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Chroniques visuelles
17 février 2016

Joko fête son anniversaire - Roland Topor

 

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Jusqu'où faut-il s'humilier pour travailler ? 

Jeune homme honnête et soutien de famille, Joko va travailler à la citerne de la ville, comme tous les matins, lorsqu'un inconnu bondit subitement sur son dos et lui ordonne de le porter jusqu'à l'hôtel, contre rémunération. D'abord outré d'être pris pour une bête de somme, Joko ne tarde pas, comme ses collègues, tous attirés par l'appât du gain, à changer d'avis et à se vendre. Mais la dépendance entre le porteur Joko et ses clients va prendre des formes tout à fait étranges et monstrueuses, l'entraînant avec ses proches dans un véritable cauchemar...

 

L'inestimable Topor nous a laissé une oeuvre immense, surréaliste et mordante, dans quasiment tous les domaines. Ses caricatures et illustrations vont à l'essentiel en arrachant toujours un rictus mi-amusé, mi-ironique, mi-surpris, voire gêné. Car à chaque fois, en quelques traits, incontestablement, il fait mouche. Qu'on se rappelle les affiches des films Le tambour et L'empire des sens où le bonhomme avait cerné directement le propos sous-jacent des oeuvres. Le génial La planète sauvage de René Laloux reprenait ses dessins et n'en devenait que plus inquiétant. Quand au Locataire de Polanski, il reprend ce qui figure déjà dans le roman Le Locataire chimérique du même Topor. Deux oeuvres complémentaires qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lues et vues à la suite, heureusement pour les apprécier directement. C'est là toute la richesse d'une oeuvre passablement humaniste mais qui masque ses craintes derrières des horreurs et un humour très noir.

 

Joko fête son anniversaire n'y échappe pas et si vous ne connaissez pas Yopor, autant prévenir que le choc sera (délicieusement) rude. Jamais glauque et pourtant le roman bascule très vite de l'absurde à l'horreur fantastique puis sur une horreur fantastique des plus absurdes, laissant toujours conquis du style rapide de l'auteur qui écrit presque comme s'il allait en mourir, c'est à dire avec précision et rapidité sans que cela n'entache jamais le plaisir de ce court roman qu'on aimerait même qu'il en soit plus long. Joko c'est en premier lieu une critique du capitalisme effraîné dans la figure du maître et de son serviteur aliéné au travail sous la figure du "taxi" (enfin du porteur). C'est plus profondément une observation de la bassesse humaine en cours où le puissant n'aura de cesse d'humilier le faible pour son bon plaisir (et ici celui du lecteur).

 

Topor est un malin puisque si l'on ne s'attache pas à son personnage principal (encore heureux, sinon là, oui, ça deviendrait vraiment glauque et déprimant) c'est parce que les situations deviennent de plus en plus surréalistes et absurdes que les personnages sont eux-même des caricatures pas possibles et difficilment rencontrables dans la vraie vie (par contre dans un film d'Ettore Scola comme Affreux, sales et méchants, là je dis pas...). Ainsi Joko est naïf et bête, sa mère complètement larguée et pleurnicheuse à la moindre occasion (running-gag du roman au passage, cette dernière ramène toujours le moindre problème de Joko à une ex qui l'a quitté depuis trois ans, Suzanne, sans chercher ce qui peut troubler son fils. C'est assez tordant, on dirait un robot), son père une grosse feignasse qui se contrefout de tout et ses soeurs des enfants modèles.

 

Quand aux puissants que Joko transporte, des gens qui se croient tout permis et supérieurs aux autres (toute ressemblance avec une certaine élite politique hexagonale n'est que purement fortuite), quitte à faire n'importe quoi. Et la situation (que je ne peux dévoiler tellement ça va très loin) ne fera qu'envenimer tout ça. D'autant plus qu'on a de tout là-dedans, du prétendument gentil et empathique docteur Fersen à la sado-masochiste Wanda qui aime qu'on la frappe en passant par le violent Pan Tan qui lui, aime frapper ou l'ignoble et cruel Sir Barnett, on sent que Topor s'amuse comme un fou avec cette galerie de personnages à croquer. Mention spéciale aux amis et collègues de bureau de Joko qui ont tous un prénom en B : "Baptista, Bavastro, Baluro..."

B, comme "Benêts" vu qu'eux aussi vont faire comme Joko sans non plus réfléchir aux conséquences.

 

 

"Ce n'est rien, dit le médecin, rhabillez-vous un peu d'allergie c'est tout êtes-vous rhumatisant non ça ne fait rien voilà une ordonnance ce n'est pas la peine d'aller à la pharmacie après tout j'ai ce qu'il vous faut dans mon armoire des échantillons de laboratoire c'est une pommade vous étalez en massant deux fois par jour d'ici une semaine ce sera terminé non pas de régime ce n'est pas nécessaire.

Joko pousse un soupir de soulagement. Il a eu peur. C'est surtout le professeur qui l'a effrayé. En sortant, il trouve le temps superbe, les passants aimables et il regrette d'avoir été trop dur avec Wanda. Peut-être a t-elle raison, après tout. Bien sûr qu'elle n'était pas vierge, mais il est peut-être le père quand même. Elle n'en sait pas plus long que lui là-dessus. Bah, ce n'est pas grave. Si elle l'aime autant qu'elle le prétend, elle lui tombera dans les bras la prochaine fois. Et s'il l'épousait ? Il porterait sa femme et son enfant sur le dos. Evidemment, au dixième enfant, ce ne serait pas facile. Il a le temps d'y penser. D'ailleurs Wanda est riche; ils auront de quoi payer des catcheurs !" (p. 55,56)

 

 

C'est noir comme du Kafka côté descente aux enfers, mais plus drôle en somme (certains passages "gores" vont toutefois donner des sueurs froides à certains lecteurs). Même si à ne pas mettre entre toutes les mains, mais quelle pépite, quelle belle découverte grâce à Babelio. Je ne le regrette pas. J'ai même prochainement envie de continuer dans le Topor romancier avec un livre dont le sujet me tient à coeur, pensez-vous :

 

 

topor

 

 

 

Merci Professeur Topor. :-)

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