plus que personnelle. Evidemment l'influence d'Herbert est palpable, ne serait-ce que dans les ouvertures de chapitre qui opèrent des mises en abîme en nous faisant pénétrer dans un autre livre en cours d'écriture ou déjà écrit, rendant encore plus complexe la réalité de cet univers. Chez Herbert, ce sont par exemple les écrits divers d'Irulan ou du Bene Gesserit qui permettent au lecteur de faire encore plus vivre l'univers transposé (il n'est pas rare qu'une fois un tome de DUNE fini, on se relise pour le plaisir les petites notes qui amorcent chaque chapitre !), une technique aussi repérée en partie chez Ayerdhal même si c'est surtout un effet de style qui au fond n'accentue que brillamment le plaisir du lecteur.
Mais comme je le disais, Ayerdhal a su génialement développer sa patte et ses romans, qu'ils soient de SF voire thrillers policiers mâtinés d'une pincée de Kill Bill et de fantastique (j'en parlais d'ailleurs en ces lieux ici et là) et donc se faire une place parmi les plus grands. Sa perte est donc d'une certaine manière horrible car elle laisse un énorme vide qu'il sera difficile de combler par la génération actuelle.
L'autre grand qui nous quittait alors à ce moment-là était japonais (peut-on au passage utiliser l'imparfait quand on parle dorénavant d'un mort ? Bonne question métaphysique qui sera probablement élucidée par quelqu'un d'autre. Pouët), il s'agit de Nobuyoshi Ohrai que je n'ai découvert par contre qu'il y a peu voilà un à deux ans. J'aurais du coup bien du mal à en parler sans énoncer une évidence, à savoir que quand on évoque ses travaux, il y en a forcément qui doivent vous revenir en mémoire, ne serait-ce qu'en dévoilant quelques bricoles là, tenez :
Ah ben oui, c'est l'ami Steven Segal...
Du coup pour le plaisir du coeur et des yeux, je vais plutôt vous envoyer sur le blog de l'ami Gutsy qui, merveille des merveilles, contient bien plus de trésors qu'on ne saurait l'imaginer (et je ne dis pas ça seulement pour les travaux d'Ohrai, hein). Il saura vous en parler mieux que moi, et puis vous verrez qu'en plus, ce blog si vous ne le connaissez pas encore, est très addictif. Trop, probablement, mais ça, c'est une autre histoire. Bonne visite et que ces deux maîtres reposent en paix !
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(*) Ce qui est d'ailleurs --apparté-- le cas de Lois McMaster Bujold dont j'ai presque lu toute une saga d'une dizaine de bouquins sur l'année et qui fera prochainement l'objet d'une chronique ici ou ailleurs (il y a des chances).
(**) Lançons une perche comme une autre : peut-être la caractérisation psychologique des personnages ?